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La France a servi de terrain d’essai pour au moins quatre pesticides génétiques ARNi sans que les connaissances scientifiques aient pu établir leur innocuité. Interrogée, l’agence sanitaire française (Anses) déclare ignorer où et quand ont été conduits ces essais. En cause, un régime de dérogations au permis d’expérimentation.

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Certains scandales se devinent entre les lignes, d’autres sont écrits noir sur blanc. Celui-ci commence à la lecture d’un prospectus financier d’une entreprise nord-américaine vieille d’à peine quinze ans, GreenLight Biosciences, spécialisée dans les biotechnologies. Parmi ses produits phares : les pesticides génétiques, ou pesticides à interférence ARN (ARNi), conçus pour bloquer l’expression de certains gènes chez les insectes ravageurs de culture et les condamner à mort.

Tenue aux obligations de transparence propres aux entreprises cotéesGreenLight Biosciences était cotée au NASDAQ, le deuxième plus important marché d’actions des États-Unis, entre 2021 et 2023., la firme a remis en 2022 à l’organisme de contrôle des marchés financiers aux Etats-Unis (la U.S. Securities and Exchange Commission) un prospectus revendiquant fièrement – et malgré le manque criant d’études sur les conséquences de ces nouveaux produits pour le vivant – la conduite d’essais en plein champ pour l’un de ces pesticides. Pays mentionnés pour ces tests : les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Espagne ainsi que… la France. 

Alors que les citoyens français se sont démarqués par leur vive opposition aux organismes génétiquement modifiés, l’Hexagone serait-il devenu le terrain de jeu des firmes d’agro-génétique ? En mars 2023, un des représentants de l’Agence sanitaire en charge de l’évaluation des pesticides en France (Anses) confirmait avoir enregistré « trois déclarations (1 sur colza et 2 sur pommes de terre) de mise en place d’essais et d’expérimentations [de pesticides ARNi] sous le régime de la dérogation au permis d’expérimentation, donc sans dossier auprès de l’Anses » (Libération). 

Mauvaise nouvelle pour les pollinisateurs et autres auxiliaires de culture, ces pesticides ARNi sont susceptibles de les affecter également : de tels « effets hors-cible » pourraient en effet survenir dans le cas d’une similarité entre les patrimoines génétiques des insectes indispensables aux écosystèmes et celui du ravageur ciblé

Dérogations sur déclarations

Malgré les incertitudes concernant les effets de cette nouvelle génération de pesticides sur le vivant, la réalisation de ces tests en plein champ n’a requis qu’une simple déclaration, dans le cadre des dérogations au permis d’expérimentationArrêté du 9 février 2016 fixant les conditions applicables aux expérimentations et aux essais visés à l’article R. 253-32 du code rural et de la pêche maritime et concernant les produits phytopharmaceutiques.. Encadrés par le règlement relatif à la mise sur le marché des produits pharmaceutiques, les tests de pesticides dans l’Union européenne « ne peuvent avoir lieu que si l’État membre [concerné] a évalué les données disponibles et délivré un permis pour effectuer des essais » (Art. 54)Règlement (CE) N° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil.

Ce cadre, notamment établi pour « prévenir les éventuels effets nocifs sur la santé humaine ou animale ou tout effet négatif inacceptable sur l’environnement », prévoit pourtant des exceptions : une liste de laboratoires agréés par un Etat membre peut mener des expérimentations sur le territoire national dans les conditions prévues par la réglementation nationale. En France, une simple déclaration d’essais à l’Anses – à transmettre au plus tard « dix jours ouvrés avant leur mise en place » – suffit, y compris, semble-t-il, s’agissant de produits génétiques dont les risques n’ont pas été évalués.

En réponse à un premier courrier de POLLINIS en juin 2023, l’Anses indiquait ainsi ne connaître ni le lieu ni la date de réalisation de ces essais, pas plus que l’identité de la personne les ayant réalisés. Plus préoccupant encore, elle y affirme que « les produits qui ont été expérimentés n’ont donc pas été évalués par l’Anses et leurs compositions détaillées n’ont pas été communiquées à [l’institution] ».

La France s’est pourtant elle-même reconnue désemparée après une première demande de test en plein champ d’un pesticide ARNi en 2018. Un représentant de l’Anses avait alors sollicité un retour d’expérience de la part de l’agence sanitaire européenne (EFSA) et des autres États membres de l’Union européenne, demandant s’il était pertinent « d’élaborer une méthodologie spécifique pour évaluer une telle substance active »

 

Une inquiétude partagée par l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui rappellent toutes deux la nécessité d’évaluer les risques spécifiques de ces substances. L’eurodéputé Eric Andrieu (S&D) déclarait ainsi à la presse, trois mois avant de quitter ses fonctions en juin 2023 : « Les effets en cascade de ces pesticides génétiques, leurs conséquences potentielles incommensurables sur la biodiversité, l’environnement et la santé humaine sont autant de raisons pour que soient menées toute une batterie d’évaluations avant toute utilisation dans la nature et une éventuelle mise sur le marché ».

L’enquête de POLLINIS sur ces pesticides génétiques souligne à cet égard les risques potentiels qu’ils présentent pour les pollinisateurs, chaînons indispensables de la biodiversité et garants de notre sécurité alimentaire.

Pesticides ARNi : quatre essais en France

« L’Anses ne dispose donc pas des informations auxquelles vous souhaitez avoir accès, à savoir le lieu et la date de réalisation de ces essais », répondait le directeur général de l’Agence, Benoît Vallet, à POLLINIS le 2 juin 2023. Comme expliqué précédemment, le régime de dérogations prévoit pourtant des déclarations préalables aux tests en plein champs, comportant a minima « les coordonnées du déclarant, les noms ou codes des produits ou prototypes, les types de formulation, les noms ou codes des substances actives, les fonctions et les types d’application, les groupes de cultures, les surfaces et quantités de produits totales annuelles et les périodes d’application prévues »

Le 14 septembre 2023, POLLINIS a donc adressé un second courrier à l’Anses pour obtenir les données transmises lors de la déclaration de ces essais. Face au silence de l’Agence un mois plus tard, l’association a saisi la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) qui, à la mi-novembre, a rendu un avis favorable à cette demande d’informations. Quinze jours plus tard, l’Anses transmettait une partie des données demandées. 

 

Première surprise : aux trois tests en plein champ mentionnés à la presse en mars dernier s’en ajoute un quatrième, déclaré par BASF en… mars dernier. Ces essais concernaient un ARN à visée fongicide pour application sur des vignes et des concombres, sur des surfaces comprises entre 64 et 248 mètres carrés. La date « prévue » pour ces tests se résume, dans la déclaration du géant, à la mention « printemps – été ».

Trois autres tests de pesticides ARNi ont été menés dans les champs français, sur des surfaces d’expérimentation s’étalant de 1 200 mètres carrés à 5 000 mètres carrés. Premier déclarant : Syngenta-Chemchina qui, en 2018, a testé à des fins de recherche un ARN double brin à visée insecticide sur du colza. Pour les deux autres essais, il s’agit de GreenLight Biosciences qui, en 2020 et en 2021, a mandaté deux laboratoires agréés pour essayer un insecticide ARNi sur des cultures de pommes de terre. 

Ou du moins vraisemblablement : les formulaires transmis par l’Anses n’indiquent pas l’identité de la structure ayant réalisé les tests, mais celles du déclarant et d’un représentant du déclarant. C’est en croisant les données des déclarations avec la liste des organisations agréées que POLLINIS peut supposer que ces essais ont été menés par des laboratoires certifiés. Car l’Agence, de son aveu, ne vérifie pas que les essais sont bien réalisés par un laboratoire agréé. « Nous ne procédons pas à la vérification de la condition selon laquelle les essais doivent être réalisés par une personne agréée ou un laboratoire reconnu conforme aux bonnes pratiques de laboratoire », écrit-elle dans sa réponse au second courrier de POLLINIS. 

Déclaration faite par BASF pour tester son ARNi à visée fongicide sur des vignes et des concombres en France.

Une des déclarations transmises par l’Anses à POLLINIS. Celle-ci a été réalisée par BASF pour expérimenter, à des fins de recherche, un ARN à visée fongicide.

L’Anses ne dispose pas non plus d’une information essentielle, à savoir les lieux où ont été conduits ces essais, et ce malgré les risques potentiels de cette nouvelle génération de pesticides. S’il est impossible d’établir qu’il s’agit du produit qui a été testé en France, GreenLight Biosciences a soumis en février 2023 son pesticide ARNi ciblant le doryphore de la pomme de terre (Leptinotarsa decemlineata) pour approbation aux Etats-Unis. L’évaluation des risques pour la santé humaine de son produit, publiée le 29 septembre 2023 par l’Agence de Protection de l’Environnement des Etats-Unis (EPA), mentionne pourtant de potentiels effets hors-cibles sur deux ARN non-codants de l’être humain, dont les fonctions biologiques ne sont pas connues.

Bien que considéré improbable, l’inactivation d’un de ces deux ARN par le pesticide en question n’a pas pu être exclue dans le cas d’une absorption par inhalation ou par voie oculaire. Concernant cette dernière voie d’exposition, le rapport conclut que « ce n’est que si des équipements de protection oculaire, tels que des lunettes de protection, sont exigés sur l’étiquette du produit que l’on peut conclure à un risque négligeable pour la voie d’exposition oculaire ».

Autorités silencieuses

Si l’Anses a finalement communiqué une partie des informations demandées par POLLINIS au sujet de ces essais, différentes alertes adressées aux membres du gouvernement n’ont – à l’heure où sont écrites ces lignes – pas encore trouvé d’écho. 

Plusieurs représentants politiques ont ainsi demandé des comptes aux autorités, sans toutefois obtenir de réponse satisfaisante. L’eurodéputé Christophe Clergeau (PS) interpellait, en juin, la Première ministre Elisabeth Borne  : « il y a de quoi s’interroger sur la validité de la dérogation aux permis d’expérimentation ». Une interrogation laissée depuis en suspens. 

Quelques jours plus tard, le député de la huitième circonscription de l’Hérault, Sylvain Carrière (LFI / NUPES), lui emboîtait le pas avec une question écrite adressée au ministère de l’Agriculture. Ce parlementaire redoute, pour sa part, une porte ouverte aux « réactions en chaîne dont la dangerosité n’est pas correctement évaluée, dans une opacité permanente et continue sur les compositions des produits pesticides »

Il a fallu attendre le 15 août pour qu’une question, posée en février par la députée Christine Arrighi (EELV / NUPES), trouve enfin écho au ministère. Mais la réponse à cette question, centrée sur le régime d’autorisation des essais, ne lève pas le voile sur la localisation de ces tests en plein air.

Demandez un moratoire sur les essais en plein champ des pesticides ARNi

 

Des essais en plein champ de pesticides génétiques ont été réalisés en Europe et en France sans aucune information sur le lieu ou les dates de ces expérimentations. Mais la bataille n’est pas finie.

 

Au vu de l’impact inquiétant que les pesticides ARNi pourraient avoir sur les pollinisateurs et le vivant, et en l’absence d’une évaluation scientifique robuste de l’ensemble de leurs risques, POLLINIS demande l’application du principe de précaution et un moratoire immédiat sur les essais et demandes d’autorisations en cours. Elle réclame également l’évaluation complète de leurs risques pour les abeilles, les pollinisateurs sauvages, la biodiversité et les écosystèmes par une agence indépendante. 

 

Comme plus de 70 000 citoyens, demandez à nos côtés la fin de ces tests. 

 

Signez la pétition