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Pesticides

LA PETITE HISTOIRE DU GLYPHOSATE : remise à plat de la dangerosité de cet herbicide

L’autorisation de mise sur le marché (AMM) du glyphosate en Europe a été renouvelée pour 10 ans en novembre 2023. Retour sur les grandes étapes de l’histoire de l’herbicide le plus utilisé au monde, désigné comme cancérogène probable . L’occasion d’une remise à plat de la dangerosité de cet herbicide sur l’environnement et sur la santé humaine. Article mis à jour le 28/11/2023.

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Date : 6 juin 2016

Le renouvellement de l’autorisation du glyphosate en UE est l’occasion d’une remise à plat de la dangerosité de cet herbicide sur l’environnement et sur la santé humaine. Les enjeux sont énormes au vu du poids du glyphosate dans le marché des pesticides (8.000 tonnes/an d’herbicide contenant du glyphosate pulvérisées en France). Il est l’herbicide le plus déversé au monde.

1950 : Découverte de la molécule de glyphosate

La molécule active glyphosate est découverte par un chimiste suisse Henri Martin. Quelques années plus tard, l’un de ses confrères John Franz, qui officie pour Monsanto, découvre son potentiel comme herbicide non sélectif. Le glyphosate est toujours mélangé à d’autres produits chimiques, qui accroissent notamment sa pénétration dans les cellules de la plante.

1974: Lancement commercial du Roundup
Monsanto brevète le glyphosate et le commercialise sous la marque Roundup en Malaisie pour la culture de l’hévéa, puis en 1974 au Royaume-Uni pour celle du blé. Il est autorisé aux États-Unis dès 1974, pour le désherbage des zones non agricoles. Il devient rapidement l’herbicide le plus consommé dans le monde. Et celui que l’on retrouve le plus souvent dans l’environnementDes résidus du pesticide ont été détectés dans 53% des cours d’eau testés par le Commissariat général au développement durable en 2018.statistiques.developpement-durable.gouv.fr.

1996: Commercialisation des plantes OGM résistantes au glyphosate
Monsanto développe des plantes transgéniques baptisées « Roundup ready », conçues pour résister aux traitements par le Roundup. Le but est de permettre aux agriculteurs de pulvériser leurs champs sans avoir à cibler seulement les « mauvaises herbes ». Le résultat ne se fait pas attendre, la consommation de Roundup explose, notamment dans les pays autorisant ces OGM et l’imprégnation des aliments augmente en proportion. L’autre conséquence de l’utilisation de plantes OGM est de causer l’apparition d’adventices résistantes au glyphosate. En effet, le gène introduit par Monsanto dans les semences « Roundup Ready » a été retrouvé dans de « mauvaises herbes ». Devenues naturellement résistantes au glyphosate, elles contraignent les agriculteurs à augmenter les dosages. La nature semble « reprendre ses droits », alors que selon une étude économique sur le glyphosate Trends in glyphosate herbicide use in the United States and globallyenveurope.springeropen.com, près de 9 milliards de kilos de la substance active auraient été écoulés entre 1974 et 2014.

2000: Expiration des brevets de Monsanto sur le glyphosate
Le brevet américain de Monsanto pour la commercialisation du glyphosate arrive à terme en 2000. Depuis, Monsanto, qui conserve la marque Roundup, perd ses droits sur la plupart des régions à travers le monde. Ce phénomène augmente encore la consommation de la molécule désormais utilisée par des dizaines de sociétés, dans des milliers de produits. Les scientifiques retrouvent de plus en plus souvent des traces du pesticide dans notre environnement, alimentation et boissons.

2006 : L’Équateur exige l’arrêt des épandages colombiens de glyphosate
Au début des années 2000, des études de plus en plus nombreuses démontrent les effets du glyphosate sur la biodiversité et la santé humaine. C’est dans ce cadre que l’Équateur rompt ses relations diplomatiques avec la Colombie« Roundup, l’herbicide qui sème la discorde », Le Monde (2015)lemonde.fr, qui refuse d’arrêter son programme de destruction par épandage aérien des champs de coca cultivé illégalement. L’Équateur estime alors que ces épandages massifs menacent les cours d’eau de ses régions frontalières de la Colombie. Il faudra attendre 2015, et le classement du glyphosate comme « cancérogène probable », pour que le pays suspende ses pulvérisations aériennes.

2011: L’ANSES classe le glyphosate comme perturbateur endocrinien possible
En 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) s’intéresse aux effets potentiellement toxiques du glyphosate et à son influence sur le système hormonal et reproducteur des mammifères. Son étudePossibles effets endocriniens
de l’herbicide Roundupwww.anses.fr
sur les cellules testiculaires des rats conclut qu’il est un perturbateur endocrinien « possible ». L’agence va plus loin, et différencie la substance active glyphosate de sa déclinaison chez Monsanto, le Roundup. L’ANSES précise ainsi que le Roundup « s’attaque à la membrane cellulaire, alors que le glyphosate ne le fait pas, sans doute du fait des adjuvants présents dans cet herbicide [roundup]. »

2012 : Des rats exposés à du Roundup développent d’énormes tumeurs
En France, l’équipe du Professeur Gilles-Eric Séralini, proche du Criigem (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le génie Génétique), publie en 2012 une étude « Toxicité du Roundup et d’un OGM : Séralini republie son étude controversée », Le Monde (2014)lemonde.frqui a un impact considérable sur l’opinion publique internationale. Des rats exposés à de faibles doses de Roundup dans l’eau qu’ils buvaient ont développé des tumeurs cancéreuses plus nombreuses et plus grosses que le groupe des rats témoins.

2015 : Le glyphosate cancérogène probable
Le très prestigieux Centre international de recherche sur le cancer (Circ), classe le glyphosate « cancérogène probable pour l’homme »IARC Monographs Volume 112: evaluation of
five organophosphate insecticides and herbicidesCirc (2015)
.

Pour ce faire, l’agence de l’OMS s’appuie sur l’analyse, faite par 17 scientifiques, d’un ensemble d’études existantes. Plusieurs expertises épidémiologiques examinées suggèrent en particulier un risque accru de cancer du sang chez les agriculteurs et jardiniers exposés. Le Circ cite aussi des expériences menées sur des animaux de laboratoire, concluant à des « preuves convaincantes » de risque cancérogène chez ces derniers.

L’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) s’oppose à ses résultats et affirme dans un rapport de novembre 2015 que la substance active n’est pas cancérigène ou toxiqueL’évaluation des risques expliquée par l’EFSAEFSA (2015).

Faisant suite au classement du Circ, une étude allemande « Les trois quarts des Allemands seraient exposés au glyphosate », Le Monde (2016)lemonde.frétablie en mars 2016, que 99% des personnes testées présentent des traces détectables de glyphosate dans leurs urines, dont plus de 75 % à des concentrations élevées. Le 12 mai 2016, un autre résultat est publié : sur les 48 eurodéputés ayant fait analyser leur urine, tous présentent des teneurs en glyphosate. Le taux moyen étant 17 fois supérieur au seuil légal de glyphosate toléré dans l’eau potable.

2016 : Une autorisation de mise sur le marché contestée

En mars 2016, et pour la première fois depuis que le glyphosate est autorisé en Europe, les États membres contraignent la Commission européenne à reporter le vote sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour 15 ans. Plusieurs pays, dont la France, la Suède, l’Italie ou les Pays-Bas s’opposent au renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de la substance désormais classée « cancérogène probable ». 

Devant ce refus, la Commission propose alors une nouvelle AMM de 9 ans seulement. Nouveau refus des mêmes États en mai 2016. Une nouvelle réunion est organisée début juin pour une autorisation de moins de deux ans. 

2017 : Plus d’un million de  citoyens veulent l’interdiction du glyphosate mais les États membres renouvellent son AMM pour 5 ans

L’initiative citoyenne européenne « Interdire le glyphosate et protéger la population et l’environnement contre les pesticides toxiques » recueille 1 070 865 soutiens et est présentée à la Commission européenne en octobre 2017. L’exécutif, qui se base sur le rapport de l’EFSA (2015L’évaluation des risques expliquée par l’EFSAEFSA (2015)), propose cependant un renouvellement pour 5 ans. De plus, en mars 2017, l’étude de l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) ne classe pas l’herbicide comme cancérigèneGlyphosate not classified as a carcinogen by ECHAECHA (2017), allant à l’encontre de l’avis du CIRC. 

Le Conseil de l’UE vote alors en faveur de la proposition et renouvelle l’herbicide jusqu’au 15 décembre 2022 en ignorant la demande des citoyens et les preuves accusant Monsanto de dissimuler la toxicité de sa substance« « Monsanto papers », désinformation organisée autour du glyphosate», Le Monde (4 octobre 2017)lemonde.fr. La France fait partie des neuf pays qui s’y opposent.

2018 : En France, un plan d’action de sortie du glyphosate est mis en place.

La France prend en compte les inquiétudes des scientifiques et des citoyens et lance un plan d’action de sortie du glyphosate en juin 2018Plan de sortie du glyphosate : le dispositifMinistère de l’Agriculture (2018), dans la continuité de la promesse de campagne d’Emmanuel Macron. L’objectif est de ne plus faire usage de l’herbicide d’ici 2024. Ce plan existe dans le cadre du programme Ecophyto II qui vise à réduire de 50 % l’usage des produits phytosanitaires d’ici 2025 et qui sera un échecL’Etat français a été reconnu coupable lors du procès Justice pour le Vivant le 29 juin 2023 pour ne pas avoir respecté ses plans Ecophyto de réduction des pesticides.pollinis.org.

2021 : L’AGG indique que les études sur les risques du glyphosate ne permettent pas de le catégoriser comme dangereux pour la santé humaine.

Les industriels de l’agrochimie dont Bayer et Syngenta réunis sous le nom GRG (Glyphosate renewal group) font une demande de renouvellement en 2019. Un groupe d’évaluation du glyphosate (AGG)Assessment Group on GlyphosateAGG (2019), composé de quatre États membres rapporteurs désignés par la Commission européenne, analyse le dossier et les études scientifiques fournies. En juin 2021, l’AGG rend ses résultats. Il n’identifie pas le glyphosate comme dangereux pour la santé humaine mais le rapport affirme qu’il est « toxique à long terme sur la biodiversité aquatique»Procedure and outcome of the draft Renewal Assessment Report on glyphosateAGG (2021). Finalement, l’herbicide  est considéré comme apte à rester sur le marché. Le groupe transmet ses résultats à l’EFSA et l’ECHA qui lancent des consultations publiques.

2022: La Commission prolonge automatiquement l’autorisation du glyphosate pour un an en attendant les résultats de l’EFSA

Après la prise en compte des commentaires issus des consultations, l’ECHA adopte un avis sur la dangerosité du glyphosate et ne le considère pas comme cancérigène, mutagène ou toxique pour l’humainGlyphosate: no change proposed to hazard classificationECHA (2022). L’agence confirme une toxicité pour la vie aquatique et des données montrent un risque élevé à long terme pour les mammifères dans 12 des 23 utilisations du glyphosate, mais ces risques ne sont pas considérés suffisants pour justifier un retrait du marché. 

L’EFSA, elle, ne parvient pas à finir dans les temps son évaluation du pesticide:  la Commission délivre alors une prolongation de l’autorisation du glyphosate pour un an, jusqu’au 15 décembre 2023. Cette prolongation automatique est décriée par les associations environnementales qui défendent le respect du principe de précaution.

Le 13 juillet 2023, POLLINIS publiait un rapport sur les prolongations automatiques des pesticides dans l’Union européenne.

 

Plus de 450 substances actives utilisées dans les pesticides y sont aujourd’hui homologuées. Autorisées une première fois pour 10 ans, environ un tiers d’entre elles bénéficient pourtant d’une mise sur le marché beaucoup plus longue, sans aucune prise en compte de leurs risques pour la santé ou l’environnement. 

 

Ainsi, POLLINIS a identifié 119 pesticides de synthèse – dont certains comportent des risques importants pour la santé humaine et l’environnement – faisant l’objet, à ce jour, d’une prolongation administrative (sans réexamen) de leur homologation. Depuis 2011, 35 substances, finalement interdites à cause de leur toxicité, ont par ailleurs été prolongées jusqu’à sept ans.

 

L’association conteste cette pratique de prolongation automatique au regard du principe de précaution.

 

LIRE LE RAPPORT

2023: Renouvellement pour 10 ans de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne

L’EFSA rend ses conclusions en juillet 2023GlyphosateEFSA (2023) et n’identifie pas de « préoccupation critique »  vis-à-vis de la santé humaine, animale ou environnementale. Elle pointe cependant des « lacunes dans les données » ainsi que des « questions non résolues » et d’autres « en suspens ». L’agence conclut à  un manque de données et de conclusions claires possibles sur les risques sur la biodiversité. 

A la suite du rapport, la Commission propose le 19 septembre 2023 un renouvellement pour 10 ans. Les Etats membres doivent voter sur la réautorisation du glyphosate jusqu’en 2033. Mais lors des séances en octobre puis en novembre 2023, les 27 ne trouvent pas d’accord. La France fait partie des pays qui s’abstiennent, le gouvernement s’éloignant un peu plus de la promesse d’Emmanuel Macron d’aller vers une sortie rapide du glyphosateEn novembre 2017, le président s’est engagé pour que le glyphosate soit interdit en France. Il écrit sur Twitter après sa réautorisation pour 5 ans: « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans ».

Sans majorité qualifiée, la décision du renouvellement incombe à la Commission européenne. L’herbicide controversé est finalement renouvelé pour dix ans en novembre 2023. De nombreuses ONG contestent cette décision qui met potentiellement en danger la santé humaine et l’environnement et certaines d’entre elles annoncent un recours en justice.

Le glyphosate reste un herbicide controversé. Malgré les nombreuses études réalisées, l’entièreté de ses effets directs sur l’environnement et la santé reste encore à définir. C’est pourquoi son renouvellement pour dix ans contrevient au principe de précaution.

 

L’utilisation du glyphosate a en outre des effets indirects sur la flore et la faune sauvages. L’herbicide élimine des « mauvaises » herbes qui sont des ressources floristiques (pollen, nectar) pour les insectes, et participe ainsi au déclin sans précédent des pollinisateurs. « En Europe, 9 % des espèces d’abeilles et de papillons sont menacés et les populations diminuent pour 37 % des abeilles et 31 % des papillons », commentait déjà l’IPBES en 2016Rapport d’évaluation sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaireIPBES (2016).

 

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