Conserver les pollinisateurs
Abeilles sauvages : les vraies championnes de la pollinisation
Moins connues que leurs cousines domestiques, qui produisent notre miel, les abeilles sauvages assurent pourtant la fécondation de presque toutes les plantes à fleurs. Maillons clé de la chaîne alimentaire, elles disparaissent avec des conséquences potentiellement désastreuses pour nos paysages et notre alimentation. Il est urgent de les protéger.
Tout le monde connait l’abeille mellifère, Apis mellifera, espèce domestiquée par l’homme pour son miel. Mais derrière le mot « abeille » se cache aussi une multitude d’abeilles sauvages : abeilles tisserandes, charpentières, halictes, mégachiles, collètes, bourdons… Environ 20 000 espèces ont été décrites à ce jour à travers le monde, dont un millier en France.
La plupart des abeilles sauvages sont solitaires et ne produisent pas de miel. Elles vivent moins d’un an et meurent généralement en hiver, peu après avoir pondu. Elles nidifient dans les tiges des plantes, des galeries creusées dans le bois ou la terre, les anfractuosités des arbres, la coquille vide d’un escargot…
Derrière le mot « abeille » se cache une multitude d’abeilles sauvages, bien moins connues que leur cousine domestique. (Photo DR : un bourdon).
LES REINES DE LA POLLINISATION
Délicates avec les fleurs et très mobiles, les abeilles, sauvages et domestiques, sont de loin les plus efficaces de tous les pollinisateurs. Pour se nourrir et alimenter leur progéniture, elles butinent le nectar et collectent le pollen. Ce faisant, elles transportent les grains de pollen de l’étamine (organe mâle d’une fleur) vers le pistil (organe femelle) des fleurs de la même espèce. Cette pollinisation est l’étape indispensable à la formation des graines, des fruits et des légumes.
Grâce à leurs nombreux poils (sensilles), auxquels s’accroche le pollen, et à leurs langues plus ou moins longues, adaptées à chaque fleur, les abeilles peuvent butiner et polliniser plus de 80 % des espèces sauvages et 75 % des plantes cultivées, dont 90 % des arbres fruitiers Tautz J., 2009. L’étonnante abeille, Ed. De Boeck ! Sans elles donc, quasiment plus de fruits et de légumes, ni d’oléagineux (colza, arachide, olives…), de fruits à coques (amandes, noisettes…), etc.
De surcroît, la présence de pollinisateurs sauvages dans un champ permet d’augmenter – parfois de doubler – les rendements de certains fruits et légumes, comme les pommes ou les tomates Garibaldi L. A. et al., 2013. Wild Pollinators
Enhance Fruit Set of Crops Regardless of Honey Bee Abundance, Science.. Ils contribuent donc au brassage génétique des plantes et à leur adaptation aux aléas climatiques par exemple. Les pollinisateurs sont donc essentiels à la qualité, la quantité et la diversité de notre alimentation
L’ABEILLE DOMESTIQUE, ESCLAVE DE L’AGRICULTURE ?
Plus d’un tiers des volumes de la production agricole mondiale (35 %) dépend des pollinisateurs. Les services rendus par les pollinisateurs à l’agriculture ont été estimés à 153 milliards d’euros dans le monde et 22 milliards d’euros en Europe*. Mais le modèle agricole conventionnel a créé de véritables déserts biologiques – monocultures abreuvées d’insecticides – qui déciment les pollinisateurs sauvages. Pour pallier ce déclin dramatique, l’agro-industrie fait de plus en plus souvent appel aux abeilles domestiques, en rémunérant les apiculteurs pour qu’ils placent leurs ruches près des cultures contaminées, avec des conséquences dramatiques sur la santé des colonies.
* Sources : INRA, Science (22/01/2016)
LE DÉCLIN DES ABEILLES SAUVAGES
Depuis les années 80, les abeilles sauvages disparaissent de nos campagnes. Selon l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, plus de 40 % des espèces de pollinisateurs invertébrés – notamment les abeilles et les papillons – sont en voie de disparition. Les causes de ce déclin, en partie communes à l’abeille domestique, incluent particulièrement la destruction de leurs habitats, la raréfaction des fleurs sauvages et cultivées, sources de leur alimentation, et la toxicité de l’environnement.
Facteurs de déclin des abeilles sauvages :
- L’agriculture conventionnelle : pesticides chimiques de synthèse, monocultures, disparition des fleurs sauvages, des prairies, suppression des bocages et des haies ;
- Le développement des cultures non pollinifères : blé, vigne… ;
- Les labours et fauches précoces pour les insectes nidifiant dans le sol ;
- L’artificialisation des sols : urbanisation, routes… ;
- Le dérèglement climatique ;
- La concurrence avec les abeilles domestiques dans le cadre de l’apiculture industrielle, qui multiplie les ruches dans une même zone.
POLLINISATEURS ET FLEURS : À LA VIE, À LA MORT
Certaines espèces d’abeilles ne dépendent que d’un seul type de fleur : si dans une zone la plante disparaît, le pollinisateur disparaît à son tour. C’est le cas de l’anthocope du pavot, qui a besoin du coquelicot pour tapisser son nid dans le sol. De même, certaines plantes sauvages ou cultivées dépendent d’un seul type de pollinisateur pour leur fécondation. Les tomates par exemple, ne peuvent être pollinisées efficacement que par les bourdons, qui sont les seuls à pouvoir faire vibrer ces fleurs pour qu’elles libèrent leur pollen. Or, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), près de la moitié (46 %) des espèces de bourdons d’Europe sont en déclin.
ÉTATS DES LIEUX DES ABEILLES SAUVAGES : LE RÉSEAU APIFORMES Depuis 2013, POLLINIS est partenaire du programme scientifique Apiformes de l’INRA qui recense les abeilles sauvages, établit leurs liens avec la flore et étudie les causes et le rythme de leur disparition. Le réseau permet aussi de sensibiliser les futurs agriculteurs puisque ce sont les élèves des lycées agricoles volontaires qui collectent les hyménoptères sauvages dans leurs fermes pédagogiques et découvrent ainsi l’impérieuse nécessité de faire évoluer les pratiques agricoles pour les protéger.
Parmi les mesures à prendre pour préserver les abeilles sauvages : éviter de tondre trop tôt et trop souvent. (Photo : mégachile par Marie Adrian)
PETITS INSECTES ET GRANDES INCONNUES
Parce qu’elles ne présentent pas d’intérêt économique direct – comme la production de miel – les abeilles sauvages ont été peu étudiées. En 2015, l’UICN a publié une première évaluation alarmante : en l’absence de données, l’état des populations de 79 % des abeilles sauvages demeure inconnu…