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Pesticides

L’hécatombe : impacts de l’agriculture conventionnelle sur les pollinisateurs

L'agriculture conventionnelle, mise en place dans les années 60, repose sur une mécanisation lourde et un recours systématique aux engrais et aux pesticides de synthèse. Ce modèle agricole, qui contamine l'environnement, provoque une hécatombe parmi les butineurs se nourrissant du pollen et du nectar des fleurs.

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Date : 26 septembre 2019

Le modèle agricole conventionnel qui s’est imposé depuis les années 60 en Europe est aujourd’hui le principal responsable de la disparition des insectesSánchez-Bayo, Kris A.G.Wyckhuys, 2019. Worldwide decline of the entomofauna : A review of its drivers. Biological Conservation , en particulier des pollinisateurs. En 2017, des chercheurs ont constaté que près de 80 % de la biomasse des insectes volants avait disparu en moins de trente ans, un constat qu’ils étendent à toute l’Europe. Ils avaient fait leurs relevés dans des zones pourtant protégées d’Allemagne, mais ils ont noté que leurs relevés étaient proches de champs cultivés. Monocultures qui appauvrissent leur nourriture, contamination massive des milieux par les pesticides, fragmentation des sols qui les prive d’habitats : c’est l’ensemble du système agricole qui décime les butineurs, insectes pourtant indispensables au maintien des cultures et au précieux équilibre du vivantAizen et al., 2019. Global agricultural productivity is threatened by increasing pollinator dependence without a parallel increase in crop diversification. Wiley Online Library .

Malgré les alertes des scientifiques, le recours systématique aux pesticides se poursuit à un rythme effréné : en France, en dépit des plans Ecophyto Journal de l’environnement, 2016.
Pesticides: le plan Ecophyto 1 est mort
pour la réduction des pesticides, leur usage a encore augmenté : le Nodu, pour « Nombre de doses unités », est passé de 76 millions en 2008 à 94,2 millions en 2017. L’utilisation de pesticides en Europe n’a pas non plus diminué ces dernières années, avec en 2016, près de 400 000 tonnes de pesticides vendues dans l’Union européennePesticide Use in EuropePAN.

Agriculture intensive, Argentine

L’agriculture intensive a provoqué une hécatombe parmi les pollinisateurs. ©foto4440 / STOCK ADOBE

 

En plus de l’effet létal immédiat de certaines substances, l’exposition chronique aux pesticides peut tuer les insectes à petit feu, ou engendrer des effets sublétaux (qui rendent précaire la survie de l’individu) : leur système immunitaire se trouve fragilisé, ce qui les rend vulnérables aux maladies, les atteintes neurologiques provoquent leur désorientation. Le pollen contaminé empoisonne les larves, provoquant de graves malformations. Le glyphosate, l’herbicide le plus répandu au monde, endommage ainsi de manière irréversible le microbiote des abeilles, qui joue un rôle majeur pour lutter contre les agents pathogènesMotta et al., 2018. Glyphosate perturbs the gut microbiota of honey bees.PNAS. Il peut aussi altérer leurs capacités cognitivesBalbuena et al., 2015. Effects of sublethal doses of glyphosate on honeybee navigation.Journal of Experimental Biology, les empêchant de retrouver le chemin de la ruche, et les larves d’abeilles contaminées par ce pesticide ont un taux de mortalité plus importantDai et al. , 2018. The Herbicide Glyphosate Negatively Affects Midgut Bacterial Communities and Survival of Honey Bee during Larvae Reared in Vitro. American Chemical Society .

Funestes pesticides

Imprégnant les tissus des plantes, le sol, l’air et l’eau, les molécules chimiques des pesticides (herbicides, insecticides et fongicides) persistent dans l’environnement et s’accumulent en un cocktail toxique durable, peu étudié et non pris en compte dans les procédures d’homologationPOLLINIS, mai 2019 : Évaluation des pesticides et risques pour les pollinisateurs..

Les tests règlementaires, censés identifier les produits néfastes pour les pollinisateurs, sont superficiels et obsolètes : Ils n’évaluent ni la toxicité chronique, ni les effets des mélanges de pesticides, ni les diverses voies d’exposition (eau, pollen, poussières…), ni même l’impact sur les milliers d’espèces de pollinisateurs sauvages…. Les autorités sanitaires européennes continuent donc année après année d’autoriser la vente de pesticides toxiques pour les butineurs.

Des pesticides comme les néonicotinoïdes, par exemple, ont ainsi pu être vendus massivement pendant trois décennies, alors que des études indépendantes accablantes exposaient leurs dangers. Trois de ces molécules ( l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxame) sont interdites en France et dans l’Union Européenne depuis 2018, mais les États membres ont toujours la possibilité d’accorder des dérogations pour leur utilisation en « cas d’urgence », ce que certains pays ne manquent pas de faire. Et les néonicotinoïdes continuent à faire des ravages ailleurs dans le monde, comme aux États-UnisDiBartolomeis et al. , 2019. An assessment of acute insecticide toxicity loading (AITL) of chemical pesticides used on agricultural land in the United States. Plos One .

Ces neurotoxiques, transportés par les sèves de la plante au cours de sa croissance, jusque dans le pollen et le nectar des fleurs, attaquent le système nerveux central des insectes, provoquant la paralysie et la mort. À large spectre, ils tuent l’ensemble des arthropodesEmbranchement du règne animal auquel appartiennent les insectes. sans distinction et déciment les abeilles. Exposées à de fortes concentrations, elles sont tuées immédiatement. Exposées de manière chronique, elles perdent le sens de l’orientation et la mémoire ; leur système immunitaire, leur reproduction et leur thermorégulation sont altérés.

honey-bee-68166_1920 (c)JamesDeMers Pixabay CC0
Année après année, les autorités sanitaires continuent d’autoriser la vente de pesticides toxiques pour les butineurs. © J. DeMers / PIXABAY

Même si les néonicotinoïdes venaient à être totalement interdits dans toute l’Union européenne, il y a fort à craindre qu’ils seraient remplacés immédiatement par de nouveaux tueurs de pollinisateurs. Car la filière agricole est prise dans l’engrenage de la dépendance à la chimie : pour continuer à produire des plantes toujours plus vulnérables, sur des sols rendus stériles, les agriculteurs conventionnels sont condamnés à augmenter les doses et à mélanger les produits. Au fil du temps, les mauvaises herbes et les insectes nuisibles développent immanquablement des résistances aux produits utilisés, les agriculteurs doivent alors les remplacer par les nouvelles molécules mises sur le marché.

Les dernières générations de pesticides agissent de manière toujours plus insidieuse. Ainsi, les SDHI, fongicides à large spectre utilisés depuis 2008, bloquent la respiration cellulaire des champignons, mais affectent aussi celles d’autres êtres vivants. Le boscalid, un SDHI très répandu, a des effets toxiques avérés sur les abeilles (après 17 jours d’exposition, alors que les tests d’homologation s’arrêtent à 10 jours). Mélangé à un insecticide couramment déversé dans les champs, une étude indépendante montre que ce fongicide a des effets synergiques extrêmement dangereux sur les pollinisateurs sauvagesTsvetkov et al. , 2017. Chronic exposure to neonicotinoids reduces honey bee health near corn crops. Science.

L’homogénéisation des paysages

L’agriculture industrielle a aussi provoqué une modification profonde du paysage rural : monocultures à perte de vue, destruction des haies, des prairies et de la flore sauvage… L’homogénéisation des paysages et la simplification des systèmes agricoles ont considérablement réduit la diversité des plantes sauvages et cultivées dont ont besoin les insectes pour se nourrir. Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), la biodiversité cultivée a diminué de 75 % en un siècle, au point d’atteindre aujourd’hui un niveau critique : près des trois quarts de l’alimentation mondiale proviennent de 12 plantes seulement et les trois principales céréales cultivées – le riz, le maïs et le blé – fournissent à elles seules 60 % des calories et protéines végétales consommées par l’humanité. Ces monocultures n’assurent pas les besoins nutritifs des pollinisateurs, ce qui les fragilise et les rend vulnérables aux maladiesDi Pasquale et al. , 2013. Influence of Pollen Nutrition on Honey Bee Health: Do Pollen Quality and Diversity Matter? Plos One .

Par ailleurs, le recours quasi-systématique aux herbicides pour détruire les plantes indésirables dans les cultures conduit à éradiquer les coquelicots, les bleuets et autres plantes compagnes des moissons. Ces fleurs qui cohabitaient traditionnellement avec les céréales, fournissaient un bon apport en pollen et en nectar aux butineurs, qui errent désormais dans un désert biologique.

Or, un défaut d’alimentation suffisante et équilibrée impacte leur santé et leur développement. Le cerveau des larves d’abeilles carencées ne se développe pas correctement, diminuant par la suite leur efficacité de butinageCNRS Le journal, 2018. Les abeilles sont-elles aussi victimes de leur intelligence ?. Les carences alimentaires affectent aussi la résistance des abeilles aux pathogènes, et réduisent leur longévité.

Quant à la culture hors-sol, destinée à fournir des fruits et légumes en dehors des saisons, elle est pratiquée en milieu fermé, inaccessible aux pollinisateurs sauvages. Des pollinisateurs d’élevage (souvent des bourdons) sont achetés et livrés dans des cartons, puis libérés dans les serres pour polliniser ces cultures…

Le Monarque, un déclin emblématique

butterflies-18516_1920 PIXABAYAu printemps, les papillons monarques migrent lors d’un long périple de plus de 4 000 kilomètres, depuis les forêts du Mexique où ils hivernent, vers le Canada. Au cours de leur voyage, ces papillons à la robe flamboyante déposent leurs œufs sur des herbacées vivaces, les asclépiades. Les chenilles se nourrissent ensuite de ces plantes contenant des cardénolides, molécules qu’elles vont stocker dans leur corps, et qui les rendront toxiques pour la plupart des prédateurs. Mais l’usage d’herbicides dans les cultures de soja et de maïs de l’Amérique du Nord a détruit massivement les asclépiades. Et les forêts mexicaines du Michoacan, dans lesquelles les papillons se rendent pour passer l’hiver, sont menacées par l’urbanisation croissante, la déforestation, les effets du changement climatique et des projets miniers. Les effectifs de ce papillon célèbre se sont effondrés de 90 % en Amérique du Nord au cours des vingt dernières années, et il est désormais classé « en voie de disparition » au Canada.

La destruction massive des habitats

Au fur et à mesure que l’agriculture conventionnelle progresse, les habitats des pollinisateurs se réduisent comme peau de chagrin. En effet, la majorité des pollinisateurs sauvages nichent dans les sols et ont besoin de terre meuble, non labourée, pour creuser leurs galeries. D’autres sont xylicoles, c’est-à-dire qu’ils vivent dans le bois ou les tiges des plantes ; beaucoup utilisent des matériaux naturels (résine, feuilles, pétales, coquilles, sable, etc.) pour construire leurs nids.

Or, en un siècle, 70 % des haies agricoles ont été arrachées en France, soit environ 1,4 million de kilomètres d’arbres, d’arbustes et de fleurs qui auraient pu héberger des pollinisateursGuillerme et al. , 2009. L’arbre hors forêt en France. Diversité, usages et perspectives. . Entre 2006 et 2014, 8 % de ces habitats ont encore été détruits au profit de l’agriculture, des plantations forestières ou de l’artificialisation des sols.

Un tiers des surfaces en prairie, habitat de nombreux butineurs, a aussi disparu depuis 1960 (soit plus de 7 millions d’hectares à l’échelle de l’Europe et 4 millions en FrancePeyraud, 2014. Place et atouts des prairies permanentes en France et en Europe.

Fourrages
) avec l’intensification des systèmes d’élevage hors-sol pour satisfaire la demande en viande.

Certaines pratiques agricoles (sols nus, labour profond, etc.) ont aussi participé à l’érosion progressive des sols : en Europe, 26 millions d’hectares de terres en sont victimes, avec des dégâts parfois irréversibles.

Champs (c) Andy H : PIXABAY
Avec le bouleversement des paysages agricoles, les habitats des pollinisateurs se réduisent comme peau de chagrin. ©Andy H / PIXABAY

L’érosion de la diversité génétique

Le morcellement des habitats des insectes compromet à terme le brassage génétique, d’autant plus que leurs effectifs sont déjà drastiquement réduits. Sans ponts ni corridors entre leurs habitats respectifs, les populations diverses ne peuvent plus se rencontrer pour se reproduire. Or, les générations issues d’un faible brassage deviennent plus vulnérables aux maladies, aux espèces invasives et aux changements climatiques, ce qui compromet leur survie.

Une étude en Amérique du Nord menée sur quatre espèces de bourdons en déclin (jusqu’à – 96 % d’abondance relative en vingt ans) a révélé des niveaux d’infection bien plus élevés comparés à ceux de populations stables, bénéficiant d’une diversité génétique importanteCameron et al. , 2011. Patterns of widespread decline in North American bumble bees.PNAS.

Le système agricole conventionnel ne laisse donc aucune chance aux butineurs, qui dépérissent dans un milieu devenu inhospitalier. Ces insectes sont pourtant essentiels : sans pollinisateurs sauvages, les principales cultures vivrières ne pourraient plus être produites. Le déclin en cours de ces petits animaux fait déjà peser une menace inquiétante sur la sécurité alimentaire mondialeAizen et al. , 2019. Global agricultural productivity is threatened by increasing pollinator dependence without a parallel increase in crop diversification. Wiley Online Library . À l’évidence, un modèle agricole qui dévaste les sols et saccage ses propres auxiliaires ne peut perdurer.