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Pollinisateurs / Save local bees

INTERVIEW AVEC LIONEL GARNERY, « MONSIEUR ABEILLE NOIRE »

Chercheur au CNRS et spécialiste de la génétique des abeilles, Lionel Garnery nous explique pourquoi il faut préserver l’abeille noire, « bien commun de l’humanité » en mettant en place des conservatoires génétiques d’abeilles noires en France et en Europe, et en interdisant la transhumance à l’intérieur du périmètre des conservatoires.

Date : 28 janvier 2016
Lionel-Garnery-©-J.-Michaux

Quand avez-vous vu une abeille noire pour la première fois ?

Lionel Garnery : Lors de ma thèse, commencée en 1989, quand je faisais des échantillonnages pour réaliser mes études. J’ai été aidé par des apiculteurs comme Jean Vaillant ou Pierre Carré qui étaient déjà conscients des effets des importations de reines et de la nécessité de créer des conservatoires d’abeilles. A cette époque, il était encore possible de trouver des abeilles noires un peu partout en France car les importations étaient relativement localisées.

Lionel-Garnery-©-J.-Michaux
Lionel Garnery, février 2016

Pourquoi vous êtes vous intéressé à cette abeille ?

L. G. : Mon travail de thèse portant sur l’analyse de la diversité à l’échelle de l’espèce, ce n’est qu’à partir de la fin des années 90 que je me suis intéressé plus particulièrement à notre abeille noire locale. En étudiant l’évolution de la diversité génétique de certaines populations je me suis rendu compte que le niveau d’importation augmentait de manière relativement importante dans certaines régions. Le risque était, et demeure, de voir disparaître Apis mellifera mellifera, l’abeille locale.

Quelle est sa définition génétique ?

L. G. : L’abeille noire est une sous-espèce du genre Apis mellifera, originaire d’Europe de l’ouest. Elle a été décrite d’un point de vue morphologique au XVIIIe siècle par le naturaliste suédois Carl Von Linné. Plus tard, des études utilisant la biométrie ont permis de confirmer son statut. Ce n’est que depuis le début des années 90 que des analyses moléculaires utilisant l’ADN ont permis de caractériser cette sous-espèce. Une abeille peut être qualifiée d’ « abeille noire » si elle partage au moins 90 % de son patrimoine génétique avec Apis mellifera mellifera. Avec une méthode statistique on peut alors estimer le niveau d’hybridation d’une ruche. Une colonie d’abeille est définie comme « noire » lorsque la majorité de sa population sont des abeilles noires.

En combien de temps un essaim n’est plus défini comme un essaim d’abeilles noires à cause d’une hybridation trop importante ?

L. G. : Si une reine est fécondée par des bourdons d’une autre sous-espèce, elle peut engendrer suffisamment de larves de futures reines hybrides pour que l’année suivante la colonie d’abeille noire ne puisse plus être définie comme telle. C’est pour cela que l’absence actuelle de législation nous pose problème. Il n’est pas normal que des apiculteurs locaux, pratiquant une apiculture sédentaire, puissent perdre des dizaines d’années de travail alors qu’il suffirait d’instaurer autour des conservatoires un périmètre interdit aux ruches d’autres souches.

Comment faire pour protéger les colonies d’abeilles noires ?

L. G. : Il faut mettre en place des conservatoires génétiques d’abeilles noires comptant au moins 150 colonies, qui se reproduisent en cercle fermé. Il s’agit de bloquer une zone géographique, de 3 km de rayon minimum, dans laquelle on élève exclusivement des colonies d’abeilles noires. L’autre but de ces zones est de permettre aux abeilles de vivre dans des conditions proches de celles qu’elles ont à l’état sauvage. Ceci afin de conserver une dynamique naturelle d’adaptation des colonies à leur environnement. Il faut également interdire la transhumance (le déplacement des ruches) à l’intérieur du périmètre des conservatoires car elle favorise la propagation de maladies d’une colonie vers une autre et augmente les risques d’hybridation.

Quel est l’intérêt de la FEDCAN, la Fédération des Conservatoires de l’abeille noire qui vient d’être créée et dont vous êtes le président ?

L. G. : Cette fédération est nécessaire pour développer la communication entre les conservatoires et rendre nos actions plus visibles auprès du grand public. Nous souhaitons montrer que l’avenir de l’abeille mellifère n’est pas uniquement le bien d’une profession mais qu’il s’agit d’un bien commun de l’humanité. L’homogénéisation des méthodes de conservation est un autre grand chantier. Elle passe par la mise en place d’un statut de « conservatoire », car le terme lui-même est utilisé par un certain nombre d’apiculteurs qui ne savent pas toujours à quoi cela correspond.

Parlez-nous de votre projet BeeHope ?

L. G. : C’est un projet européen dont l’objectif est de revenir à une apiculture plus durable, utilisant la souche locale. Le principe est de mettre en place des conservatoires d’abeilles locales dont le premier objectif est de conserver la diversité génétique. Ces conservatoires viseront également à promouvoir l’utilisation de cette abeille en montrant que celle-ci peut avoir un intérêt aussi bien pour l’apiculture de loisir que pour l’apiculture de profession. Ces conservatoires serviront, entre autres, de réservoir de gènes, qui permettront de réaliser des programmes de sélection à partir de la souche locale, pour l’apiculture de profession. Ce projet est réalisé sur six sites européens, dont deux conservatoires de la FEDCAN : le conservatoire d’Île-de-France (CANIF) et celui de Pontaumur dans le lycée des Combrailles en Auvergne.