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Biotechnologies génétiques / Pesticides ARNi

Pesticides ARNi : « Je ne pensais pas trouver autant d’effets hors cible potentiels »

Dans un rapport inédit du 20 juin 2023, POLLINIS révélait les dangers potentiels de nouveaux produits de l’agrochimie, les pesticides génétiques à interférence ARN. Nicolas Defarge, biologiste moléculaire ayant appuyé l’association dans son analyse, revient ici sur le rôle de la bioinformatique pour cerner les effets hors cible de ces nouveaux produits.

Date : 7 juillet 2023

Ce 20 juin, POLLINIS publiait un rapport inédit sur les dangers potentiels de nouveaux produits de l’agrochimie, les pesticides génétiques à interférence ARN (ARNi). Créés pour lutter contre les ravageurs de culture, ils risquent en effet d’affecter de manière « hors cible » d’autres insectes en raison de similitudes génétiques.

Avec l’appui du Dr Nicolas Defarge, biologiste moléculaire, l’association a donc mené une analyse bioinformatique pour comparer les séquences génétiques ciblées par 26 pesticides ARNi avec celles d’insectes pollinisateurs. Conclusion : 14 d’entre eux pourraient avoir des effets mortels sur 136 espèces de pollinisateurs différents, dont l’abeille mellifère européenne (Apis mellifera), le bourdon des prés (Bombus pratorum) et le papillon Belle-Dame (Vanessa cardui).

« Je ne pensais pas trouver autant de taux d’homologie [de séquence] élevés », confie le biologiste, à présent en post-doctorat en bioinformatique à l’Université nationale de Rosario (Argentine), qui revient pour POLLINIS sur les résultats de l’analyse et la portée de la bioinformatique.

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La bioinformatique est née de « la conjonction de deux tendances, le séquençage génétique d’une part et, de l’autre, l’informatique », explique le biologiste moléculaire Nicolas Defarge. – ©CRIIGEN.

La bioinformatique, après avoir émergé dans les années 2000, s’est frayée un chemin dans les domaines médical et agricole. En quoi consiste-t-elle, et quelles en sont les applications concrètes ?

La bioinformatique est une discipline qui utilise et conçoit des outils informatiques pour extraire et analyser des données sur le vivant. Depuis plus de vingt ans, nous assistons à la conjonction de deux tendances, le séquençage génétique d’une part (ndlr, déterminer la succession des nucléotides composant un génome) et, de l’autre, l’informatique. 

Le séquençage génétique a en effet généré des quantités phénoménales de données, avec des millions de séquences qu’il est devenu impossible de traiter avec un, même plusieurs, cerveaux humains. L’informatique est alors entrée en jeu avec, dans son sillon, la bioinformatique, devenue depuis le chemin normal en biologie. 

La bioinformatique rend possibles le séquençage d’ARNAcide ribonucléique. Copie d’un des deux segments d’ADN qui est notamment utilisé par les cellules pour permettre la création de protéines, et donc des rôles qu’occupent ces dernières dans les cellules. – comme les ARN messagers utilisés pour les vaccins lors de la pandémie –, d’ADNAcide désoxyribonucléique. Molécule présente dans le noyau des cellules, elle contient les informations génétiques d’un organisme. L’ADN est constitué de deux brins enroulés en double hélice et formés chacun d’une succession de nucléotides. ainsi que la comparaison entre des séquences génétiques. Dans mon domaine, la bioinformatique permet par exemple de savoir à quelle partie du chromosome est relié un trait agronomique intéressant (poids du fruit, durée de vie post-récolte,…). Elle entre en jeu dans la conception de nouveaux médicaments, ainsi que dans les recherches en archéologie (par exemple en archéo-anthropologie dès qu’il y a un peu d’ADN) et en écologie pour connaître la filiation entre les espèces. Et certains y ont pensé pour fabriquer de nouveaux pesticides – comme les pesticides ARNi qui font l’objet du rapport de POLLINIS.  

Le silençage génétique, mécanisme sur lequel reposent les pesticides ARNi, permet d’inactiver l’expression d’un gène et d’inhiber la fonction vitale qui lui est associée. Comment fonctionne ce processus, et en quoi la bioinformatique a-t-elle contribué à sa mise en œuvre ? 

Il faut considérer le noyau d’une cellule comme le coffre-fort de l’ADN d’un être vivant, contenant en quelque sorte son plan de fabrication. Des photocopies de ce plan, les ARN messagers, sont ensuite expédiées hors du noyau, dans le cytoplasme, où se trouvent des ateliers de fabrication, les ribosomes. Ces derniers, en décodant les ARN messagers, permettent à l’organisme de synthétiser des protéines et d’assurer de nombreuses fonctions dans la cellule et les tissus (ndlr, comme la contraction musculaire). 

Si, avant de passer par l’atelier de fabrication de protéines, l’ARN messager rencontre un ARN interférent qui lui est complémentaire, il sera détruit et n’arrivera jamais au ribosome qui, donc, ne le décodera pas, empêchant la synthèse de cette protéine et la fonction qui lui est associée. Si la protéine en question est vitale pour un organisme, l’interférence ARN entraînera sa mort. 

Différentes agences, comme l’OCDE ou l’EPA, ont souligné l’importance de mesurer les potentiels effets « hors cible » des pesticides ARNi, recommandant pour cela l’usage de la bioinformatique. Comment la bioinformatique permet-elle d’évaluer ces effets imprévus ?

Les pesticides ARNi visent à inhiber une fonction vitale des ravageurs de culture ciblés. Un effet  « hors cible » peut alors se produire lorsque d’autres espèces possèdent une séquence génétique similaire à celle visée par le pesticide. La littérature scientifiqueChen, J., Peng, Y., Zhang, H., Wang, K., Zhao, C., Zhu, G., Reddy Palli, S., & Han, Z. (2021). Off-target effects of RNAi correlate with the mismatch rate between dsRNA and non-target mRNA. RNA Biology, 18(11), 1747–1759. https://doi.org/10.1080/15476286.2020.1868680 estime que ces effets indésirés pourraient se produire à partir de 80 % d’homologie entre la séquence ciblée chez le ravageur et celles d’autres espèces avec, dans le pire des cas, des conséquences irréversibles pouvant être létales pour ces dernières. 

Le rapport de POLLINIS auquel vous avez contribué s’emploie précisément à évaluer ces effets, faisant état de 136 espèces de pollinisateurs potentiellement touchées par 14 pesticides ARNi. Comment interprétez-vous ces résultats ?

Concernant les résultats de l’analyse, je ne pensais pas trouver autant de taux d’homologie élevés. J’ai également été surpris de voir, parmi les protéines ciblées, l’actine et une sous-unité de la V-ATPase, toutes deux hautement conservées à travers l’évolution et communes à de nombreux organismes. Autrement dit, cibler ces protéines accroît le nombre d’espèces susceptibles d’être touchées involontairement.

Mais  des tests in vivo doivent être menés pour confirmer ou infirmer les potentiels effets hors cibles identifiés grâce à la bioinformatique. Pour ma part, j’espère vivement que des études d’écotoxicologie vont être menées par les entreprises et par des laboratoires indépendants. Il faudrait, pour cela, que les fabricants donnent accès à des échantillons de leurs produits. 

Sans réglementation pour en imposer, ces tests ne seront toutefois pas menés. Pour les organismes génétiquement modifiés (OGM), tout demandeur doit fournir la séquence introduite dans l’OGM. Il faudrait que ce soit également le cas pour ces pesticides : aucune raison scientifique n’en justifie l’absence. 

Face à ces dangers, POLLINIS demande l’application stricte du principe de précaution. Pour soutenir l’association dans son combat, vous pouvez :

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