Pesticides
ENCADREMENT DES PESTICIDES : UNE POLITIQUE INEFFICACE QUI STIGMATISE LES AGRICULTEURS
Pour faire face aux impacts négatifs des pesticides sur l’environnement et la santé, les représentants politiques misent sur l’encadrement des usages. Cette notion vague a donné lieu à des mesures insuffisantes, souvent inapplicables et difficilement contrôlables. Elles rejettent aussi systématiquement la responsabilité sur les agriculteurs.
En réalité, il est impossible de maîtriser efficacement les usages des pesticides puisque, faute d’études scientifiques fiables et de processus transparents, ni la toxicité des produits eux-mêmes, ni leurs conséquences sur l’environnement ne sont maitrisées. De surcroît, cette réglementation à la marge ne règle pas le problème de fond : l’augmentation de la consommation de pesticides et la nécessité de changer les pratiques agricoles.
Introduction
L’industrialisation de l’agriculture et l’arrivée sur le marché des pesticides de synthèse à la fin de la Seconde Guerre mondiale a permis l’essor d’une agriculture privilégiant avant tout des cultures à hauts rendements. À l’abri de ce parapluie chimique, efficacement promu par l’agro-industrie, les cultures sont paradoxalement devenues plus fragiles face aux stress climatiques et aux attaques de ravageurs, rendant progressivement tous les acteurs des filières agricoles dépendants des pesticides. La prise de conscience par la société de leurs impacts négatifs sur l’environnement et la santé a conduit les pouvoirs publics à mettre en place des mesures pour contrôler leur utilisation. Ce choix d’un modèle technique agricole dépendant des pesticides – plutôt que le développement d’alternatives durables – a entraîné la mise en place d’une réglementation centrée non pas sur une réduction effective du recours aux pesticides, ou sur le principe de précaution, mais sur la « gestion » ou « l’encadrement » des usages, c’est-à-dire la façon dont les agriculteurs les utilisent Le débat sur l’interdiction des néonicotinoïdes en France, au printemps 2016, illustre cette tendance: alors que les amendements relatifs à leur interdiction faisaient la navette entre le Sénat et l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi dit « Biodiversité », un amendement de compromis visant à « encadrer leurs usages » faisait régulièrement surface. .
Cependant, les actions menées depuis 30 ans pour encadrer les usages des pesticides se sont soldées par un échec Pour la France, voir INRA/Cemagref, 2005 et Potier D., 2014. . L’encadrement des usages est une notion floue, avec des mesures insuffisantes et bien souvent inapplicables. Les pouvoirs publics tentent de maitriser les usages alors que, faute d’études scientifiques fiables et de processus transparents, ni la toxicité des produits eux-mêmes, ni leurs conséquences sur l’environnement et la santé ne sont maitrisées.
Les tentatives d’encadrement des usages n’ont eu aucun impact sur leur emploi, en croissance continue dans l’Union européenne.
Surtout, cette réglementation à la marge occulte le problème de fond: les tentatives d’encadrement des usages n’ont eu aucun impact sur leur consommation, en croissance continue dans l’Union européenne. Ces mesures ne sont donc pas à même de répondre aux objectifs de la Directive 1107/2009, qui vise à réduire l’utilisation des pesticides en Europe, ni aux plans nationaux qui y sont rattachés, comme Ecophyto en France. Pourtant, il est possible et nécessaire aujourd’hui de cultiver sans avoir recours aux pesticides ou d’en limiter strictement la consommation.
LA LOGIQUE DE « L'ENCADREMENT DES USAGES » DES PESTICIDES
L’expression « encadrement des usages » ne renvoie à aucune définition précise. Elle a donné lieu à des mesures marginales qui n’adressent pas les problèmes soulevés par le recours aux pesticides. Ces mesures ont eu pour effet de faire porter la responsabilité des risques aux agriculteurs plutôt qu’aux firmes.
Une notion floue
Le terme « usages » renvoie à l’ensemble des utilisations qui peuvent être faites des pesticides d’un point de vue quantitatif (quantités et concentrations des produits utilisés) et qualitatif (toxicité pour l’utilisateur, pour l’environnement, applications par pulvérisations ou enrobage…).
Pour les pouvoirs publics, l’encadrement de l’usage des pesticides vise, en agissant sur ces deux aspects, à assurer l’utilisation « rationnelle et sécuritaire » des pesticides. « Rationnelle » parce qu’elle viserait à ajuster les quantités de pesticides utilisées aux besoins exprimés ; « sécuritaire » parce qu’une application « juste et précise » permettrait d’éviter les effets indésirables sur l’homme et l’environnement. Mais du point de vue quantitatif comme qualitatif, encadrer les usages se traduit de fait par des actions très marginales.
D’un point de vue quantitatif en effet, il s’agit essentiellement d’inciter les agriculteurs à adopter des « bonnes pratiques » afin de « rationaliser » l’emploi de pesticides et ainsi, en principe, de réduire la consommation. Pour la protection de l’environnement, les directives européennes établissent que des modes de gestion dits « appropriés » – sans plus de précisions – doivent ainsi être adoptés par les agriculteurs Directive EU 1107/2009 et directive EU 2009/128. Ces « usages appropriés » sont censés permettre d’éviter notamment les phénomènes de dérive (pesticides portés par le vent) et autres expositions lors des pulvérisations. Mais ces mesures sont floues et ne permettent pas de fixer des objectifs concrets, assimilables par les agriculteurs et contrôlables par les autorités compétentes Pour exemple l’article 51 quaterdecies de la loi biodiversité, modifié en mai 2016 par le Sénat: « Un arrêté du ministre chargé de l’agriculture (…) détermine les conditions d’utilisation des produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes afin de tenir compte de l’avis du 7 janvier 2016 de l’ANSES (…). » Avis dans lequel la majorité des effets sont incertains..
Quant à l’encadrement « qualitatif » des usages, il ne prend pas en compte d’autres types d’exposition et de diffusion de molécules nocives dans l’environnement. La question des semences enrobées (graines enduites de pesticides) par exemple, est à peine évoquée Sauf pour les poussières de semences de maïs enrobées de néonicotinoïdes, mais cela reste marginal quand on sait que 80 à 98 % de l’enrobage ne sont pas acheminés dans la plante mais passent dans les sols et l’eau (WIA 2015). alors que les néonicotinoïdes, essentiellement vendus sous cette forme, sont parmi les insecticides les plus utilisés en Europe et que la dégradation de leur enrobage dans l’environnement contribue largement à la pollution des milieuxSelon les études, 2 à 20 % seulement du produit d’enrobage est utilisé pour protéger la plante pendant sa croissante. Les résidus demeurent dans le sol ou sont lessivés jusqu’aux cours d’eau et aux nappes phréatiques. Task Force on Systemic Pesticides (2015). .
Des mesures à la marge
Les mesures d‘encadrement des usages ont surtout consisté à rendre obligatoires pour les firmes des formations à destination des agriculteurs ou des normes d’étiquetage indiquant les « bonnes pratiques d’utilisation» de leurs produits : port de gants, de masque et de tenue de protection, indications sur le lieu de stockage, la gestion des effluents, etc. Or, l’efficacité de telles normes et indications pour protéger la santé de l’utilisateur n’a pas été prouvée, et est même sujette à controversesVoir le rapport de l’Anses qui montre l’inefficacité de ces mesures pour réduire l’exposition au risqué des travailleurs et consommateurs : www.sante-et-travail.fr.
Qui plus est, la question de la protection du particulier exposé ou du consommateur ne semble pas être une priorité. Cette question est abordée uniquement en bout de chaîne, dans la directive visant à établir des LMR (limites maximales de résidus) autorisées dans les produits vendus aux consommateurs Directive 396/2005.
Par ailleurs, peu de mesures ont été mises en place pour faire face aux risques concernant la toxicité avérée des molécules dans l’environnement. On retrouve uniquement des mesures locales et ponctuelles, comme des arrêtés ministériels permettant par exemple d’épargner quelques zones sensibles, notamment proches des cours d’eau.
Un coupable idéal : l’agriculteur
En réalité, la logique d’ « encadrement des usages » permet aux entreprises agrochimiques de déplacer la question de la responsabilité vers les utilisateurs. Face à la multiplication des faits de pollution et des risques d’exposition, et à l’inquiétude grandissante de la société civile, le discours officiel, soufflé par les firmes, est toujours le même : les dangers liés aux pesticides relèvent de « mauvaises utilisations ou manipulations » des produits phytopharmaceutiques par les agriculteurs. Les firmes font ainsi passer au second plan le problème de la toxicité de leurs produits et mettent en avant l’idée de l’encadrement des usages comme une priorité. En cas d’intoxication ou de pollution, elles peuvent ainsi pointer les « mauvaises pratiques » des agriculteurs et se dédouaner«Les produits à base de néonicotinoïdes peuvent être fatals, mais uniquement en cas de mésusage par les utilisateurs, notamment quand les recommandations mentionnées d’utilisation des produits ne sont pas respectées», Syngenta, consulté le 15/04/2016. .
Pourtant, les agriculteurs n’ont aucun intérêt à sur-doser ou à épandre trop souvent des pesticides coûteux, qui représentent pour eux un important poste de dépense et un risque pour leur santé. Par ailleurs, tout comme les firmes elles-mêmes, ils n’ont aucun moyen de maitriser l’ensemble des conséquences que peuvent avoir les produits qu’ils utilisent sur la faune, la flore, les microorganismes, les nappes phréatiques… même en les utilisant de façon « appropriée ». Malgré cela, en cherchant à encadrer les usages, c’est exclusivement sur eux – et non sur les firmes – que l’on se repose pour maîtriser les conséquences inévitables de l’usage de pesticides.
MAÎTRISER LES USAGES DES PESTICIDES SANS MAÎTRISER LEURS EFFETS ?
La toxicité des molécules est souvent sous-évaluée et leurs risques mal connus. Les processus d’évaluation qui déterminent les autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques s’avèrent peu fiables.
Toxicité : la grande inconnue
Alors que les responsables politiques s’évertuent à tenter d’encadrer les usages des pesticides, de fortes incertitudes demeurent à la fois sur le danger des molécules utilisées et sur les risques environnementaux et sanitaires qu’elles engendrent Par exemple, sur les effets à long terme sur la santé humaine: INSERM, 2015 ; pour la synergie fongicides/insecticides avec effet amplifié et à court terme sur les abeilles : Task Force On Systemics pesticides, 2015.. La toxicité est historiquement évaluée selon le principe de « dose-effet» (plus la quantité de produit et le temps d’exposition sont élevés, plus le produit est toxique), mais les révélations récentes sur le fonctionnement des perturbateurs endocriniens remettent en cause ce principehttps://www.anses.fr/fr/content/perturbateurs-endocriniens-1 : dans ce cas, la nocivité n’est pas proportionnelle à la dose ou au temps d’exposition. Malheureusement, cette découverte capitale, révélatrice du manque de connaissance dont on dispose pour évaluer les effets des molécules chimiques sur le vivant, l’environnement et la santé, n’est ni prise en compte, ni suffisamment étudiée global2000.at Lettre ouverte à la DG SANCO :www.efsa.europa.eu.
De même, les quelques études existantes sur les effets « cocktail » (exposition à plusieurs substances), sur les effets combinés des pesticides entre eux ou des divers substances actives qui les composent, ou encore sur l’accumulation des pesticides dans le sol, sont rarement prises en compte par les agences officielles. On sait pourtant que les néonicotinoïdes, par exemple, sont persistants : la demi-vie (temps mis par une substance pour perdre la moitié de son activité pharmacologique ou physiologique) de la clothianidine dans le sol a été évaluée entre 148 et 1154 jours (plus de trois ans) par l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA). Quant à l’imidaclopride, elle peut être absorbée par des cultures non traitées jusqu’à trois ans après la première utilisation. Ainsi, des céréales d’hiver traitées avec des pesticides néonicotinoïdes peuvent contaminer les plantes qui leur succèdent, comme le colza ou le tournesol et même les pollinisateurs qui les butinent Jones et al., 2014..
Des études insuffisantes et biaisées
L’une des raisons pour lesquelles les risques liés à l’utilisation massive de pesticides ne sont toujours pas évalués vient du fait que les firmes cultivent stratégiquement un climat d’incertitude sur la toxicité de leurs produits. Les études réglementaires indépendantes en matière d’évaluation du risque sont encore rares : en Europe, en définissant elle-même les protocoles, l’industrie agrochimique contrôle en grande partie le processus d’évaluation des substances actives, des co-formulants et des synergistes entrant dans la composition des produits. Or, de plus en plus de preuves et d’études approfondies s’accumulent qui montrent que la toxicité des molécules et leurs risques ne sont pas bien évalués. La neutralité des essais et la fiabilité des conclusions sur lesquelles se fondent les pouvoirs publics pour autoriser la mise sur le marché de ces produits est sujette à caution (voir encadré page 4 pour exemple).
L’existence de ces biais fausse le débat public sur le risque des produits et limite la capacité des politiques publiques à prendre en charge le problème de fond; l’incertitude permet de justifier que l’on déplace l’attention sur la responsabilité des individus qui manipulent les produits et sur la question des « usages ».
Parfois, l’autorisation même de certains usages se fonde sur des résultats incertains d’essais réalisés par l’industrie agrochimique. Dans le cas des néonicotinoïdes, l’autorité sanitaire française, l’ANSES, relaie des résultats communiqués par l’EFSA, l’agence sanitaire européenne, sur des essais portant sur les usages des trois néonicotinoïdes qui ont fait l’objet du moratoire européen. Le résultat est étonnant : plus des deux tiers des utilisations de ces molécules (68 %) ont des impacts jugés « incertains » et le dernier tiers présente des « risques faibles » Avis de l’ANSES, saisine: 2015-SA-0142, 7 janvier 2016 .
Les responsables politiques s’évertuent à tenter d’encadrer les usages des pesticides alors que leur toxicité et leurs impacts sur l’environnement sont mal étudiés.
LE PARADOXE : ENCADREMENT DES USAGES ET EXPLOSION DU RECOURS AUX PESTICIDES
L’objectif de la directive européenne sur les pesticides de 2009 est une utilisation des pesticides « compatible avec le développement durable ». Mais les actions menées, limitées à un « encadrement des usages », se sont soldées par un échec : elles n’ont pas permis d’adresser la question de la consommation des pesticides.
La piste européenne
En 2009, l’Union européenne s’est dotée de la directive 2009/128/CE avec pour objectif une utilisation des pesticides «compatible avec le développement durable». Les autorisations de mise sur le marché et les divers usages des pesticides y sont abordés, ainsi que les préconisations pour réduire l’utilisation des pesticides :
- Mettre en place un dispositif de formation des utilisateurs professionnels, des distributeurs et des conseillers et d’inspection du matériel utilisé.
- Interdire la pulvérisation aérienne, protéger le milieu aquatique et l’eau potable, protéger les zones sensibles.
- Mettre en place des indicateurs harmonisés de risque.
- Privilégier les techniques d’application les plus efficaces, les pesticides qui ne sont pas considérés comme dangereux et utiliser des mesures d’atténuation qui réduisent le risque de pollution.
- Préconiser l’utilisation des techniques de Protection Intégrée des Cultures (PIC), privilégiant chaque fois que possible les méthodes non chimiques de sorte que les utilisateurs professionnels de pesticides se reportent sur les pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l’environnement.
Cette directive a contraint notamment les États membres à se doter d’un plan d’action national qui doit être révisé tous les cinq ans. En France, cela s’est traduit par les plans Écophyto 1 puis 2, visant la réduction progressive du recours aux pesticides en zones agricoles et non agricoles : d’abord, « si possible » de 50 % en 2018 (Ecophyto 1, qui s’est soldé par un échec (voir encadré) puis, aujourd’hui, de 50 % d’ici 2025 (Ecophyto 2).
Avec la Protection intégrée des cultures (PIC), cette directive avait pour ambition d’amorcer la transition vers une agriculture moins dépendante des pesticides. Cependant, les mesures mises en place ont surtout mis l’accent sur la formation, les bonnes pratiques, les normes d’utilisation… Bref, « l’encadrement des usages ».
La consommation de pesticides explose
Force est de constater que les actions menées pour « encadrer les usages » des pesticides se sont soldées par un échec Pour la France, voir l’expertise collective INRA/Cemagref, 2005, Pesticides, agriculture et environnement. Réduire l’utilisation des pesticides et limiter leurs impacts environnementaux, p. 64; Potier D., 2014. : elles n’ont pas permis de réduire la consommation de pesticides (voir encadré sur l’échec d’Ecophyto 1). En 2015, plus de 484 substances actives de traitement des cultures étaient autorisées dans les différents pays membres de l’Union européenne. Elles représentent plus de 359 000 tonnes de pesticides épandues chaque année sur le territoire européen Donnée 2013; 385 000 T en 2011, 368 000 T en 2012. . Les effets de cette consommation galopante sur la santéVoir notamment l’expertise collective: INSERM, 2013, Pesticides – Effets sur la santé, Expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, Paris : Editions Inserm, 1014 p. Mais aussi Kamel F., 2013, « Paths from Pesticides to Parkinsons’ », Science, 341, 722-23; Samsel A., Seneff S., 2013, « Glyphosate, Pathways to Modern Diseases II: Celiac Sprue and Gluten Intolerance », Interdisciplinary Toxicology, 6 (4), 159-84; Sanborn et al., 2012, « 2012 Systematic Review of Pesticide Health Effects », OCFP 2012 Pesticides Review. et l’environnementVoir notamment, pour des revues de la littérature scientifique sur ce sujet: Aubertot et al., 2005 op.cit.; Carpenter et al.,1998, « Non point Pollution of Surface Waters with Phosphorus and Nitrogen », Ecological Applications, 8 (3), 559-68; Tilman D. et al., 2002, « Agricultural Sustainability and Intensive Production Practices », Nature, 418, pp.671-677. sont désormais visibles, de plus en plus documentés et inquiétants.
Cet échec s’explique en partie par le fait que la directive européenne de 2009 ne contient aucune préconisation concrète concernant la mise en place d’indicateurs de risque qui soient harmonisés entre les États membres et qui permettraient d’établir des seuils ou des objectifs précis. L’Annexe 4, qui concerne les Indicateurs de risques harmonisés, est restée une page blanche Consulté le 18/05/2016eur-lex.europa.eu.
Conclusion
Les pesticides sont utilisés aujourd’hui de manière intensive et systématique sur les cultures. Ils représentent les premiers intrants utilisés en agriculture et leur coût pèse significativement sur les budgets publics alloués à l’agriculture par l’Union européenne ou les États membres – directement ou indirectement (dépollution de l’eau, santé publique…). Leurs effets néfastes sur la biodiversité, les sols et l’eau et les risques pour la santé publique et les travailleurs ne sont plus à démontrer. Face à cet état de fait, les autorités préconisent presque exclusivement un encadrement des usages. Pourtant, la consommation de pesticide progresse, et les preuves de la sous-évaluation de la toxicité s’accumulent. Les mesures de gestion des usages n’ont donc pas l’effet escompté.
Les tenants des pesticides brandissent le spectre des impasses techniques auxquelles seraient confrontés les agriculteurs si ces substances et produits toxiques étaient interdits. Ils s’emploient à transformer l’idée d’encadrement des usages pour une agriculture durable en un « usage durable des pesticides ». En réalité, c’est l’utilisation systématique et préventive des produits phytopharmaceutiques qui entraîne les agriculteurs vers des impasses techniques en multipliant les phénomènes de résistance des bio-agresseurs.
L’agriculture s’est industrialisée mais, contrairement à un système industriel type, elle repose sur un système trop complexe – la nature, le vivant – pour être normée et encadrée par de simples « bonnes pratiques ». Les préconisations d’usages ne servent qu’à contourner les problèmes de fond que posent la toxicité des pesticides et leurs impacts sur l’environnement et la santé. De plus, cette toxicité, et ses conséquences, sont définies sur la base d’expertises peu fiables, émanant quasi uniquement des industries productrices de produits phytopharmaceutiques.
Les études existantes montrent logiquement la très faible efficacité des mesures d’encadrement des usages pour maîtriser les risques, protéger la santé et l’environnement. Cette politique est une voie sans issue pour l’agriculture de demain puisque l’encadrement des usages des pesticides ne vise pas de changement de pratique.
La législation ne contient aucune préconisation concrète, aucun indicateur de risque harmonisé qui permettrait de faire évoluer les pratiques agricoles.
Recommandations
Pour réduire réellement l’utilisation de pesticides, les politiques publiques doivent :
Fixer des objectifs précis et ambitieux :
- Ajouter des obligations de résultats aux obligations de moyens pour les objectifs fixés pour la réduction de la consommation.
- Financer un programme public et collectif de transition, via la mise en oeuvre réelle de R&D et de conseil technique visant à accompagner et à aider les agriculteurs à adopter les techniques alternatives à l’utilisation de pesticides.
Ceci constitue, à long terme, le seul moyen efficace d’atteindre les objectifs donnés afin de diminuer, puis de se passer, de pesticides.
Mettre en place des mesures collectivement contraignantes afin de permettre une réelle transition :
- Contrôler de manière précise la consommation des quantités de substances actives (obligation pour les firmes de publier les données ; transparence des bases de données existantes).
- Envisager pour les entreprises productrices de produits phytopharmaceutiques des pénalités financières (par exemple au prorata de la toxicité des produits) ou, en cas de détection de pollution, des sanctions (selon le principe pollueur/payeur) visant les producteurs de pesticides plutôt que les agriculteurs qui les utilisent).
Réformer le système d’évaluation de la toxicité des produits afin de mieux gérer les risques :
- Évaluer de manière transparente, fiable et homogène la toxicité des molécules testées.
- Interdire l’utilisation des produits les plus toxiques, et/ou les plus rémanents.
- Gérer les risques en développant la gamme d’alternatives techniques et agronomiques permettant de se passer de produits chimiques toxiques.
Accompagner ces actions de mesures aidant l’ensemble de la filière à effectuer la transition agro-écologique et à y trouver des opportunités économiques :
- Inciter les firmes à retrouver des opportunités d’investissements et de profits dans des solutions alternatives agro-écologiques.
- Réinvestir les pénalités perçues pour financer les programmes publics en faveur des pratiques agro-écologiques.
- Soutenir le changement de pratiques techniques et agronomiques pour permettre aux agriculteurs de maîtriser les risques liés à la transition.