Transparence et démocratie

Budget 2026 : des « amendements bâillons » menacent le combat d’intérêt général de POLLINIS et de ses alliés

Plusieurs amendements proposés lors de l’examen du budget à l’Assemblée pourraient affaiblir directement les finances des associations de protection de l’environnement. POLLINIS s’inquiète de cette criminalisation croissante des acteurs qui s’opposent à l’agro-industrie, et appelle les parlementaires au rejet de ces amendements.

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Date : 30 octobre 2025
Des manifestants d'ONG environnementales tiennent des banderoles pour la protection de la biodiversité. Ils sont bâillonnés, pour représenter l'atteinte à la liberté d'expression.

À l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2026 à l’Assemblée nationale, une dizaine d’« amendements bâillons » doivent être soumis au vote des députés. Leurs auteurs souhaitent élargir la liste des infractions permettant de suspendre le droit à la défiscalisation des dons. Ils ciblent particulièrement les associations condamnées par la justice pour des faits pouvant relever de la désobéissance civile.

Un moyen de faire pression sur les ONG dont les actions déplaisent, en s’attaquant directement à leur porte-monnaie.

Au moins 11 amendements bâillons dans le budget 2026

Depuis 7 ans, la menace plane sur les associations lors de l’examen du budget, et  elle se fait de plus en plus concrète. En 2019, un amendement bâillon – défendu par le député Marc Le Fur (Les Républicains) – proposait déjà de supprimer les avantages fiscaux aux associations qui s’introduisent sur des sites industriels, des abattoirs ou exploitations agricoles, dans le but de dénoncer leurs pratiques.

Depuis, l’idée chemine au Parlement. D’abord systématiquement rejetée en commission des finances, elle franchit pour la première fois cette étape en 2023, sans pour autant parvenir à obtenir de majorité dans l’hémicycle. L’an dernier, une version élargie de cette proposition – incluant une liste d’infractions plus longue – a même été adoptée par les députés, avant d’être retoquée au Sénat.

Cette année, les menaces sur les associations s’intensifient. À l’occasion de l’examen du budget pour 2026, les députés vont devoir débattre d’une salve d’au moins 11 amendements bâillonsSelon un décompte réalisé le 24/10/25 par 6 associations, dans le cadre d’un communiqué commun dénonçant ces amendements.. La plupart ont été déposés après les délibérations de la commission des finances et seront donc directement discutés dans l’hémicycle, à l’exception d’un amendement – défendu par le député Corentin Le Fur (Les Républicains). Déjà adopté en commission, son vote en séance plénière est d’autant plus probable.

Une pression économique qui menace la liberté d’expression

Cet amendement vise à modifier le code général des impôts, pour élargir la liste des motifs de suspension de l’avantage fiscal accordé aux associations à six nouvelles infractionsL’entrave à l’activité économique par discrimination, l’introduction dans le domicile d’autrui, la captation ou la diffusion d’images sans consentement, l’occupation sans droit d’un terrain appartenant à autrui, la destruction ou la menace de destruction de biens, et la provocation et diffamation par voie de presse., notamment la diffamationSelon l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation se définit comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». et l’entrave à l’activité économique par discrimination« Entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque » constitue un motif de discrimination pour une personne physique ou morale, selon l’article L.225-2 du code pénal.. Si POLLINIS n’a jamais fait l’objet d’une condamnation en justice – y compris pour ces motifs – ces points sont préoccupants, car ils regroupent des notions larges et floues, qui pourraient cibler la démarche de l’association.

Au nom de la protection des pollinisateurs, POLLINIS a en effet déjà dénoncé l’emprise des acteurs de l’agrochimie sur les protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides, notamment en enquêtant et révélant les liens entre les lobbys du secteur et les Etats au cœur même des institutions européennes. Autant d’informations d’utilité publique, qui pourraient déplaire aux industriels visés et provoquer des attaques en diffamation. Aujourd’hui, ces procédures judiciaires – qui cherchent à intimider les activistes à coups de procédures juridiques longues et coûteuses – se multiplient à l’encontre des opposants aux pesticides.

Alors que cette menace judiciaire pèse déjà sur les associations, le risque d’une suspension des avantages fiscaux en cas de condamnation viendrait renforcer la pression économique. Une double peine qui favorise l’autocensure. À terme, cet amendement menace donc concrètement la liberté d’expression et les capacités d’action des associations.

Criminaliser des combats légitimes

En élargissant la liste des infractions justifiant une suspension des avantages fiscaux, l’amendement du député Corentin Le Fur participe aussi plus généralement à la criminalisation des activités des ONG environnementales. Actuellement, cette liste comprend des crimes et délits allant de l’escroquerie au financement d’actes de terrorisme, en passant par le blanchiment d’argent. Ajouter la diffamation à cette liste, comme une condamnation pouvant être mise sur le même plan, traduit un glissement inquiétant. La notion légale de diffamation, comprise dans un sens large, peut facilement être instrumentalisée pour empêcher des prises de parole légitimes.

Cette dérive vers la criminalisation des actions des associations de défense de l’environnement n’est pas nouvelle. Depuis 5 ans, POLLINIS se bat aux côtés de L214 et Générations Futures pour demander la dissolution de la cellule Déméter, une cellule de la gendarmerie créée en 2019 et destinée à surveiller les « atteintes idéologiques » au monde agricole. Sur le terrain, Déméter a une activité très limitée et ne peut que constater la quasi-absence des menaces contre lesquelles elle prétend lutter. Elle contribue essentiellement à intimider les organisations qui dénoncent les ravages de l’agriculture intensive, et à alimenter l’idée d’une opposition entre les intérêts des paysans et des défenseurs de l’environnement.

C’est cette même idée reçue qui motive l’amendement bâillon du député Corentin Le Fur, qui prétend « protéger le monde agricole ». Loin de ces oppositions caricaturales, POLLINIS et ses alliés défendent un modèle agricole soutenable, plus juste et rémunérateur pour les paysans. Nous menons un combat d’intérêt général, contre les pratiques dévastatrices de l’agro-industrie, pour protéger les citoyens et l’ensemble du Vivant.

Dans ce contexte, POLLINIS appelle l’ensemble des parlementaires à rejeter les amendements bâillons inscrits dans le projet de loi de finances pour 2026, et à prendre des mesures qui s’attaquent véritablement aux causes structurelles des crises agricoles et écologiques.