Pollinisateurs / Save local bees
QU’EST CE QU’UNE ABEILLE LOCALE ? – Interview de Lionel Garnery
Chercheur au CNRS et généticien de l’abeille, spécialiste de l’abeille noire (Apis mellifera mellifera) et président de la FEdCAN (Fédération européenne des Conservatoires de l’abeille noire), Lionel Garnery nous parle des différentes espèces d'abeilles locales et de la nécessité de leur offrir une protection juridique.
Les sous-espèces, nommées aussi races géographiques, correspondent à des populations adaptées à des conditions écologiques larges. Ce sont des populations en voie de spéciation. Les sous-espèces sont le fruit d’une évolution longue et complexe, impliquant l’isolement de populations pendant des périodes suffisamment longues pour que des différences apparaissent entre les isolats. En Europe, ce sont les glaciations du quaternaire qui ont largement contribué à la mise en place de sous-espèces chez un grand nombre de taxons européens. De nombreuses sous-espèces correspondent alors à des populations de refuges glaciaires. À la suite du réchauffement post-glaciaire, les populations ont alors recolonisé le nord de l’Europe, en s’adaptant à des conditions plus froides et à des écosystèmes différents. À ce titre, elles expriment souvent des différences morphologiques, anatomiques, physiologiques et parfois comportementales.
Quelles sont les races d’abeilles locales en Europe ?
Il y a environ une dizaine de sous-espèces ou races géographiques différentes en Europe. Les races iberiensis, ligustica, cecropia et caucasica correspondent aux races de refuges glaciaires. Les races mellifera, carnica macedonica, anatoliaca sont les races de recolonisation post-glacière. D’autres races se sont différenciées du fait de leur isolement sur des îles. C’est notamment le cas en Sicile (sicula), en Crête (adami) et à Chypre (cypria).
Pourquoi est-ce important de protéger toutes les races locales d’abeilles européennes ?
Chacune des races correspond sur le plan génétique à des combinaisons de gènes originales, passées à travers le filtre de la sélection naturelle. Chacune de ces races a subi des pressions de sélection naturelle correspondant à son environnement propre accentuant les différences déjà présentes liées à l’isolement initial. Chaque race correspond donc aux meilleures combinaisons de gènes en relation avec le climat et la flore locale et a l’avantage de cette pré-adaptation par rapport à des races allochtones. La conservation de l’ensemble des races en Europe a donc pour objectif de conserver l’ensemble des combinaisons de gènes optimales, pour chacun des environnement et climats européens.
La préservation du patrimoine génétique est-elle l’argument principal pour la protection des races locales ?
L’argument principal est de conserver l’adaptation des populations européennes de l’abeille mellifère aux différents écosystèmes européens. C’est en conservant le patrimoine génétique des différentes races que l’on conservera les différentes capacités d’adaptation des abeilles à un environnement changeant.
Pour empêcher la disparition des abeilles locales, la protection juridique européenne des races locales est-elle une mesure utile ?
Compte tenu de la complexité de l’apiculture européenne, et du fait qu’il s’agit d’une espèce d’intérêt agronomique, la conservation de la composante encore naturelle de l’espèce passe nécessairement par une protection juridique. Sinon cette composante naturelle d’adaptation risque de disparaître et il ne subsistera plus aucune population naturelle de cette espèce, capable de survivre en toute autonomie sans l’aide de l’homme.