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Pesticides / Néonicotinoïdes

TRIBUNE DE NICOLAS LAARMAN POUR L’INTERDICTION DES néonics DANS LE MONDE

Le délégué général de POLLINS, Nicolas Laarman, signe une tribune dans Le Monde du 29 janvier 2016 : « Pour la défense de la biodiversité, interdisons les insecticides néonicotinoïdes ». À l’heure où un large consensus se dégage parmi les scientifiques indépendants sur leur dangerosité, le combat est pourtant loin d’être gagné.

Date : 29 janvier 2016
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CETTE TRIBUNE A ÉTÉ PUBLIÉE DANS LE JOURNAL LE MONDE LE 29 JANVIER 2016

Un large consensus se dégage parmi les scientifiques indépendants sur la dangerosité des insecticides néonicotinoïdes. Malgré les nombreuses études et les diverses recommandations des agences sanitaires, le combat est pourtant loin d’être gagné sur le plan politique. En France, il se joue en ce moment.

Les néonicotinoïdes, apparus dans les années 1990, sont l’une des familles de pesticides les plus utilisées sur les grandes cultures en Europe. Pièce maîtresse du système agricole intensif actuel, ils contribuent à ruiner la biodiversité tout en précipitant l’agriculture dans une spirale toxique dangereuse. Commercialisés essentiellement sous forme de semences enrobées (les graines sont enduites de l’insecticide qui est diffusé à l’intérieur de la plante au fur et à mesure de sa croissance), les néonicotinoïdes sont utilisés de façon systématique, sans tenir compte de la présence ou non d’insectes problématiques dans les cultures. Cette utilisation préventive accélère l’apparition inéluctable de résistances chez les insectes, exactement comme les antibiotiques provoquent l’apparition de résistances chez les bactéries. Il y a quinze ans déjà, une étude sur les doryphores, des insectes ravageurs qui s’attaquent à la pomme de terre, révélait ainsi une multiplication par 100 de leur résistance aux néonicotinoïdes en 10 ans.

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Le secteur agrochimique tient l’agriculture et l’environnement en otage. Il pousse à la mise en place de cultures homogènes et fragiles, qui ne peuvent se passer de pesticides. Les néonicotinoïdes sont des neurotoxiques. Véhiculées par la sève des plantes jusque dans le pollen et le nectar, ces molécules menacent tout l’écosystème : abeilles et autres pollinisateurs, oiseaux, papillons, mouches, lombrics… Ces organismes essentiels à l’agriculture sont éradiqués progressivement, aggravant ainsi les risques de maladies et d’attaques de bioagresseurs. Ce système mise donc sur sa capacité à s’autoréguler grâce à une surenchère de solutions chimiques. À mesure qu’augmentent les résistances des insectes ravageurs, les firmes agrochimiques développent des produits de plus en plus toxiques, et les agriculteurs sont contraints de les combiner ou d’augmenter les doses pour venir à bout d’insectes toujours plus résistants.

Des agriculteurs dans l’impasse et la sécurité alimentaire en péril

Cette fuite en avant, entièrement fondée sur l’hypothèse d’un accès illimité aux produits agrochimiques, atteint néanmoins ses limites. Les spécialistes de la protection des cultures commencent à craindre qu’il n’y ait bientôt plus aucun rempart chimique à opposer aux insectes ravageurs. Aujourd’hui, plus de 550 espèces ne sont plus sensibles à un ou plusieurs types d’insecticides – dont déjà une quarantaine aux néonicotinoïdes – laissant souvent les agriculteurs dans une impasse technique. D’autant que, face à l’augmentation des risques sanitaires et environnementaux, la législation en faveur des consommateurs et de l’environnement limite à la fois l’arsenal chimique mobilisable et le champ de la recherche agrochimique. Le coût de développement d’une nouvelle molécule est ainsi passé de 30 à 240 millions d’euros entre 1980 et 2008. Dans ce contexte incertain, l’industrie agrochimique ne sera pas toujours en mesure, financièrement, d’apporter une solution chimique viable aux problèmes qu’elle engendre. Cette faille révèle la grande vulnérabilité du système agricole actuel.

Face à cette spirale infernale de résistance naturelle et de dépendance chimique, les citoyens sont en première ligne : ils se nourrissent des produits de l’agriculture et financent indirectement les aides colossales dont ce système agricole insensé bénéficie. Plus d’un million de personnes à travers l’Europe ont signé les pétitions de l’association POLLINIS pour une interdiction totale et définitive des néonicotinoïdes. Ces citoyens ont compris que les néonicotinoïdes mettent en péril, ni plus ni moins, leur sécurité alimentaire. Ils savent que sous ce parapluie chimique illusoire et ruineux pour les agriculteurs, la biodiversité se meurt pendant que les insectes qui ravagent les cultures, eux, se portent de mieux en mieux. Ils constatent avec une grande inquiétude que les lobbies agro-industriels essaient par tous les moyens de faire barrage aux nombreuses solutions agricoles écologiques officiellement promues par la France et l’Union européenne, et qui germent, malgré tout, sur tous les territoires avec une vitalité exemplaire et des rendements exponentiels.

En attendant que l’Europe prenne position, la bataille se joue en France. En mars 2015, l’Assemblée nationale a adopté un amendement pour l’interdiction des néonicotinoïdes dans le cadre du projet de loi biodiversité. Il a été rejeté trois mois plus tard par la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable au Sénat. Grâce au travail des associations de protection de l’environnement et à la mobilisation de sénateurs engagés dans ce combat, sept amendements pour l’interdiction des néonicotinoïdes ont été déposés en séance. En parallèle, l’association POLLINIS a lancé une campagne permettant aux citoyens d’envoyer directement un mail à leurs sénateurs pour qu’ils votent cette interdiction : ils ont reçu 250 000 messages. Ce vendredi 22 janvier 2016, les sénateurs ont pourtant rejeté les amendements « Stop Néonics » au profit d’un compromis dérisoire qui laisse le soin à l’exécutif français de déterminer « les conditions d’usage » des néonicotinoïdes.

La balle est désormais dans le camp de l’Assemblée nationale. D’ici au printemps 2016, les députés devraient se prononcer à leur tour. Il leur faudra prendre en considération les attentes de la société civile, les préoccupations des apiculteurs et des agriculteurs paysans, les études des scientifiques indépendants… Autrement dit, avoir l’ambition politique d’incarner enfin l’intérêt général.