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Pesticides / Tests abeilles

Tribune POLLINIS dans le monde : Il est temps d’arrêter le massacre des abeilles

Dans une tribune du journal Le Monde, Nicolas Laarman, délégué général de l’association POLLINIS, dénonce l’ajournement de nouveaux tests sur les effets des pesticides. Selon lui, ce recul reflète l’inaction des pouvoirs publics face aux lobbies, alors que la disparition des insectes butineurs constitue un enjeu de santé publique.

Date : 6 février 2019
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Tribune publiée par le journal Le Monde le 6 février 2019

Entre les bénéfices de quelques multinationales, les pollinisateurs et le vivant, les représentants des ministres de l’agriculture des pays européens viennent de trancher. Le 24 janvier, réunis au sein d’un comité technique de l’Union européenne, le comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation [en anglais Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed (Scopaff)], ils ont décidé d’enterrer un document fondamental qui aurait permis d’enrayer le déclin dramatique des pollinisateurs en Europe.

Pour les insectes butineurs, la nature en général, les citoyens et la démocratie en particulier, c’est un coup de grâce. Pour l’agrochimie, un coup de maître. Car cette décision irresponsable et scandaleuse couronne cinq années de lobbying intensif de sa part. Le document en question a été publié en 2013. Commandité par la Commission européenne à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et rédigé par un panel réunissant plus de trente scientifiques indépendants, il établit de nouvelles « lignes directrices » pour les tests d’homologation des pesticides.

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Qu’attend la France ? Déjà plus de 100 000 personnes ont signé notre pétition pour demander au gouvernement d’adopter les nouveaux « tests abeilles ». Photo abeille butinant des fleurs de pyracantha. Jacques Loic / Photononstop

Cette mise à jour permet de combler les graves et nombreuses lacunes du système actuel : tests de toxicité obsolètes et inadéquats, effets délétères non testés, conflit d’intérêt patent… Ce texte détaille les tests scientifiques indispensables pour évaluer correctement l’impact des pesticides sur les pollinisateurs avant leur mise sur le marché. Les lignes directrices préconisent de prendre en compte la contamination des insectes butineurs par le pollen, l’eau, les poussières, les effets des pesticides sur les larves, la toxicité chronique (exposition à de faibles doses sur le long terme), les effets sublétaux (troubles qui entraînent la mort à terme), les effets cumulatifs (l’accumulation d’une substance dans l’organisme)…

Impact des pesticides

Autant d’effets ignorés aujourd’hui ! Pour la première fois dans les protocoles, il est aussi question de tester les impacts des substances sur les bourdons et les abeilles solitaires, et non plus seulement sur les abeilles mellifères. Cette nouvelle batterie de « tests abeilles » permettrait de déterminer l’impact réel des pesticides de dernière génération, les pesticides systémiques, utilisés à partir des années 1990, et dont certains effets catastrophiques sur le vivant ne sont pas détectables par les tests actuels.

C’est ce qu’a montré la littérature scientifique indépendante, dévoilant une fois encore une pratique aberrante : les pesticides sont aujourd’hui autorisés sur le marché par les autorités sanitaires uniquement sur la foi d’études scientifiques menées par les firmes elles-mêmes, non soumises à comité de relecture et jamais publiées dans leur intégralité, rendant impossible toute contre-expertise.

Evidemment, les producteurs de pesticides ont beaucoup à perdre avec ces nouveaux « tests abeilles » : selon leur propre étude, publiée en 2018, s’ils étaient adoptés, 79 % des herbicides, 75 % des fongicides et 92 % des insecticides ne passeraient pas le premier niveau des tests (en laboratoire), notamment ceux concernant la toxicité chronique, ce qui impliquerait de mener des tests additionnels, compromettant potentiellement les autorisations de mise sur le marché et les profits colossaux qui en découlent.

Lobbying intensif

De fait, c’est en appliquant – de façon exceptionnelle – les « tests abeilles » aux insecticides néonicotinoïdes, que la Commission européenne a fini par interdire trois de ces molécules en 2018. On comprend l’intensité du lobbying contre le document de l’EFSA… On comprend moins la complicité des responsables politiques censés protéger notre alimentation, notre santé et notre environnement.

Depuis cinq ans, l’adoption des nouveaux « tests abeilles » a été mise 24 fois à l’ordre du jour du SCoPAFFqui l’a systématiquement bloquée et qui demande maintenant à la Commission de lui fournir de nouvelles lignes directrices plus conformes aux exigences de l’agrochimie. Derrière les portes closes du SCoPAFF, quels pays ont voté en faveur du blocage ? Pour quels motifs ? Impossible de le savoir : POLLINIS a demandé l’accès aux comptes rendus des délibérations à la Commission européenne, qui a refusé sous le prétexte que « ces informations ne relevaient pas de l’intérêt public supérieur » et que « les divulguer risquait de gêner le processus décisionnel de l’Union européenne ».

Ce refus est à l’origine d’une plainte en cours déposée par notre association auprès du médiateur européen. Car les agissements de nos gouvernements sur la question des pollinisateurs relèvent bien entendu de l’intérêt public supérieur : l’absence d’une évaluation adéquate met en péril les populations d’insectes pollinisateurs en France et dans les autres pays européens. Une étude récente montre que 75 % des insectes volants ont disparu en Allemagne en moins de 30 ans, un résultat généralisable à l’ensemble du territoire européen, selon les chercheurs.

Un tiers d’oiseaux en moins en zones rurales

D’après les dernières données publiées par la Commission européenne, « de nombreuses espèces de pollinisateurs sont éteintes ou menacées d’extinction ». Les abeilles domestiques et sauvages, les bourdons, les papillons, les syrphes et les bombyles disparaissent en silence…

tribune-le-monde-pollinisation-encadreCe déclin spectaculaire aura de graves conséquences sur la sécurité alimentaire. En Europe, environ 84 % des espèces cultivées dépendent de la pollinisation par les animaux. L’extinction des pollinisateurs déclenchera aussi une réaction en chaîne sur l’ensemble de l’écosystème. Déjà, le nombre d’oiseaux communs diminue à une vitesse effarante : en France, selon le Muséum national d’histoire naturelle, un tiers de la population d’oiseaux a disparu des zones rurales au cours des quinze dernières années.

Et pour cause : les insectes dont ils se nourrissent ont disparu. Face à cette catastrophe écologique, et puisque de graves dysfonctionnements de la démocratie bloquent l’adoption au niveau européen des « tests abeilles », POLLINIS demande au gouvernement français de prendre ses responsabilités et de réformer son système d’homologation.

En 2017, la Belgique a devancé les mesures européennes en adoptant une version mise à jour du document de l’EFSA. Ce pays vient non seulement de prouver que ces nouvelles procédures étaient réalisables, contrairement à ce que veut faire croire l’agrochimie, mais aussi qu’un gouvernement déterminé peut les mettre en œuvre sans attendre la validation de l’Europe. Qu’attend la France ? Déjà plus de 100 000 personnes ont signé notre pétition pour demander au gouvernement d’adopter les nouveaux « tests abeilles ». Cinq années ont été perdues, et des produits toxiques dévastateurs pour les butineurs continuent à être vendus sans être correctement testés. Il est temps d’arrêter le massacre.

Nicolas Laarman, délégué général de l’association POLLINIS, qui milite pour la protection des abeilles et des pollinisateurs sauvages.