Biotechnologies génétiques / Pesticides ARNi
L’agrochimie développe des pesticides génétiques toxiques pour les abeilles
Confrontés à la multiplication des plans de réduction des pesticides, les géants de l'agrochimie se sont attelés à développer une nouvelle génération d’insecticides issus des biotechnologies génétiques. Diffusés par spray ou par le biais de plantes, bactéries et virus génétiquement modifiés, ces nouveaux pesticides génétiques, également appelés pesticides ARNi, tuent les insectes en empêchant l’expression de gènes essentiels à leur survie, et risquent d’accélérer le déclin en cours des pollinisateurs.
Le remplacement des pesticides chimiques par une nouvelle génération de tueurs d’insectes issus des biotechnologies génétiques a démarré. Ce virage préparé de longue date par les géants de l’agrochimie, s’appuie notamment sur les progrès fulgurants opérés au cours des 15 dernières années dans la compréhension des mécanismes de régulation des gènes – l’interférence ARN (ARNi) –, et d’une des techniques de manipulation génétique qui en découle : le silençage génétique ou silençage génique.
Derrière ce nom barbare se dessine une nouvelle avancée qualifiée dès 2013 comme « l’un des progrès en agriculture les plus excitants de sa carrière » par le directeur de recherche de Monsanto, Robb Fraley. De fait, le silençage génétique agit comme un désactivateur des fonctions vitales, en s’attaquant à l’expression d’un gène ou plusieurs gènes spécifiques grâce à la diffusion d’ARN interférent Acide ribonucléique. Transmises par le biais de plantes, et micro-organismes (virus, bactéries) génétiquement modifiés, ou directement répandus par spray sur les cultures, des molécules ARNi synthétisées en laboratoire vont bloquer la production de protéines nécessaires à l’activation d’une fonction vitale chez l’insecte qui y sera exposé, entraînant ainsi sa mort à coup sûr.
Alors que les firmes de l’agrochimie prétendent pouvoir cibler avec précision les insectes qui seront éliminés grâce à ces nouveaux pesticides génétiques, la recherche scientifique indépendante a déjà mis en évidence une cascade de risques potentiellement incontrôlables pour tous les insectes pollinisateurs qui y seraient exposés, en cas d’utilisation dans les zones agricoles.

La punaise diabolique fait partie des insectes ravageurs envahissants que les firmes espèrent pouvoir éliminer grâce aux nouveaux pesticides génétiques.
En effet, selon une étude publiée en 2021 dans la revue scientifique « RNA Biology »Chen J, Peng Y, Zhang H, et al. Off-target effects of RNAi correlate with the mismatch rate between dsRNA and non-target mRNA. RNA Biology, 2021., le silençage d’un gène vital chez une espèce ciblée peut également intervenir chez une autre espèce, non-ciblée initialement. Cet effet imprévu – ou effet « hors cible » – peut se produire dès lors que deux espèces d’insectes partagent un gène similaire à plus de 80 %, précise la même étude.
Dans la nature, de tels taux de similarité génétique ne sont pas chose rare, en raison de l’origine évolutive commune des insectes. Les séquences cibléesLes séquences génétiques sont une partie précise de l’ADN constitué d’une suite de nucléotides. par le silençage peuvent ainsi exister sous une forme presque identique dans différentes parties du génome, mais aussi dans le génome d’autres insectes. L’extinction accidentelle d’un gène chez des espèces non-ciblée deviendrait donc un dommage collatéral inhérent à la technique du silençage.
La compréhension de l’étendue des similitudes génétiques entre les différentes espèces ainsi que les effets hors cibles qu’elles occasionnent est aujourd’hui limitée en raison d’un manque de recherches indépendantes. Mais de premières évaluations réalisées par POLLINIS grâce à des outils de bioinformatique appliqués ont déjà mis en évidence des effets hors cible alarmants pour de nombreuses espèces de pollinisateurs qui seraient exposés à ces pesticides génétiques lors de leur utilisation en plein air.
Nouvelles techniques, mêmes problèmes
Plusieurs pesticides génétiques ayant fait l’objet de publications scientifiques récentes ciblent en effet des gènes vitaux pour de multiples insectes pollinisateurs. Ainsi, un article publié en 2017 dans le « Journal of Molecular Sciences » 2 sur un pesticide ARNi diffusé par le biais d’un plant de coton OGMLa plante est génétiquement modifiée pour exprimer un ARNi qui empêchera l’expression génétique du gène ciblé de l’insecte qui la consomme. cible ainsi le gène HaHR3 responsable de la mue chez la chenille de la noctuelle de la tomate, un ravageur de nombreuses plantes cultivées en agriculture conventionnelle (coton, maïs, tomate, etc.). En ciblant ce processus biologique pivot dans la croissance et donc dans la survie de nombreux insectes pollinisateurs tels que les papillons, ce pesticide pourrait également bloquer la métamorphose d’une dizaine d’autres papillons, parmi lesquels plusieurs lépidoptères communs d’Europe : le Vulcain (Pararge aegeria), le Collier de corail (Aricia agestis), la Piéride de la moutarde (Leptidea sinapis), mais aussi le Machaon (Papilio machaon), aussi appelé « Grand porte-queue », présent dans la quasi-totalité de l’hémisphère nord.
Outre-Atlantique, ce pesticide génétique pourrait affecter le Monarque migrateur (Danaus plexippus plexippus), papillon emblématique des Amériques qui parcourt chaque année plus de 4000 kilomètres entre le Mexique et le Canada, en danger d’extinction selon l’UICN. L’ampleur des espèces en danger touchées par le silençage génétique imprévu est sous-estimée, puisque seule une petite partie des espèces menacée sont en réalité référencées par l’UICN, faute de données disponibles.
Un silençage transgénérationnel
L’abeille mellifère (Apis mellifera), insecte indispensable qui fournit une grande partie des services de pollinisation nécessaires aux cultures vivrières dans le monde, pourrait, elle aussi, faire les frais de ces nouveaux pesticides génétiques. Une étude publiée en 2020 dans la revue « Pesticide Biochemistry and Physiology »3 dévoile qu’un pesticide ARNi cible le gène producteur de l’actine, une protéine centrale dans de nombreuses fonctions cellulaires vitales (mobilité des cellules, division cellulaire, etc.) mais aussi et surtout dans la contraction musculaire. Développé pour lutter contre le doryphore de la pomme de terre (Leptinotarsa decemlineata), un petit coléoptère aux rayures jaunes et noires qui décime les cultures de pommes de terre à travers le monde, le silençage de l’actine pourrait incidemment éteindre son expression génétique chez 44 hyménoptères (bourdons, osmies, etc.) y compris l’abeille mellifère européenne (Apis mellifera), qui possède un gène producteur de l’actine similaire à plus 86% avec celui du doryphore. Dotée d’un patrimoine génétique extraordinaire qui lui a permis de survivre à la dernière époque glaciaire, la sous-espèce endémique d’Europe de l’Ouest (Apis mellifera mellifera) serait une potentielle victime collatérale de ce pesticide.
Plus alarmant encore, le silençage génétique chez l’abeille mellifère pourrait aussi se diffuser au sein d’une colonie et se transmettre d’une génération à l’autre par le vecteur de la gelée, pointe une autre étude publiée en 2019 dans la revue scientifique « Cell Report » 4. Nourriture de l’ensemble des larves d’une colonie dans les premiers jours suivant son éclosion, la gelée produite par les ouvrières exposées à un pesticide génétique peut conserver l’ARN biologiquement actif, qui sera ensuite transmis par ingestion. Ainsi, l’étude pointe « une capacité inhérente aux abeilles mellifères de partager l’ARN entre les individus et les générations ». Cette transmission intergénérationnelle pourrait dès lors contaminer durablement les colonies d’abeilles mellifères.
La nature, ce laboratoire à ciel ouvert
Ces effets hors cible mettent en évidence l’indispensable évaluation de ces pesticides génétiques avant toute mise sur le marché. Pourtant, en raison d’un cadre réglementaire peu défini, certains sont déjà en train d’être testés en plein champ, tandis que d’autres sont en passe d’être autorisés dans certains pays, voire l’ont déjà été. Aux États-Unis, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) a ainsi déjà approuvé en juin 2017 l’utilisation du maïs MON 87411 de Monsanto, résistant au glyphosate et contenant un ARNi capable de désactiver un gène essentiel à la chrysomèle des racines du maïs. DÉCISION D’EXÉCUTION (UE) 2021/65, janvier 2021Journal officiel de l’Union européenne. De son côté, Bayer a annoncé que son insecticide génétique en spray visant le doryphore de la pomme de terre (Leptinotarsa decemlineata) serait soumis à l’Autorité de protection de l’environnement américaine en 2022.
En Chine, des tests à petite échelle d’un pesticide en spray contre la teigne des choux (Plutella xylostella) se sont déroulés en plein champ dans le district de Baiyun (province de Guangdong), tandis qu’en Europe, un autre spray génétique ciblant le doryphore de la pomme de terre (Leptinotarsa decemlineata) a été testé sur trois sites près de Ljubljana, en Slovénie.
Au niveau européen, la question de l’homologation de ces pesticides semble tomber dans une incertitude réglementaire particulièrement inquiétante. Selon les informations recueillies par POLLINIS auprès de l’Agence sanitaire européenne (EFSA), les pesticides ARNi ne relèveraient pas d’une autorisation au titre de la directive OGM, puisqu’ils ne sont pas à proprement parler des organismes génétiquement modifiés. Leur homologation au titre d’un pesticide chimique n’allant pas non plus de soi, la réglementation applicable ainsi que les critères d’évaluation du risque qui en découlent demeurent inconnus.
Une incertitude qui risque de laisser le champ libre à l’agrochimie pour imposer ces pesticides génétiques comme une solution clé en main pour réduire l’usage de la chimie en agriculture. Pourtant, l’utilisation en plein air de ces pesticides génétiques exposerait les écosystèmes à des risques potentiellement incontrôlables. Des agrosystèmes entiers pourraient alors être affectés, avec des conséquences imprévues sur la faune et la flore, persistantes sur plusieurs générations.
DISCLAIMER : l’étude des effets hors cible proposée dans cet article repose sur quatre études scientifiques analysées par POLLINIS. Cependant, une quantification plus précise des effets hors cible n’est pas possible en raison du manque de littérature scientifique indépendante consacrée à ce sujet. Les résultats présentés dans cet article ne reposent donc que sur une partie de la littérature scientifique indépendante disponible au 1er décembre 2022.
- LISTE DES ÉTUDES
1. Mogilicherla, K., Howell, J. L. & Palli, S. R. (2018). Improving RNAi in the Brown Marmorated Stink Bug : Identification of target genes and reference genes for RT-qPCR. Scientific Reports, 8(1).
https://doi.org/10.1038/s41598-018-22035-z
2. Han, Q., Wang, Z., He, Y., Xiong, Y., Lv, S., Li, S., Zhang, Z., Qiu, D. & Zeng, H. (2017). Transgenic Cotton Plants Expressing the HaHR3 Gene Conferred Enhanced Resistance to Helicoverpa armigera and Improved Cotton Yield. International Journal of Molecular Sciences, 18(9), 1874.
https://doi.org/10.3390/ijms18091874
3. Mehlhorn, S. G., Geibel, S., Bucher, G. & Nauen, R. (2020). Profiling of RNAi sensitivity after foliar dsRNA exposure in different European populations of Colorado potato beetle reveals a robust response with minor variability. Pesticide Biochemistry and Physiology, 166, 104569.
https://doi.org/10.1016/j.pestbp.2020.104569
4. Maori, E., Garbian, Y., Kunik, V., Mozes-Koch, R., Malka, O., Kalev, H., Sabath, N., Sela, I. & Shafir, S. (2019). A Transmissible RNA Pathway in Honey Bees. Cell Reports, 27(7), 1949-1959.e6.
https://doi.org/10.1016/j.celrep.2019.04.073