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Transparence et démocratie / Secret d'affaires

LOI SECRET DES AFFAIRES : POURQUOI IL FAUT RESTREINDRE SON CHAMP D’APPLICATION

Note de positionnement précisant les raisons pour lesquelles les sénateurs doivent restreindre le champ d’application de la loi sur le secret des affaires aux seuls acteurs économiques concurrentiels. POLLINIS et le collectif « Stop secret d'affaires » proposent deux amendements qui vont dans ce sens et respectent l'esprit initial de la loi.

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Date : 4 avril 2018

Le Sénat s’apprête à voter, via une procédure accélérée, une proposition de loi portant « sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ». Ce texte est la transposition dans le droit national de la directive européenne (UE) 2016/943, adoptée le 8 juin 2016.

En l’état, le texte soumis aux sénateurs aura des implications juridiques, sociales, environnementales et sanitaires graves. POLLINIS et le collectif « Stop secret d’affaires » proposent deux amendements pour restreindre son champ d’application aux seuls acteurs économiques concurrentiels, pour respecter l’esprit initial de la loi et garantir le droit fondamental des citoyens à l’information.

LES DÉROGATIONS PRÉVUES NE PROTÉGERONT PAS LES DROITS DES CITOYENS

→ CETTE LOI AGIT AVANT TOUT COMME UNE ARME DE DISSUASION MASSIVE

L’infraction au secret des affaires aura lieu dès la simple obtention d’informations concernant une entreprise, avec des sanctions financières lourdes pour l’obtention et la divulgation de ces informations. Le texte introduit aussi la possibilité de réparation du préjudice commercial, potentiellement des millions d’euros. Ceux qui s’aventureraient à rendre publiques de telles informations s’exposeraient donc à une procédure judiciaire longue et coûteuse que la plupart d’entre eux – même s’ils étaient assurés de gagner – seraient incapables d’assumer financièrement face aux laboratoires, aux multinationales et aux banques dont les moyens sont quasiment illimités.

Avec ce chantage financier, elle encourage l’auto-censure des citoyens et des médias et constitue une entrave à la liberté d’informer et une grave régression de notre démocratie.

→ CETTE LOI FAIT PESER SUR LA SOCIÉTÉ CIVILE UNE TRÈS LOURDE CHARGE DE LA PREUVE

Ce sera aux journalistes et aux lanceurs d’alertes et aux citoyens, une fois attaqués par les entreprises, d’apporter au juge la preuve de leur fonction, et de démontrer qu’ils ont agi dans l’intérêt général. Or, deux exemples récents montrent que les tribunaux, de commerce ou autres, ne seront pas prompts à défendre l’intérêt général contre celui des entreprises :

  • Dans un volet connexe de l’affaire LuxLeaks, la justice française devait se prononcer sur la validité d’une ordonnance délivrée par le tribunal de grande instance de Metz en 2014, qui avait permis au cabinet PricewaterhouseCoopers de faire fouiller le domicile de son salarié Raphaël Halet pour identifier s’il était la source du journaliste Edouard Perrin. Le parquet a estimé, mardi 9 janvier 2018, que cette ordonnance était « de nature à porter atteinte directement et indirectement au secret des sources des journalistes, sans motif légitime ». Pourtant, le 6 février 2018, le tribunal (qui suivait en cela l’argumentaire du cabinet d’avocats d’affaires PWC) , a jugé que M. Perrin « ne justifie pas plus d’une quelconque habilitation à défendre l’intérêt général ou l’intérêt général des journalistes et ce faisant, n’apporte aucun élément de preuve de la recevabilité de son action ». Le journaliste star de l’émission « Cash investigation » se voit ainsi dénier son titre de journaliste et sa mission d’intérêt général.
  • En janvier 2018, la société Conforama a poursuivi le magazine Challenges pour avoir révélé que le fabricant de meubles était en difficulté. Le tribunal de commerce de Paris a condamné le magazine le 22 janvier dernier, arguant que l’information ne présentait aucun « caractère d’intérêt général » dans la mesure où aucun autre média ne l’avait relayée. Pendant quelques jours, la plupart des médias ont évoqué l’affaire sans mentionner le nom de Conforama, par crainte d’être poursuivis à leur tour… Un tribunal de commerce définit donc l’intérêt général selon un critère absurde : à l’aune de combien de journaux, télévisions, sites internet reprenant une information est-il possible de juger de l’intérêt général ?

Pourquoi laisser ainsi à l’appréciation des tribunaux, a fortiori de commerce qui ont à cœur de défendre les entreprises, le soin de trancher sur des valeurs aussi fondamentales que l’intérêt général et les droits fondamentaux des citoyens comme la liberté de la presse ?

Nous estimons que ce sont aux entreprises d’apporter la preuve que l’information a servi à l’enrichissement personnel de celui qui l’a obtenue et/ou révélée, ou que ce secret d’affaire a été transmis à un concurrent.

LA SOLUTION : DÉFINIR PRÉCISÉMENT LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LOI

La transposition d’une directive européenne laisse une marge de manœuvre aux États membres pour transposer les textes dans leur droit national dès lors qu’ils remplissent les objectifs définis par la directive.

→ L’ESPRIT DE LA LOI DÉVOYÉ

A l’origine, l’objectif de la directive européenne était de régler des situations de concurrence déloyale et de protéger les entreprises contre le vol de leurs secrets industriels et commerciaux, et leur divulgation à des concurrents. L’esprit du texte était de permettre de régler des confits entre acteurs économiques concurrents.

Le droit français dispose déjà de nombreux textes en droit de la propriété intellectuelle, droit de la concurrence et droit du travail pour protéger les entreprises. Il n’y a aucun élément nouveau dans la directive ou la proposition de loi sur le Secret des affaires qui permettrait de régler davantage les problèmes bien réels de piratage et d’espionnage industriels auxquels sont confrontés les entreprises françaises.

En revanche, la définition du secret des affaires est si vaste que n’importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie, qu’il s’agisse d’informations sur les pratiques fiscales des entreprises, de données d’intérêt général relatives à la santé publique ou liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs.

Le secret des affaires devient le principe et la révélation d’informations d’intérêt public l’exception.

De fait, parler des dangers du Mediator porte atteinte aux intérêts économiques du laboratoire Servier; dénoncer la dangerosité du Roundup de Monsanto menace les milliards de dollars de chiffre d’affaires que réalise le groupe américain grâce à ce produit… Avec la proposition de loi actuelle, des scandales comme ceux du bisphénol A, de l’amiante, les affaires LuxLeaks, Panama Papers, l’évasion fiscale d’UBS ou d’Apple, les pratiques de corruption chez Airbus ou Alstom, les plans sociaux… pourraient ne plus être portés à la connaissance des citoyens.

Avec cette loi, ce sont les citoyens que l’on prive de leur droit à l’information.

→ PROPOSITIONS D’AMENDEMENT DE LA PROPOSITION DE LOI

POLLINIS et le collectif « Stop secret d’affaires » demandent le vote de deux amendements à la proposition de loi de transposition n°388 :

  • pour clarifier l’objet du texte et le circonscrire à l’objectif initialement poursuivi, c’est à dire régler une situation entre des acteurs économiques concurrents ;
  • pour que la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante : l’entreprise doit démontrer que les informations qu’elle qualifie de secret d’affaire ont été obtenues et/ou divulguées dans un but de concurrence illégitime.

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