Pourquoi l’Europe a-t-elle refusé jusqu’à présent d’évaluer correctement les effets délétères des pesticides sur les abeilles ? POLLINIS a trouvé des pistes d’explication dans les 78 documents cachés de la Commission européenne, obtenus grâce à un travail acharné et une bataille judiciaire toujours en cours devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’ONG les a analysés en les croisant avec des documents émanant de l’industrie, collectés dans le cadre de cette enquête.
Retour en 2016 : voilà trois ans que l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des alimentsefsa.europa.eu, a publié de nouveaux protocoles d’évaluation des risques des pesticides pour les abeilles domestiques, les bourdons et les abeilles solitaires dans son Bee Guidance Document 2013European Food Safety Authority, 2013. EFSA Guidance Document on the risk assessment of plant protection products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees). EFSA Journal 2013; 11(7):3295, 268 pp.Consulter le document. Alors que les populations de pollinisateurs continuent de s’effondrer en Europe, ces nouveaux « tests abeilles » doivent permettre de mieux évaluer les effets des pesticides sur ces insectes clés pour la biodiversité et d’interdire l’utilisation des produits les plus dangereux.
Ce document comporte plusieurs avancées majeures par rapport aux protocoles de tests utilisés jusqu’alors : il demande par exemple que davantage d’effets connus soient évalués, comme les effets chroniques ou les effets sublétaux – impactant la reproduction, l’orientation… – qui n’entraînent pas directement la mort mais peuvent, lentement et sûrement, décimer une colonie d’abeilles. Le document guide prévoit aussi que l’on teste systématiquement les effets sur les larves et qu’on étudie davantage de voies d’exposition des abeilles aux pesticides, autres que le contact direct par les fleurs, leur pollen et leur nectar, comme l’exposition par l’eau ou aux poussières. Enfin, il élargit aux bourdons et aux abeilles solitaires l’évaluation des risques jusqu’alors limitée à l’abeille à miel, Apis mellifera.
Malgré ces avancées réclamées depuis longtemps par les scientifiques et les ONG, les membres du SCoPAFFComité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale, ou Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed en anglais.Qu'est ce que le SCoPAFF ? – un obscur comité « technique » composé de représentants des pays de l’Union européenne – ont réservé un accueil glacial à cette proposition. Dans une opacité totale et inhérente à ce groupe chargé des questions alimentaires et agricoles en Europe, ils ont en effet déployé tout un arsenal rhétorique au moyen d’une stratégie offensive de lobbying pour bloquer la mise en œuvre de ces nouveaux « tests abeilles ».
Comme l’évoquait le précédent volet de cette enquête, les arguments mobilisés par plusieurs experts des pays membres ressemblaient alors à s’y méprendre à ceux que le lobby de l’agrochimie a élaborés et largement diffusés avant même la publication, en 2013, du Bee Guidance Document. L’analyse des 78 documents obtenus par POLLINIS grâce à une longue bataille judiciaire souligne toutefois que la proximité des éléments de langage entre puissances publiques et privées s’est ensuite poursuivi autour de trois propositions majeures de l’EFSA pour améliorer l’évaluation des risques que les pesticides font peser sur les abeilles :
L’EFSA Bee Guidance Document 2013, un projet tué dans l’œuf
La salve de critiques de l’industrie, largement relayée par des membres du SCoPAFF et portant principalement sur le caractère trop protecteur de l’EFSA Bee Guidance Document, suffit à bloquer les négociations dès la présentation du document au comité en septembre 2013.
La Commission européenne, qui préside le SCoPAFF, a donc tenté de débloquer la situation en proposant différents compromis, comme la mise en œuvre en trois étapes (court, moyen et long termes) des nouveaux protocoles de tests, en priorisant les tests les plus consensuels, et en remettant à plus tard la mise en œuvre des plus controversés, persuadée qu’ils ne passeraient pas sans d’importantes modifications. L’EFSA, l’autorité sanitaire européenne, a quant à elle publié en juillet 2014 une version mise à jour de son document d’orientation pour en faciliter l’utilisation.
Mais comme le révèlent les échanges compilés dans les documents obtenus par POLLINIS, les experts du SCoPAFF n’ont pas changé de position et les négociations n’ont pas avancé d’un pouce. Dans le courant de l’été 2014, les négociations entrent dans une phase de léthargie, et restent au point mort pendant toute l’année 2015.
Ce n’est qu’un an et demi plus tard, en janvier 2016, que des frémissements se font sentir : le représentant de la Suède au SCoPAFF vient d’envoyer à ses homologues un e-mail corrosifDocument 13-2083 pour rappeler l’importance des enjeux et dresser un bilan du temps perdu face à l’urgence de la situation pour les abeilles. Reconnaissant l’échec des négociations, il exhorte la Commission européenne à organiser au plus vite la reprise des discussions et un pilotage plus efficace du projet qui doit nécessairement aboutir. Ces demandes restent lettre morte : on voit ressurgir dès le printemps, dans un échange de mails, les arguments de l’industrie repris par les pays européens qui bloquent la mise en place des nouveaux « tests abeilles » et dénoncent à leur tour des objectifs de protection trop ambitieux et des protocoles trop conservateurs.
Email du représentant de la Suède du 8 janvier 2016.
1. « Cela fait maintenant deux ans et demi que l’EFSA a publié le document guide sur l’évaluation des risques que les pesticides présentent pour les abeilles (juillet 2013). »
2. « De meilleures méthodes d’évaluations des risques et une méthodologie de suivi harmonisée doivent urgemment être mis en place. »
L’agrochimie lance sa dernière offensive
Les fabricants de pesticides vont profiter de cette longue léthargie ponctuée d’échanges improductifs pour renforcer leur arsenal argumentaire et passer à la dernière étape de leur stratégie de lobbying. L’ECPA – future CropLife Europe, représentant à Bruxelles les intérêts des principales entreprises agrochimiquesL’ECPA représente alors notamment Bayer, qui fait l’heureuse acquisition de Monsanto en septembre 2016 ; Syngenta, qui sera racheté en 2017 par ChemChina ; Dow Agroscience et DuPont de Nemours qui se réunissent en 2019 sous le nom de Corteva ; ainsi que BASF.– se positionne alors comme un acteur expert et raisonnable, capable de propositions constructives sur le dossier. Le puissant lobby industriel réussit non seulement à faire passer l’idée que le document d’orientation de l’EFSA est scientifiquement contestable et inapplicable en pratique, mais également que sa mise en œuvre aurait des conséquences délétères – pour ses affaires… Il parvient enfin à diffuser une véritable contre-proposition, clé en main, aux représentants des États en charge du dossier, en s’appuyant sur des prises de parole publiquesInterview dans le Guardian, en mars 2017, en contactant les membres du SCoPAFF par l’intermédiaire de la Commission européenne, et en publiant des études que l’industrie a elle-même financées.
POLLINIS a mis la main sur 6 lettres envoyées par l’ECPA entre septembre 2016 et mars 2019 à la Commission européenne, à destination des représentants des États européens au SCoPAFFConsulter les lettres. Le premier courrier critique ouvertement le document guide de l’EFSA, le qualifiant à nouveau « d’obsolète » et « d’inapplicable ». Le lobby de l’agrochimie y martèle encore que la plupart des insecticides ne parviendraient pas à passer positivement les nouveaux tests d’évaluation des risques. La preuve, pour lui, que ce document d’orientation est mal conçu : les objectifs de protection proposés par l’autorité sanitaire dans ces nouveaux protocoles seraient fondés sur des hypothèses « incorrectes et très conservatrices », trop précautionneuses à son goût. Le lobby demande donc aux membres du SCoPAFF de les rejeter, de commander une évaluation de l’impact économique de la mise en place de cette nouvelle évaluation des risques des pesticides, et d’ordonner enfin une révision du document guide. Concrètement, l’industrie demande qu’on oblige l’EFSA, l’autorité sanitaire européenne, à désavouer ses scientifiques et son expertise indépendante pour adopter les conclusions des firmes industrielles.
Lettre de l’ECPA au SCoPAFF du 30 septembre 2016
« Nous continuons à considérer que le document guide est inapplicable. »
« Cela démontre clairement le calibrage inapproprié du guide, les objectifs de protections sur lesquels est basé tout le document étant incorrects, et des présupposés extrêmement conservateurs. »
Pour donner plus de poids à son argumentation, l’industrie publie en octobre 2017 les résultats de deux études d’impact réalisées par ses soins, sur lesquelles elle fonde ses allégations. Diffusées dans un article qui fait suite au 13ᵉ symposium du groupe de protection des abeilles de l’ICPPRLa commission internationale pour les relations plantes-pollinisateurs, une association dont la secrétaireProgramme du symposium d'octobre 2017 travaille alors pour Dow AgroSciencesDow Chemical fusionnera avec DuPont pour donner Corteva en 2019.qui formera plus tard le géant de l’agrochimie Corteva à la suite d’une fusion. L’articleImproving pesticide regulation by use of impact analyses: A case study for bees est signé par plusieurs scientifiques rattachés à Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta-ChemChina et l’ECPA, leur syndicat. Il vise à démontrer scientifiquement ce que l’agrochimie proclame depuis la publication du Bee Guidance Document 2013 : la plupart des pesticides ne parviendraient pas à franchir le premier pallier de tests exigés par l’EFSA. Ils seraient alors contraints de se conformer à d’autres protocoles que les firmes industrielles jugent irréalisables, parce que trop complexes et trop coûteux à mettre en œuvre.
C’est le nerf de la guerre pour l’industrie, ce sur quoi elle ne peut pas céder, qui se cache derrière cette prétendue controverse scientifique : le fait qu’une réelle évaluation de leurs produits, scientifique, robuste et indépendante, conduirait à retirer du marché une grande partie des produits sur lesquels ils fondent leur puissance économique. L’enjeu est de taille.
Tout en attaquant le nouveau document d’orientation de l’autorité sanitaire européenne pour le décrédibiliser, l’ECPA cherche donc à le faire remplacer par son propre document-guide. Et pour mieux le justifier, elle opte pour cet audacieux message : pour protéger les butineuses, l’agrochimie serait plus compétente que les experts indépendants mandatés par l’EFSA.
« L’industrie de protection des cultures pensent qu’une révision significative du document est nécessaire pour construire une approche pragmatique et cohérente »
– Brochure de l’ECPA publiée en septembre 2017
En juin 2017, le lobby dégaine donc un ensemble de propositions ambitieusement intitulé « Proposition pour un schéma d’évaluation européen des risques pour les abeilles protecteur et applicable, basé sur l’EFSA Bee Guidance et d’autres données et approches disponibles »Croplife Europe - Juin 2017. Après être revenu sur les terribles conséquences de l’application des nouveaux protocoles d’évaluation des risques pour sa santé financière, le syndicat de l’agrochimie liste sur une trentaine de pages les modifications à apporter au Bee Guidance Document.
Parmi ces dernières figurent, encore une fois, la révision de l’objectif de protection et de la valeur seuil de la toxicité chronique pour les abeilles mellifères. Le lobby recommande également l’utilisation de BEEHAVE, un modèle en partie financé par Syngenta-ChemChina et censé simuler l’exposition et la réaction des abeilles aux molécules chimiques. L’ECPA, qui décline ces demandes en une courte brochure au design élégantBEE POLLINATOR RISK ASSESSMENT - PROPOSAL FOR A PRACTICAL APPROACH, fait ainsi la promotion d’une « approche pragmatique » opposée à la théorie des scientifiques indépendants, ignorant les problèmes et les réalités économiques des multinationales de l’agrochimie.
Le SCoPAFF maître d’orchestre
Pendant que l’agrochimie multiplie ses offensives, les discussions continuent tant bien que mal au sein du SCoPAFF, où les arguments de l’industrie continuent de résonner. En 2017, presque quatre ans après la publication des nouveaux tests abeilles de l’EFSA, la perspective d’une refonte du document-guide telle que réclamée par l’agrochimie commence à se frayer un chemin parmi les représentants des États membres. Cette réécriture, une fois actée, signerait l’arrêt de mort du Bee Guidance Document 2013 et la victoire éclatante des intérêts de l’agrochimie au détriment des abeilles et de l’intérêt général.
L’avancée funeste des idées du lobby industriel peut se suivre, pas à pas, au travers des 78 documents que POLLINIS a obtenus du SCoPAFF. Un représentant de l’autorité sanitaire britannique, par exemple, regrette dans un email du 19 avril 2017Document 46-2083 qu’une révision globale du document n’ait pas déjà eu lieu. Face à des exigences de l’EFSA qu’il juge « incertaines » ou « inapplicables », cet expert demande à la Commission de « mandater l’EFSA pour mener une révision du guide, afin de prendre en compte les développements scientifiques depuis sa première publication ». Il demande à ce que cette révision fasse l’objet d’une évaluation d’impact, « pour confirmer que [le document mis à jour] soit approprié et pratique », et que ses « bénéfices » justifient les « coûts » générés pour les entreprises comme pour les régulateurs.
En juillet de la même année, le représentant de l’Allemagne souligne lui aussi dans un long document envoyé aux membres du SCoPAFFDocument 22-2083 qu’il est « nécessaire de revoir certains aspects [du document-guide de l’EFSA], en particulier ceux qui traitent des objectifs de protection, des facteurs de sécurité et des valeurs seuils utilisées par l’EFSA ». Sa demande s’appuie sur les critiques émises par les représentants d’autres pays, dont le Royaume-Uni précédemment cité, l’Italie, la Hongrie et les Pays-Bas. L’expert néerlandais indiquait en effet, dans un message envoyé quelques mois plus tôtDocument 37-2083, que « la quasi-totalité des substances [échoueraient] au premier palier [de tests] », à cause d’une « valeur seuil de la toxicité chronique » supposément mal définie.
Dans ces échanges transparaissent les termes, les arguments et la stratégie de l’industrie. Si une refonte du document a lieu, ce groupe d’experts estime, comme l’agrochimie, qu’elle devra nécessairement inclure une révision des objectifs de protection et des valeurs seuils.
De compromis en compromis, l’enterrement des nouveaux « tests abeilles »
Après ces échanges du printemps 2017, les discussions qui ne reprennent qu’à partir de l’été 2018 marquent le début de la fin : l’EFSA Bee Guidance 2013, qui a pourtant déjà prouvé son efficacité en permettant l’évaluation de la toxicité réelle des néonicotinoïdes pour les abeilles, s’apprête à être enterré.
Les 19 et 20 juillet 2018Compte rendu de la réunion du SCoPAFF, la Commission européenne met sur la table un nouveau compromis revoyant à la baisse le plan en trois phases qu’elle avait proposé pour l’application des nouveaux « tests abeilles », à court, moyen et long termes : l’évaluation des risques pour les bourdons n’apparait par exemple plus dans la première phase. Malgré le soutien de la FinlandeDocument 25-2083, cette proposition est rejetée par la plupart des membres du SCoPAFF. Les représentants du Royaume-Uni, de la Roumanie, de la Lettonie, du Danemark, de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovénie affirment leur opposition totale à ce nouveau plan : la Commission ne va pas assez loin dans le renoncement.
La France n’est pas en reste. En accord avec la majorité de ses pairs, le représentant du ministère de l’Agriculture français, indique dans un avis partagé le 24 septembre 2018 que « pour pouvoir prendre en compte les nouvelles connaissances obtenues depuis la première publication du document en 2013, il serait nécessaire de mandater l’EFSA pour mener une mise à jour. Cela devrait inclure la réexamination des valeurs de référence pour la mortalité et les valeurs seuils », des arguments rappelant encore une fois les intérêts de l’industrie.
Quand le SCoPAFF se réunit à nouveau en octobre 2018Compte rendu de la réunion du SCoPAFF d'octobre 2023, la Commission européenne franchit un cap dans le compromis et propose une nouvelle version du plan d’application qui, vidé de sa substance, s’apparente maintenant à un plan de non-applicationLa nouvelle proposition a fait l’objet d’une analyse de POLLINIS en 2019PESTICIDES ET POLLINISATEURS : LA COMMISSION ET LES ÉTATS MEMBRES SONT-ILS EN TRAIN DE CÉDER AUX PRESSIONS DE L’AGROCHIMIE ? - P7 :
- Elle retire de la phase « à court terme », qui devait être déployée dès juin 2019, l’évaluation de la toxicité chronique (liée à l’exposition répétée à une substance pesticide) ainsi que l’évaluation de la toxicité sur les larves d’abeilles mellifères. Entre-temps, l’OCDE a pourtant publié les protocoles des tests nécessaires pour mener ces deux évaluationsL’OCDE publie en effet en 2016 et 2017 des protocoles d’évaluation de toxicité chronique et larvaire pour les abeilles mellifères, et de toxicité aigüe pour les bourdons. Site de l'OCDE– précisément le type de validation institutionnelle que réclamaient plusieurs membres du SCoPAFF. L’évaluation des risques pour les bourdons et les abeilles solitaires ayant déjà été écartée, cette phase de tests ne comprend presque plus aucune avancée par rapport aux protocoles déjà en place, exception faite de certaines voies d’exposition…
- La deuxième phase d’application est quant à elle repoussée « après la publication du nouveau document guide de l’EFSA », actant ainsi le projet de refonte proposé par l’industrie.
Dans son rapport Pesticides et pollinisateurs : la Commission et les États membres sont-ils en train de céder aux pressions de l’agrochimie ?, publié en 2019, POLLINIS a montré les reculs opérés par la Commission européenne.
À la fin de l’année 2018, la Commission européenne avait donc acté qu’elle cédait définitivement aux demandes des membres du SCoPAFF et qu’elle était prête à enterrer le document de l’EFSA. Mais ça ne suffisait pas : bon nombre des représentants du SCoPAFF vont pousser pour que la révision du document-guide ait bien lieu et qu’elle soit menée selon leurs attentes. On peut observer cette dynamique lors de la réunion que le SCoPAFF a tenu les 24 et 25 janvier 2019. C’est la seule réunion pour laquelle un compte rendu complet a été obtenu par POLLINIS, déniché en pièce jointe d’un email envoyé le 9 mars 2019Document 2-498 par le représentant de Malte à la Commission européenne.
Lors de cette réunion, la Commission rappelle la pression médiatique et les attentes des citoyens autour des nouveaux tests abeilles. Un tour de table est organisé pour recueillir les avis des membres du comité sur le plan d’application des nouveaux protocoles de tests et sur la proposition de révision, la Commission indiquant que le mandat qu’elle confiera à l’EFSA pour mener cette dernière sera présenté lors de la prochaine réunion.
La majorité des représentants font alors part de leur soutien à cette proposition rabotée. Le représentant du Royaume-Uni, fidèle à la position maintenue par le pays tout au long des négociations, est le seul expert à déclarer fermement son opposition. Il explique que le gouvernement britannique refuse de soutenir le Bee Guidance Document sans garantie sur son contenu : le pays veut s’assurer que le mandat qui sera confié à l’EFSA par la Commission sera suffisamment directif, pour que l’autorité sanitaire ne retombe pas à nouveau dans ses travers et ne propose pas une nouvelle proposition trop « conservatrice », c’est-à-dire, selon leurs termes, trop protectrice des abeilles…
Compte rendu complet de la réunion du SCoPAFF des 24 et 25 janvier 2018
« La Belgique a confessé que, bien qu’elle était en faveur de conserver l’évaluation du risque chronique, elle soutiendra la proposition de la Commission (…) »
« L’Espagne n’avait pas de position claire au sujet de l’application, et a indiqué qu’ils devaient vérifier avec leur hiérarchie pour le moment »
« Le Royaume-Uni a exprimé son inquiétude, les ministres n’étant pas prêts à signer un accord qui n’offre pas de garantie (…). Le Royaume-Uni n’a pas soutenu la proposition »
Les échanges de mails suivant cette réunion finissent d’achever les nouveaux protocoles d’évaluation des risques des pesticides sur les abeilles proposés par l’EFSA. La Commission mandate l’agence sanitaire européenne en mars 2019Outline of the revision of the Guidance on the risk assessment of plant protection products on bees ( Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees) (EFSA, 2013) pour qu’elle fasse une nouvelle proposition « en prenant en compte les retours des États membres et des parties prenantes sur le document de 2013 ». Elle lui demande également de « prendre en compte les discussions planifiées en cours, lancées par la Commission sur la définition d’objectifs spécifiques de protection environnementale, et de revoir le guide d’évaluation du risque en se basant sur les objectifs de protection qui feront l’objet d’un accord durant ce processus ». La Commission sonne ce faisant le glas de la proposition faite par l’EFSA presque 6 ans auparavant : l’EFSA Bee Guidance Document 2013 ne sera jamais mis en œuvre à l’échelle européenne.Elle tentera un dernier coup de force en essayant de faire appliquer la version rabotée du document guide et concordante avec les demandes de l’industrie, mais le Parlement Européen refusera fermement en octobre 2019.Communiqué de POLLINIS du 23 octobre 2019
Un crime presque parfait
Dans le dernier des 78 documents obtenus par POLLINIS, le représentant du Royaume-UniDocument 19-498, dans un ultime écho aux demandes de l’agrochimie, indique ne pas pouvoir soutenir une quelconque mise en place des nouveaux protocoles. Il l’explique dans un email envoyé le 18 juillet 2019 : « le réexamen du document de l’EFSA ne garantit pas [que l’objectif de protection de 7 %] soit révisé ou que ce pourcentage soit augmenté ».
Quatre ans plus tard, lorsque l’EFSA publie son nouveau document d’orientation en 2023Revised guidance on the risk assessment of plant protection products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees) 11 mai 2023, l’objectif de protection des abeilles domestiques, à savoir le taux de mortalité provoqué par un pesticide et acceptable pour une colonie, est désormais fixé à 10 %. Une victoire partielle pour l’industrie, donc, mais un moindre mal pour la protection des abeilles si l’on considère que l’industrie a longtemps souhaité inscrire dans le règlement européen qu’une mortalité de 20 à 30 % des colonies d’abeilles était naturelle, et qu’on ne pouvait l’imputer à l’utilisation massive de pesticides dans les champs. Cette modeste victoire est imputable en grande partie au contre-lobbying féroce mené par POLLINIS, au nom des citoyens qui la soutiennent et pendant toutes ces années d’obscures négociations.
Alors que cette enquête se conclut, la nouvelle mouture du Bee Guidance Document de l’EFSA a été mise à l’ordre du jour d’au moins quatre réunions du SCoPAFF, toujours aussi mystérieuses et opaques. Les comptes rendus partiels mis à disposition sur le site de la Commission européenneAgenda et compte-rendus partiels des réunions « phytopharmaceutiques » du SCoPAFF font état d’un potentiel vote en octobre 2024. Pendant toutes ces discussions, les positions et arguments des différents pays membres au sujet de la nouvelle proposition de l’Agence sanitaire ne sont toujours pas rendues publiques.
Alors que cette opacité fait du SCoPAFF un terrain de jeu privilégié pour les lobbys de l’agroindustrie et de l’agrochimie, les populations d’abeilles domestiques et sauvages continuent de s’effondrer. Les 78 documents obtenus par POLLINIS démontrent qu’aucune évolution réellement ambitieuse pour la protection de la biodiversité ne saurait être mise en place sans transparence des institutions européennes, et en particulier de ce comité technique qui concentre de nombreux pouvoirs sans jamais devoir rendre compte de ses décisions devant les citoyens.
Le SCoPAFF est un comité européen aux pouvoirs surdimensionnés. Dans le secret, les représentants des États membres de l’Union européenne prennent des décisions sur tout ce qui a trait à l’agriculture et l’alimentation.
Pour que ces choix ne se fassent pas au profit de l’industrie et au détriment de la biodiversité, le SCoPAFF doit être rendu transparent.
Comme près de 60 000 citoyens, signez la pétition de POLLINIS pour demander à libérer le SCoPAFF de l’emprise des lobbys, en rendant libre l’accès aux informations sur les membres du comité, leurs votes, les documents et comptes-rendus détaillés des réunions.