Conserver les pollinisateurs
Extinction des insectes : entretien
avec le chercheur Francisco Sánchez-Bayo
Publiée cette année, une étude scientifique vient confirmer le déclin catastrophique des insectes dans le monde : 40 % des espèces d’insectes sont menacées d’extinction, avec un taux d’extinction huit fois plus rapide que celui d’autres espèces. POLLINIS a interviewé l’un des auteurs de l’étude, le chercheur Francisco Sánchez-Bayo.
Une étude* publiée en février 2019 dans la revue Biological Conservation vient d’être reprise dans les journaux du monde entier, tant ses conclusions sont graves : 40 % des espèces d’insectes sont menacées d’extinction, et le taux d’extinction des insectes est huit fois plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux et des reptiles. Les insectes pourraient ainsi avoir totalement disparu d’ici un siècle, ce qui provoquerait un effondrement des écosystèmes naturels.
Premier rapport mondial sur ce sujet, cette étude a été réalisée par des chercheurs des universités de Sydney et du Queensland, en Australie, sur la base de 73 recherches à long terme dans plusieurs régions du monde. POLLINIS a interviewé l’un des auteurs de l’étude, l’écotoxicologue Francisco Sánchez-Bayo, spécialiste des substances chimiques (en particulier des néonicotinoïdes), chercheur associé honoraire à l’Université de Sydney, Department of Plants and Food science.
Votre étude montre un déclin mondial des insectes au cours des 30 dernières années, comment expliquer cette situation ?
Francisco Sánchez-Bayo : Ce n’est pas seulement depuis 30 ans mais depuis les premiers relevés de données, il y a déjà un siècle. Cependant, une perte annuelle de 2,5 % de biomasse par an des insectes a été observée au cours des 30 dernières années. Qu’est-ce qui a changé durant cette période ? Je pense que la raison principale est le passage d’une agriculture basée sur la lutte intégrée à une approche prophylactique avec des insecticides systémiques recouvrant les semences.
Cette approche est contraire aux principes de la lutte intégrée (par exemple, utilisation de méthodes naturelles en premier recours, et pesticides en dernier recours, si nécessaire) et tue tous les insectes qui viennent manger ou polliniser les plantes, ainsi que tous les insectes présents dans le sol en raison de la persistance des insecticides systémiques. Ils contaminent également les eaux et tuent les insectes et autres animaux invertébrés qui s’y trouvent. Ceci est clairement dévastateur.
Quelle est la situation particulière des pollinisateurs ? Sont-ils plus vulnérables que les autres insectes ?
F. S.-B. : Comme vous pouvez le constater dans notre article, environ 50 % des abeilles sont en déclin. Je pense que d’autres pollinisateurs tels que les papillons de jour et les papillons de nuit, les syrphes et certains coléoptères sont tout aussi vulnérables. Tous sont exposés aux mêmes insecticides et ont probablement une sensibilité similaire à ces produits chimiques, mais nous ne disposons pas de suffisamment de données toxicologiques pour le moment.
Quelles sont les conséquences du déclin des insectes sur les écosystèmes ? Comment sera la terre dans un siècle si rien n’est fait ?
F. S.-B. : Sans pollinisateurs, nous perdrions de nombreuses plantes à fleurs, pas seulement celles qui nous fournissent de la nourriture (70 % des fruits et des légumes que nous mangeons ont besoin de pollinisation), mais beaucoup d’autres. En dehors de cela, d’autres services écosystémiques fournis par les insectes dans les sols et les milieux aquatiques seront perdus, à savoir le recyclage de la matière organique et la purification des eaux. Enfin, des groupes entiers d’animaux dont la principale source de nourriture est constituée d’insectes disparaîtront simultanément – c’est ce qui se passe au moment où nous parlons, comme le démontrent certaines études récentes mentionnées dans notre document.
Que peut-on faire pour inverser cette situation ?
F. S.-B. : Pour inverser les tendances, nous devons commencer par supprimer les causes de ce déclin par ordre d’importance. Nous avons identifié l’intensification agricole comme le principal facteur de la baisse actuelle pour deux raisons: la perte d’habitat (en raison de la simplification des paysages agricoles et de la suppression des arbres, arbustes, parterres de fleurs …) et en raison de l’utilisation constante d’engrais et de pesticides de synthèse. La solution est à portée de main: revenir aux principes de la lutte intégrée, oublier l’utilisation systématique d’insecticides et commencer à produire des aliments de manière durable.
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*Francisco Sánchez-Bayo, Kris A.G. Wyckhuys, « Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers ». Biological Conservation, Volume 232, April 2019, Pages 8-27.