La high tech est dans la nature

Ex-officier dans la Marine, Jérôme Dehondt s’est d’abord investi dans le mouvement des AMAP (Associations de maintien de l’agriculture paysanne) avant de franchir le pas et de devenir lui-même paysan, inspiré par les principes de la permaculture. Sa ferme s’étend aujourd’hui sur une petite douzaine d’hectares dans la commune de Durtal (Maine-et-Loire), sur laquelle poussent des légumes, des arbres fruitiers, des baies et des céréales. On y trouve aussi des prairies pour une production fourragère ainsi que quelques poules pondeuses.

Jérôme Dehondt « pioche » dans les outils de l’agroécologie, non seulement sur le plan des techniques agronomiques mais aussi pour donner à son projet une dimension humaine et sociale qui permet de l’intégrer au territoire. Son mot d’ordre : l’autonomie. Il ne dépend ni des intrants chimiques ni de la surmécanisation. La ferme s’appuie sur des sols et des écosystèmes « vivants » pour favoriser une régulation naturelle des pressions sur les plantes. Toutes ses productions sont vendues en circuits courts – maximum un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur – et surtout localement, grâce à la vente à la ferme et aux paniers de l’AMAP locale. Ce rapprochement avec les citoyens-consommateurs permet d’échanger sur les modes de production, de recréer du lien à la terre et aux aliments. Il fait naître aussi un sentiment de reconnaissance pour le métier de paysan et de satisfaction pour celui qui l’exerce.

Caractéristiques de la ferme :

  • Lieu : commune de Durtal (Maine-et-Loire)
  • Superficie : une petite douzaine d’hectares
  • Date de création : 2012
  • Production : 60 espèces potagères (carottes, échalotes, engrais verts, fèveroles, pois, mange-tout, chou-fleur, brocoli, fève, haricot,…) et 200 variétés ainsi que des céréales, plantes aromatiques et médicinales, fruits, œufs,…

Points forts :

  • Travailler sur des sols « vivants », riches en micro-organismes (champignons, bactéries, levures…), en utilisant différentes techniques : non-travail du sol, paillage, couverture du sol, maintien des mêmes familles de plantes sur les parcelles pour préserver une faune et une flore spécifiques, préservation de la rhizodéposition… Plusieurs techniques pour un objectif : développer la vie des sols pour optimiser les interactions sols-plantes.
  • Travailler la diversité : il y a 60 espèces et environ 200 variétés de plantes potagères à la Ferme des petits pas, auxquelles il convient d’ajouter des cultures de céréales, des PAM (plantes aromatiques et médicinales), des fruits, des engrais verts… Cette diversité participe largement à la résilience du système tout en répondant aux besoins des consommateurs.
  • Promouvoir la biodiversité pour permettre l’autorégulation des ravageurs : avec le maximum de biodiversité et des agroécosystèmes complexes, les régulations naturelles peuvent se mettre en place.
  • Favoriser les habitats et les ressources florales pour les pollinisateurs : maintien des souches mortes, plantation de haies constituées de petits fruitiers, maintien de la flore spontanée.
  • Travail d’expérimentation et d’échanges entre pairs avec le réseau Maraîchage sol vivant.

Les freins pour la transition agricole :

Pour la ferme :

  • Freins économiques. Jérôme ne parvient pas encore à se dégager un salaire :

    « J’arrive à payer mes traites, ce qui est déjà pas mal, et j’arrive à couvrir mes charges opérationnelles mais,
    pour l’instant, je ne me verse pas de salaire. »

 

  • Freins logistiques pour répondre aux commandes publiques, pour lesquelles la valorisation reste pour l’heure plus faible qu’en vente directe.

Pour le développement d’une agriculture alternative :

  • Freins cognitifs face à la complexité des systèmes, là où l’agriculture conventionnelle a, au contraire, tendance à simplifier et homogénéiser les cultures. « On a créé un truc, on a formé des gens, on a mis des gens dans un système où, du coup, ils n’ont plus la capacité cognitive d’imaginer autre chose. Donc, quand bien même on arriverait avec un truc alternatif, même servi « sur un plateau », ça ne passerait pas. Parce qu’il manque des outils cognitifs pour pouvoir aborder ces sujets-là et surtout pour pouvoir les prendre en main. »
  • Persistance du mythe du rendement : « Pour moi, cette notion, ce n’est pas un bon indicateur de la bonne santé d’une ferme. À la rigueur, c’est un indicateur pour la mauvaise santé d’une ferme, parce que, le plus souvent, les fermes qui sont au plus mal sont hyper productives mais, du coup, hyper dépendantes, zéro autonomie et des sols dans une santé exécrable… »
  • Enseignement agricole insuffisant
  • Influence trop forte des syndicats majoritaires sur les politiques.

Les leviers pour le changement de modèle :

  • Introduire de la diversité dans l’enseignement agricole : « Pour moi, le levier principal, il est au niveau de l’enseignement agricole parce que, même si ce n’est pas un passage obligé, il y a quand même pas mal de monde qui passe par là, ne serait-ce que pour avoir une reconnaissance, un diplôme. Il faut d’abord convaincre sur le plan politique, et puis après convaincre l’enseignement agricole et ceux qui y interviennent. Pour ce faire, je pense que le mieux, ce serait d’introduire de la diversité, des enseignements qui portent sur l’écologie des systèmes, sur la botanique, des choses très variées, en laissant de la place aux pratiques alternatives comme la permaculture, par exemple. »

« Pour moi, le levier principal, il est au niveau de l’enseignement agricole… »

 

  • Développer la vente locale en circuits courts (AMAP, vente directe ) : « Moi, au départ, ma démarche est avant tout nourricière : fournir aux gens, à commencer par ma famille mais aussi les gens de ma communauté, de quoi se nourrir. Ce qui m’intéresse, c’est « est-ce que mes légumes vont participer à la bonne nutrition des gens ? » (…) Mes débouchés, c’est l’AMAP et les personnes qui viennent sur la ferme (…). Les gens qui viennent sont hyper attachés, et à chaque fois ils ne viennent pas seulement acheter les légumes. Ils vont dans les jardins, ils vont voir les poules et c’est une des dimensions qui parfois leur tient plus à cœur qu’à moi parce qu’ils ne peuvent pas l’avoir dans leur vie quotidienne. »
  • Promouvoir des labels participatifs comme Nature et Progrès, qui intègrent le consommateur et les pairs, ainsi qu’une dimension sociétale en plus des aspects environnementaux. « La mention Nature et Progrès, dont je bénéficie sur tout ce qui est végétal, cela permet de souligner toutes les autres dimensions qui me manquent dans le label AB et qui reflètent les motivations initiales de mon implication dans le mouvement des AMAP, notamment toutes les dimensions sociétales, et pas seulement environnementales. Ça apporte aussi autre chose : la démarche participative. On ne s’appuie pas uniquement sur un organisme certificateur tiers, mais sur un « système participatif de garantie » : on réalise des enquête sur les fermes, avec à chaque fois au minimum un binôme avec un producteur et un consommateur. »

« On ne s’appuie pas uniquement sur un organisme certificateur tiers, mais sur un « système participatif de garantie » : on réalise des enquête sur les fermes, avec à chaque fois au minimum un binôme avec un producteur et un consommateur. »

 

  • Favoriser l’échange entre pairs, au sein de réseaux comme Maraîchage sols vivants : « C’est avant tout un réseau de praticiens, essentiellement des maraîchers avec lesquels la dimension de recherche n’est pas négligeable. On a affaire à des gens qui ont un bon bagage scientifique, la plupart du temps, et qui expérimentent sur leur ferme. Ça tourne beaucoup autour des questions d’engrais verts, d’agroforesterie, de non-travail du sol… »
  • Travailler en lien avec le territoire pour répondre à des besoins communs. Dans le cas de la Ferme des petits pas : travailler avec la communauté de communes pour créer un magasin de producteurs et construire un Projet Alimentaire Territorial (PAT) : « Même si je pense que ça se joue surtout au niveau des mouvements citoyens, les PAT, c’est vrai que c’est un bel outil. Il faut que les collectivités territoriales s’en emparent bien, à commencer par les communautés de communes. »
  • Réintroduire la place du citoyen dans les décisions politiques liées à l’alimentation afin que les citoyens puissent avoir leur mot à dire sur le modèle agricole de leur territoire, sur le modèle des Food Councils développés en Amérique du nord. « Dans une réflexion avec l’AMAP est aussi venue l’idée de ce que l’on pourrait appeler des « conseils alimentaires territoriaux » ou quelque chose comme ça. L’idée, ce serait justement de faire participer les citoyens à la gouvernance alimentaire. Cela reprend un peu le concept des Food Councils que l’on trouve en Amérique du nord. »
  • Miser sur les équilibres naturels : « Pour moi, la high-tech est dans la nature ! C’est elle qui est vraiment d’une très très haute technologie, et j’ai l’impression qu’on essaye de copier et de s’inspirer mais qu’on reste toujours en dessous. Je pense que dès qu’on passe dans un certain niveau de technologie, on n’est plus autonome, on devient dépendant, en terme de fourniture de pièces, en terme d’intervention etc. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas ponctuellement s’appuyer sur de la high-tech, mais il faut qu’on puisse ne pas en dépendre. »

« Pour moi, la high-tech est dans la nature !
C’est elle qui est vraiment d’une très très haute technologie, et j’ai l’impression qu’on essaye de copier et de s’inspirer, mais qu’on reste toujours en dessous. »

Image P.Besnard/POLLINIS