Un modèle d'association culture-élevage

Après avoir passé plusieurs années dans le secteur du pétrole, Jean Lefaucheux change de cap et reprend la ferme familiale en 1995. Installé en pays de Bray, une région de tradition herbagère, il possède 120 hectares. Il cultive ses pommes sur 55 hectares, dont 1 consacré à la culture de pommes de table, le reste étant dédié aux pommes à cidre. Les prairies s’étendent sur 65 hectares. Les moutons sont à l’extérieur toute l’année, un modèle de pâturage extensif, que son père avait découvert lors d’un voyage dans les Highlands en Ecosse. Le pâturage des moutons entre les rangs de pommiers fait la singularité des Vergers de Mothois et constitue un exemple réussi d’association culture-élevage.

Pour limiter la pression des maladies comme la tavelure et la carpocapse, Jean Lefaucheux choisit des variétés résistantes et veille à garder une certaine distance entre ses arbres. Il observe beaucoup ses vergers et ses animaux, surveille la présence d’insectes ravageurs, et a parfois recours au biocontrôle, avec des pièges à phéromones. Il a planté de nombreuses haies en reprenant l’exploitation, pour créer des réservoirs à insectes et protéger les vergers. Avec 15 variétés de pommiers différentes, et diverses essences dans ses haies (saules, sureau…), la floraison et la récolte sont étalées sur l’année, ainsi que les ressources mises à dispositions pour les pollinisateurs. Jean Lefaucheux atteint presque 100 % d’autonomie alimentaire pour ses moutons, grâce au pâturage, au foin et à l’herbe, et complète cette ration par quelques betteraves qu’il achète localement, chez un voisin agriculteur.

Caractéristiques de la ferme :

  • Lieu : Saint Quentin des Prés (Oise)
  • Superficie : 120 hectares
  • Date d’installation : 1995 (reprise d’une ferme familiale)
  • Production : pommes de table, pommes à cidre, moutons

Points forts :

  • Un modèle d’association culture-élevage : le pâturage des moutons dans les vergers de pommiers remplace l’usage de désherbant et réduit la présence de parasites car les moutons mangent les pommes malades tombées trop tôt.
  • Le choix de variétés résistantes et d’une plantation moins dense pour limiter la pression des maladies et des ravageurs.
  • La plantation et l’entretien de haies pour constituer des réservoirs pour la faune auxiliaire.
  • L’utilisation de Préparations Naturelles Peu Préoccupantes (PNPP) sur la base du catalogue des produits homologués bio.
  • La présence de neuf ruches au centre de l’exploitation, avec le souci d’assurer aux pollinisateurs une floraison bien étalée sur l’année.

Les freins pour la transition agricole :

Pour la ferme :

  • Une ferme viable économiquement mais qui reste encore dépendante des aléas naturels : « Il faut pouvoir, quand il y a un coup dur, réduire la voilure. J’avais deux saisonniers l’année dernière, je n’en ai plus qu’un à cause de l’épisode de gel, l’autre est parti de lui-même et je ne l’ai pas remplacé. »
  • La dépendance aux aides de la PAC : « Je dépends des aides de la PAC. Ça, malheureusement, surtout en années creuses comme on a eu dernièrement, la part d’aides PAC prend de l’importance et on est soulagés d’avoir ça comme amortisseur. Sur un CA d’à peu près 300 000 euros, les aides PAC c’est 30 000 euros, soit 10 % environ. »

Pour le développement d’une agriculture alternative :

  • La disparition des haies et du paysage de bocage :

« Un peu partout, le bocage a tendance à se restreindre autour des habitations et des surfaces agricoles. Il y a de moins en moins de prairies, c’est cultivé partout. Ce n’est pas ma façon de voir l’agriculture mais quand on fait du blé ou du maïs, les haies sont plutôt une gêne qu’autre chose. »

 

  • L’absence de produits curatifs en bio : « En bio, on n’a presque que du préventif. En curatif, il n’existe pas de produits bio connus efficaces. Il y a bien la bouillie sulfocalcique qui serait très intéressante mais qui n’est pas encore homologuée. »
  • Sur certains marchés, la demande insuffisante pour inciter au passage en bio : « L’élevage ovin n’est pas en bio. J’en suis pourtant très proche et il y aurait peu de choses à changer dans mon système mais le marché n’est pas demandeur. Si je n’ai pas de débouchés pour ça, je n’ai que les contraintes, sans la valeur ajoutée. » 
  • La dépendance persistante aux énergies fossiles : « Le jour où on vendra des tracteurs électriques, je serai candidat ! Mais en attendant,  je suis dépendant, ça c’est certain ! Je n’ai pas de gros tracteur ici, mais en conso de fioul je dois être entre 6 000 et 7 000 litres par an pour l’exploitation. Toute la récolte de pommes à cidre est mécanisée, ça, je ne pourrais pas me passer de gasoil à cette époque-là. »
  • Le surcoût entraîné par la non-utilisation d’engrais chimiques : « Remplacer les engrais chimiques par de la fiente c’est un surcoût ! Et un surcoût en mécanisation là aussi, parce qu’entre épandre 200 kg d’engrais chimiques ou 2.5 tonnes de fiente à l’épandeur par hectare, ce n’est pas pareil. C’est beaucoup plus long et coûteux. »
  • L’organisation des marchés agricoles :

« Il faut tout changer parce que là ça ne va pas. Tout part de là. »

 

Les leviers pour le changement de modèle :

    • Favoriser le développement de nouveaux outils de prévention pour les maladies comme la tavelure : « Pour la tavelure, j’utilise un réseau qui s’appelle RIMpro, qui permet de gérer les maladies à partir des prévisions météo, et d’observations en labo qui sont croisées pour ensuite recevoir l’info. Cela me permet de décider d’un traitement préventif ou curatif, avec des produits homologués bio. »
    • Favoriser la prise en charge collective de la surveillance des pressions : « On travaille en groupe par l’intermédiaire de la coopérative et d’un CETA, (Comité d’études et de techniques agricoles). On finance un technicien qui nous conseille sur la lutte phytosanitaire pour la protection des vergers. Et c’est par ce CETA qu’on a créé la station météo, et la coopérative a monté une organisation de production qui finance cela de façon collective. »
    • Favoriser la prise en charge du recyclage par le réseau coopératif :

« Pour les enrubannages, la coopérative les récupère et c’est recyclé par une filière. Et tout ce que je jette est recyclé, les bidons sont collectés par une coopérative avec laquelle je travaillais du temps où je cultivais du blé et du colza, sur des champs qui ont été convertis en prairies et vergers depuis. »

 

    • Accompagner la promotion des énergies renouvelables par le développement de la filière photovoltaïque sur site : « Il y a une installation photovoltaïque de 40 kW qui date de 2010, et une autre plus petite de 9 kW qui date de 2016. L’électricité, on en consomme pour la chambre froide qui reste branchée 24 h sur 24 mais consomme de façon intermittente. L’électricité est vendue à EDF à un tarif subventionné plus cher que le tarif de conso, surtout pour l’installation de 2010 où c’était 60 centimes du kW alors qu’on l’achetait 15 centimes à peu près. Donc ça part sur le réseau, et je rachète… C’est comme ça que ça a été pensé et ça a été efficace pour lancer le marché photovoltaïque. Pour l’installation de 2016, le tarif a été divisé par deux mais les panneaux ont coûté moitié moins cher. Ça reste équilibré et ça permet de développer la filière, donc ça a été plutôt réussi comme politique. »
    • Mettre en valeur la « bascule » favorable des aides à la conversion bio :

« La conversion bio change la donne : là, pendant 5 ans je touche 37 000 euros supplémentaires par an d’aides à la conversion. C’est spécifique aux vergers ; c’est 900 euros par ha et par an. Sans cela, j’avoue qu’avec l’épisode de gel qu’on a eu, ça aurait été très compliqué. »

 

    • Mettre en valeur des charges inférieures par rapport à l’agriculture « conventionnelle » : « Dans le groupe, on fait des analyses de charges, et je sais que je suis très bas en charges verger, notamment en terme de de mécanisation, de pression, de traitements etc. J’ai des charges très inférieures à celles de mes voisins, et même si je produis moins, j’ai des marges supérieures ou au moins équivalentes. En élevage ovin, c’est encore plus amusant parce que les agneaux sont finis à l’herbe, donc je n’achète pas de concentrés, alors que tous mes collègues éleveurs dépensent beaucoup en aliments riches en protéines. Du coup, en marge brute, je suis toujours le mieux placé, sans être le plus performant sur le nombre d’agneaux par brebis. C’est vraiment sur la diminution des charges que j’arrive à me démarquer. »

Images P.Besnard/ POLLINIS