Priorité à la vente directe

Véronique Sandelion se lance à 38 ans dans le métier d’agricultrice, en reprenant une exploitation de 48 hectares par le biais d’un CEFI (Contrat Emploi Formation Installation). Dans cette ferme du Tarn, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Castres, Véronique élève des brebis Romane en pâturage tournant, en garantissant l’autosuffisance alimentaire de son troupeau par la présence de cultures céréalières, de légumineuses et de prairies. La ferme a acquis le label AB en 2018 pour rassurer les clients, un atout important pour un système qui fonctionne essentiellement sur la vente directe. « Je voulais à la fois voir naître et livrer mes agneaux chez le client » affirme en effet celle qui, en dix ans d’exploitation, a vu le paysage se transformer positivement grâce à l’introduction de pratiques qui sortent du carcan de l’agriculture conventionnelle : « ici, en 10 ans, j’ai vu l’environnement de la ferme évoluer, les brebis ont nettoyé, elles ont ouvert certaines zones. Quand il n’y a pas de brebis, ce sont des zones qui se referment et il faut y aller avec des broyeurs après ».

Tout n’est pas rose pour autant :  Véronique Sandelion peine encore à dégager un revenu. Mais elle ne regrette nullement les choix qu’elle a faits pour sa ferme : « malgré des résultats économiques qui ne sont pas encore super intéressants, je reste globalement satisfaite » conclue-t-elle.

Caractéristiques de la ferme :

  • Lieu : commune de Brousse (Tarn)
  • Superficie : 48 hectares
  • Date d’installation : 2009
  • Production : brebis Romanes, cultures diverses pour assurer l’autosuffisance alimentaire du troupeau (orge, féverole, seigle, triticale, pois, vesce,…) et prairies.

Points forts :

  • La taille réduite des parcelles avec, entre chacune d’elles, une petite haie favorisant la diversité de la faune sauvage.
  • La présence de prairies naturelles en multi-espèces.
  • Un pâturage tournant avec une rotation sur 7 ans (4 années de prairies et 3 années de cultures).
  • L’importance des surfaces d’intérêt écologique (SIE) et l’abondance des espèces mellifères. 
  • La non-utilisation de produits phytosanitaires.
  • La préférence donnée à la vente directe.

Les freins pour la transition agricole :

Pour la ferme :

  • Le temps long, nécessaire à l’installation d’un système rentable, cohérent et complet :

« Rome ne s’est pas faite en un jour, et une ferme, ça ne se met pas en place tout de suite. Au bout de 10 ans, j’arrive à stabiliser un peu le troupeau et à avoir le temps et la disponibilité intellectuelle, matérielle, financière, pour réfléchir un petit mieux sur la gestion des parcelles. »

 

  • La diversité des sols, qui complique le travail d’entretien : « Sur la ferme, on a plein de sols différents, y compris au sein d’une même parcelle. (…) Il y a des sols où il faut intervenir dès qu’ils sont un peu humides et ne surtout pas attendre que ça se colmate, ; il y en a d’autres où il faut attendre un peu (…) On a un peu de tout quand même sur l’exploitation et le travail du sol est compliqué. »
  • Les limites de la fertilisation animale dans le cadre de l’élevage ovin : « C’est sûr que je ne produis pas beaucoup de fumier parce que les brebis ne restent pas tant de temps que ça en bergerie et donc ce sont certainement des sols un peu pauvres. »
  • La difficulté à dégager un revenu :

« En 2017, pas de revenu et pour 2018, les ventes sont presque terminées, il me reste juste un agneau à abattre dans 15 jours. La PAC a été versée la semaine dernière, donc je pense que je vais réussir à me dégager 200 € par mois. »

 

  • Des prix trop bas par rapport aux coûts de production : « Pour la viande, je ne suis pas totalement satisfaite… Mais il y a une adéquation entre le prix de vente et le pouvoir d’achat des clients, il ne faut pas non plus faire n’importe quoi ! L’agneau est une viande qui coûte cher à produire : les ovins, c’est ceux qui font le moins de viande par rapport à ce qu’ils mangent. Mais on ne peut pas se permettre de le vendre trop cher car ça reste une viande particulière et on ne mange pas de l’agneau comme on mange du poulet ou du porc. »
  • La menace permanente du manque d’eau« Le Tarn est un département séchant donc, forcément, les enjeux sont importants.(…) Cette année, il a arrêté de pleuvoir le 10 juin, et il a replu la semaine dernière, c’est-à-dire le 10 octobre ! Donc 4 mois où on n’a pas eu d’eau, mis à part 1 mm qui tombait de temps à autre, même pas de quoi mouiller la poussière ! »

Pour le développement d’une agriculture alternative :

  • Les incohérences des contrôles administratifs, qui affaiblissent la compétitivité des productions « raisonnées » face à l’importation de viandes à la traçabilité douteuse :

« La catastrophe du système agroalimentaire, pour moi, ce ne sont pas les petits éleveurs mais les gros industriels. Les arrivées de camions entiers d’agneaux de Roumanie qui ne sont même pas bouclés ; ça, c’est un problème pour la traçabilité de la viande… Alors que nous, on vient nous compter nos boucles pour être sûr que chaque brebis ait bien 2 boucles, et s’il en manque une, attention ! »

 

  • Les incohérences du cahier des charges de l’agriculture biologique et l’absence de contrôle sur l’application de ses requis : « Regardez pour les déchets : le cahier des charges de l’AB n’intègre pas cette gestion, qu’on balance les ficelles dans un trou du bois ou qu’on les mette dans un sac à recycler, ça ne change rien. Mais au-delà du cahier des charges, le problème, c’est surtout au niveau des contrôles. (…) Aujourd’hui, les contrôles sont faits juste sur des déclarations, sur la bonne foi de l’agriculteur. »
  • Le poids d’une formation agricole formatée par les préceptes de l’agriculture conventionnelle : « Il y a évidemment le poids d’une formation agricole fondée sur un discours intensif. Pendant ma formation, on ne nous parlait pas de transition en agriculture biologique, de préservation des sols ou de l’eau… On était dans un schéma où il fallait cultiver plus, sans se préoccuper des sols puisque que la chimie était là. »
  • Des chambres d’agriculture qui ne sont pas du tout disposées à favoriser le développement d’un autre modèle agricole :

« La chambre d’agriculture ne privilégie pas les exploitations à taille humaine, celles qui sont en cohérence avec l’économie et la valorisation locales. Elle préfère avoir une grosse ferme plutôt que de conserver 3 petites exploitations. »

Les leviers pour le changement de modèle :

  • Valoriser les CEFI (Contrat Emploi Formation Installation), qui facilitent les conditions d’installation : « Le CEFI est un très bon compromis qui permet au repreneur de prendre connaissance des lieux et au cédant de se détacher progressivement. »
  • Valoriser les CUMA qui permettent le partage d’outils agricoles mais aussi valoriser les groupements plus informels d’agriculteurs pour le conseil et l’entraide : « En dehors de la CUMA, il y a ce groupe d’éleveurs avec qui on travaille depuis 3 ans maintenant. On se voit deux fois par an et on fait le point sur des chiffres économiques. On essaye aussi de voir ce qui est bien chez l’un et si c’est possible de transposer ça chez l’autre. Cela génère aussi de l’entraide quand on a des difficultés sur nos fermes, de l’échange sur des informations techniques. »
  • Promouvoir les techniques de gestion des pressions sans chimie ni travail excessif de la terre : « Je ne laboure pas et une fois que j’ai semé, je ne touche plus à ma culture, je ne passe pas de herse, pas de désherbage, rien du tout. Ce qui veut dire qu’il faut que je travaille entre la moisson, la récolte et le semis. Donc, je fais des faux semis, je gratte, je gratte et je fais pâturer les brebis sur les chaumes. Elles retirent de la biomasse, elles en laissent un petit peu derrière, cela me permet quand je passe avec les cultivateurs de ne pas être trop embêtée avec toutes ces herbes. »
  • Développer un réseau technique d’aide et de conseil à l’agriculture biologique :

« Les produits agrochimiques ont été créés par des industriels, qui ont aussi développé tout le réseau technique qui va avec… Nous, dans le bio, on n’est pas de gros clients et donc le réseau technique de conseil n’est pas intéressé. Un technicien ne vient pas que pour faire du conseil, sans rien vendre, ça, personne ne le fait dans le bio. »

Images : V.Chapuis/POLLINIS