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Conserver les pollinisateurs

APIFORMES : Inventer un nouveau modèle de science citoyenne

Les études menées dans le cadre du réseau Apiformes mis en place par l'INRA d'Avignon et la Bergerie Nationale dans plus de 20 lycées agricoles à travers la France – et soutenues financièrement depuis 2013 par les citoyens engagés aux côtés de POLLINIS – proposent un modèle pour combler le vide scientifique entourant les abeilles sauvages.

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Date : 23 juillet 2019

Les études s’appuient sur une stratégie de science citoyenne novatrice qui tente de résoudre l’un des problèmes majeurs de la collecte des données par les citoyens : l’identification très complexe des espèces cartographiées et la validation des données recueillies sur le terrain.

Pour pouvoir étudier les populations d’abeilles sauvages, il faut être capable de réunir un nombre important de données et d’observations collectées pendant une longue période de temps sur de vastes territoires. Cela demande des moyens qui dépassent souvent les ressources mises à la disposition des experts scientifiques qui veulent mener ces recherches. Et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les études sur les pollinisateurs, hors abeilles domestiques bien sûr, sont si rares ; et leur disparition si mal documentée. C’est en partie à cause de ces lacunes scientifiques que les firmes agrochimiques ont pu nier si longtemps le déclin massif des insectes pollinisateurs, et les causes agricoles de leur disparition.

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Internet permet aujourd’hui de contourner ces limites en mettant à la disposition du public des protocoles et des outils permettant la transmission de données collectées à une échelle à laquelle les chercheurs n’avaient accès que très difficilement jusque-là. C’est ce qu’on appelle le « crowdsourcing » en anglais ; quelque chose comme « la collecte de données scientifiques par les foules » en français : en faisant participer à leurs recherches des cohortes de citoyens intéressés par la nature et l’écologie, les scientifiques peuvent espérer collecter et traiter un nombre phénoménal de données qu’ils auraient été incapables de rassembler auparavant.

Ces nouvelles formes de participation du public à la recherche suscitent à juste titre un intérêt croissant de la part des chercheurs et des citoyens.

Près de 1 000 espèces d’abeilles sauvages en France

Mais cette manière de collecter des données scientifiques n’est pas toujours simple à mettre en œuvre. Elle se heurte même à un écueil majeur lorsqu’il s’agit d’étudier certaines populations, comme les insectes pollinisateurs justement, dont les populations sont très mal connues et particulièrement difficiles à identifier. Tout le monde ou presque peut reconnaître une abeille à miel retournant à la ruche, les brosses chargées de pollen jaune vif ; mais il faut être un apiculteur expérimenté pour arriver à distinguer à quelle sous-espèce d’Apis mellifera appartient la butineuse en question. Et parmi les 34 espèces de bourdons présentes en France, comment être sûr du nom de cet OVNI poilu voletant lourdement d’une étamine à l’autre quand il n’arbore ni « cul-rouge », ni « cul-blanc » pour nous aider à l’identifier ?

Il existe en France près de 1 000 espèces d’abeilles sauvages qui pollinisent l’ensemble des plantes à fleurs et des cultures de notre pays, et plus de 2 300 espèces environ dans l’ensemble des pays européens. Seuls quelques experts ultra spécialisés sont capables à travers le monde de les reconnaître et de les identifier. Comment étudier les variations d’abeilles sauvages sans disposer d’une armée de spécialistes prêts à sillonner nos territoires pour les traquer, les identifier et faire remonter les justes informations ? Comment mener le nécessaire travail de recensement de leurs populations et rendre compte de leur déclin, ou comprendre les liens intimes qu’ils entretiennent avec leur habitat, avec les plantes et les paysages ? Enfin, comment bien identifier les conditions de leur existence pour pouvoir les préserver et freiner leur déclin massif ?

apiformes

Une participation citoyenne encadrée par une expertise scientifique

Violette Le Féon, et ses collègues du laboratoire de l’INRA d’Avignon prodinra.inra.fr ont peut-être trouvé une solution qui pourrait inspirer d’autres laboratoires, d’autres recherches participatives, pour pouvoir combler rapidement ces lacunes scientifiques. Dans une étude publiée en 2016 dans le Journal of Insect Conservation, ils décrivent la méthode mise au point dans le cadre du programme de science citoyenne menée à l’intérieur du réseau Apiformes dont le travail est rendu possible depuis des années par le soutien financier apporté par les sympathisants de POLLINIS.

Les recherches menées grâce au réseau Apiformes se distinguent de la science citoyenne classique par leur méthodologie : on ne demande pas aux citoyens de se débrouiller pour collecter des informations sur des insectes pollinisateurs qu’ils ne peuvent tout simplement pas identifier, et de les transmettre ensuite à des scientifiques incapables de traiter ces informations collectées « à l’aveugle ».

Dans le cadre du réseau Apiformes, les experts de l’INRA ont défini un protocole scientifique encadrant la collecte des données ; ils vont assister les enseignants d’une vingtaine de lycées agricoles français qui vont collecter avec leurs élèves des spécimens d’abeilles sauvages qui seront ensuite envoyés à l’INRA et identifiés à l’espèce par un panel d’experts en taxonomie. Ainsi, aucune donnée collectée ne sera perdue : elle fera l’objet d’un traitement scientifique qui garantira la fiabilité et la qualité des résultats obtenus.

Au total, entre 2009 et 2016, le réseau Apiformes a ainsi permis de recueillir 70 « collections » (combinaisons année × nombre de sites d’échantillonnage x), et de répertorier 4574 spécimens appartenant à 195 espèces. Les chercheurs ont analysé cet ensemble de données en les recoupant avec les données librement disponibles à l’échelle nationale sur l’intensité de l’agriculture et la composition du paysage. Ils ont constaté par exemple que la richesse des espèces d’abeilles rencontrées augmentait sensiblement avec le nombre d’éléments semi-naturels herbacés présents sur les fermes : plus les pratiques agricoles était diversifiée, multipliant les cultures différentes dans les rotations des fermes étudiées, plus la biodiversité d’abeilles sauvages augmentait. De la même manière, plus les pratiques agricoles étaient intensives, et moins on rencontrait de variétés différentes d’abeilles et de sites de nidification à la surface des terrains étudiés.

L’étude menée grâce au programme Apiformes suggère que l’identification au niveau des espèces est d’une grande importance pour comprendre les effets du milieu et des pratiques agricoles sur les abeilles sauvages, et qu’un modèle efficace de science citoyenne assistée par des experts fournirait sans doute des clés pour orienter les mesures de conservation indispensables à mettre en œuvre à l’échelle nationale et européenne.

Pour télécharger l’étude en question