L’autonomie de la ferme comme enjeu majeur

En 2008, Félix Noblia reprend la ferme conventionnelle de son oncle (élevage et maïs ensilage). Il crée alors des filières locales pour valoriser ses produits et propose de la vente directe pour la viande. Il décide ensuite d’arrêter le labour. Cette pratique de retournement d’une couche de sol est peu à peu abandonnée en agriculture de conservation car elle présente des inconvénients à long terme : dégradation de la biodiversité du sol (vers de terre en particulier) et création, sous la partie labourée, d’une couche compacte qui étouffe le sol (semelle de labour). Il passe aussi au semis direct, qui consiste à introduire les graines en surface du sol par des ouvertures très locales du sol, sans labour préalable. Puis, il franchit le cap et s’engage dans la conversion en bio en 2016, avec l’aide d’une association de développement de l’agriculture paysanne et durable pour les aspects techniques. Sans travail du sol, il gère les mauvaises herbes exclusivement grâce aux couverts végétaux, c’est-à-dire qu’il cultive, de manière temporaire entre deux cultures de production, des plantes destinées à protéger les sols contre l’érosion, l’envahissement des « mauvaises herbes»… Une fois coupés, ces végétaux peuvent être laissés sur le sol pour l’enrichir en matière organique. Il expérimente pour trouver un couvert adapté à chaque culture : la paille du couvert repose ensuite sur le sol, et empêche la levée des mauvaises herbes.

Pour Félix Noblia, la recherche d’autonomie sur la ferme constitue un enjeu majeur : les sols doivent s’autofertiliser grâce aux couverts végétaux qui les nourrissent et les protègent. Il associe des cultures avec des bénéfices réciproques : amélioration de la composition nutritionnelle, meilleure résistance aux épisodes de maladies et aux ravageurs. Pour Félix Noblia, les sols en bonne santé limitent les problèmes d’insectes, de champignons et de maladies. L’élevage de race bovine rustique (angus) adaptée à l’extérieur permet également de réduire les problèmes sanitaires.

Caractéristiques de la ferme :

Lieu : Bergouey-Viellenave (Pyrénées-Atlantiques)
Superficie : 100 hectares
Date d’installation : 2008 (reprise de la ferme de son oncle)
Production : élevage de vaches (blondes d’Aquitaine et angus) et cultures diverses (orge, soja, blé, maïs, seigle forestier, féverole, sorgho…)

Points forts :

  • Travail du sol minimal et pratique du semis sous couvert végétal afin de bénéficier d’un « couvert vivant » avant le dépôt des semences.
  • Pâturage tournant dynamique, avec rotations diversifiées pour diminuer le travail du sol.
  • Présence de haies assurant aux pollinisateurs une floraison bien étalée sur l’année.
  • Valorisation de la production dans des filières courtes.

Les freins pour la transition agricole :

  • Un système de semis sous couvert innovant mais qui n’est pas encore parfaitement « rodé » : « Il y a des choses sur lesquelles je ne suis pas encore complètement calé. Est-ce qu’il vaut mieux un couvert systématique, où on va faire tout le temps le même couvert en été, tout le temps le même couvert en hiver et, suivant ce qu’il y aura dedans, on va semer telle ou telle plante derrière ? Ou est-ce qu’il faut plutôt à chaque fois adapter un couvert à la culture qu’on envisage de semer ensuite ?… »
  • Un rendement qui reste inférieur à celui de l’agriculture « conventionnelle » :

« Je ne suis pas encore satisfait de mes rendements, parce que je voudrais arriver à faire des rendements d’agriculture conventionnelle en bio et en semis direct. Les mêmes que ceux que j’avais avant, mais avec un objectif « sans phyto, sans engrais ». »

  • Le coût des semences nécessaires pour créer une variété végétale qui permette d’augmenter le taux de matière organique dans les sols : « Pour ça, il faudrait arriver à avoir, dans des parcelles assez grandes, une bande tous les 100 mètres qu’on en travaillerait pas trop pendant quatre ou cinq ans, et décaler cette bande au bout de quelques années (…). Mais il faut au moins 200 espèces végétales sur la bande et cela coûte cher en semences. »
  • Le coût des engrais verts, investissement difficile à valoriser : « En agriculture, dans une gestion pragmatique, on ne se met pas de contraintes sans valorisation possible. Sinon, on se coule. Si on achète des engrais organiques, il faut bien voir que l’azote coûte 2,50 euros l’unité. Donc si on met 200 unités, on met 500 euros. Sur de l’urée, si on met 200 unités, il faut mettre 150 euros à peu près. C’est dix fois trop cher par rapport à ce que ça rapporte ! Et encore : ça, c’est ce qu’on va poser sur le sol, sur le couvert qu’on vient de rouler. La quantité qui va être disponible sur les plantes va être beaucoup, beaucoup plus faible. Le sol stocke, c’est très bien mais ça reste un investissement considérable. »
  • La transition vers une production bio peut apparaître comme difficile à mettre en œuvre pour certaines cultures comme le blé :

« Le moment où la plante a le plus de besoins, au stade où l’épi fait 1 cm, c’est aussi celui où le sol minéralise le moins. En d’autres termes, le moment où il y a le moins de bouffe disponible, c’est le moment
où il y a le plus de besoins ! »

 

  • Les insuffisances de la labellisation bio, qui créent un véritable flou et une distorsion de concurrence selon l’origine des produits : « Il ne faut surtout pas laisser la capacité aux États membres de faire ce qu’ils veulent chez eux. Pour moi, il faut un label fort, européen, sur un marché très surveillé avec de véritables contrôles sur les produits dits bio qui viennent d’ailleurs. (…) Quand on a des bananes de République dominicaine bio qui sont davantage traitées que les bananes conventionnelles de Guadeloupe, ce n’est pas normal. »
  • La fixation des prix : « Certes, c’est moi qui choisis où je vends mes produits mais, pour l’instant, je ne les vends pas tout le temps au prix que j’aimerais. »
  • Un marché irrationnel : « On produit largement assez de nourriture pour nourrir trois fois le nombre d’habitants qu’il y a sur terre, sauf qu’on choisit d’affamer une partie de la population pour maintenir les cours et les marchés. »
  • L’énergie gâchée par l’accumulation de normes et règlements : « On passe de plus en plus de temps à faire des normes et des réglementations, pour les vérifier et les contrôler, au lieu d’aider le système à changer, avec des choses qui seraient plus facilement vérifiables, contrôlables. »
  • La difficulté persistante de l’accès aux techniques agricoles alternatives, faute de temps ou d’aide à l’orientation dans les propositions disponibles.
  • La frilosité des politiques publiques, au-delà des discours volontaristes sur l’innovation.

Les leviers pour le changement de modèle :

  • Accompagner la demande de changement. Il existe une véritable attente sociale pour une agriculture différente, attente qu’il s’agit de mieux documenter et orienter :

« On peut aller dans un sens meilleur mais, pour ça, il faut reconnecter le monde rural et les citoyens. Montrer que l’agriculture, ce n’est pas forcément ce qu’on voit dans les salons, où les vaches sont chaque année plus grosses. »

 

  • À côté des salons « institutionnalisés », d’autres manifestations peuvent donner à voir cette agriculture d’un nouveau type : « Au Pays basque, on organise un salon qui s’appelle Lurrama, où on reçoit un peu plus de 25 000 visiteurs par an sur trois jours. Ça se passe au mois de novembre et c’est le salon de l’agriculture paysanne, c’est une vraie vitrine pour les cultures paysannes. C’est un truc super avec plein d’animations. Il y a 750 bénévoles et 4 000 couverts qui sont servis ! »
  • Promouvoir le non-travail du sol, premier levier pour un changement réellement significatif selon Félix Noblia : « En 20 ans, en récupérant 2 points de matière organique sur l’ensemble du territoire, avec l’obligation de faire des couverts et tout ça, on peut avoir 10 % de la surface qui va servir uniquement à produire des semences de couvert. Mais le reste de la surface va commencer à exploser en productivité. »
  • Promouvoir le développement de modèles participatifs, élaborés en collaboration avec des instituts de recherche :  « Je vais démarrer un nouveau projet de modélisation participative des techniques de semis sous couverts en agriculture biologique. Cela se fera sous la forme d’un site internet dans lequel chaque institut, agriculteur ou organisme renseignera les essais qui sont faits, en fonction de plein de critères : température du sol, type de couvert, hauteur de biomasse… L’idée, c’est de faire du “big data” le plus vite possible, modéliser en fonction de la situation météo et des paramètres pédoclimatiques. »
  • Encourager la participation à des formations, côté formateur ou côté apprenant : « J’ai participé à des formations avec des agronomes français genre Frédéric Thomas, Konrad Schreiber, Lucien Seguy, qui sont des pointures de l’agronomie. Mais maintenant, c’est plutôt de la formation collaborative dans laquelle j’apporte aussi. »
  • Mettre en lumière l’existence de filières de valorisation locales (Uztartu et sa marque Herriko au Pays basque).
  • Diffuser la connaissance par la présence et l’échange sur les réseaux sociaux.

Images E. Baradat/POLLINIS