Protéger les abeilles
L’entomologiste Jeffery Pettis : « Les abeilles de Groix sont en pleine forme ! »
En mai dernier, POLLINIS lançait une étude scientifique sur l'île de Groix avec l'entomologiste mondialement connu, Jeffery Pettis, pour évaluer si les abeilles noires sont capables d'y cohabiter sans traitement avec le parasite Varroa destructor. Le chercheur revient enthousiaste d'une seconde phase d'observation.
De retour d’une seconde visite sur l’île de Groix, Jeffery Pettis est passé faire un point d’étape enthousiaste chez POLLINIS : « En général, quand les abeilles sont infestées par le varroa et qu’elles ne sont pas traitéesPar des antiacariens chimiques ou biologiques., elles meurent à l’automne. Mais là, elles vivent toujours. C’est une bonne surprise qu’elles se portent si bien », se réjouit-il. Ce biologiste et entomologiste américain est un spécialiste mondialement reconnu pour ses découvertes sur le comportement des abeilles. Il a spécialement traversé l’Atlantique à l’invitation de POLLINIS pour voir si les colonies d’abeilles de l’île de Groix sont capables de cohabiter avec le varroa.
Varroa destructor est un acarien originaire d’Asie du Sud-Est, apparu en Europe dans les années 1970. Il parasite les abeilles et leurs larves, et peut faire des dégâts importants dans les colonies. Pourtant, certaines populations d’abeilles ont appris à vivre avec. C’est le cas notamment d’Apis cerana, l’équivalent asiatique de notre abeille mellifère, qui cohabite de longue date avec lui et a ainsi co-évolué. Apis mellifera, l’abeille européenne, sera-t-elle capable de la même résilience ? C’est ce que POLLINIS veut vérifier.
Jeffery Pettis mène une étude scientifique pour POLLINIS sur l’île de Groix pour étudier la cohabitation entre l’abeille noire et un parasite invasif, Varroa destructor. © Ph. Besnard / POLLINIS
Pour cela, Groix est un terrain d’étude idéal. POLLINIS, grâce au soutien de ses sympathisants, a donc lancé une étude scientifique sur cette île. Dans ce petit paradis de nature au large du Morbihan, les butineuses sont élevées (presque) à l’abri des pesticides et chouchoutées par des apiculteurs amateurs, plus désireux d’admirer ces sociétés animales complexes que de battre des records de récolte de miel. Ils ont donc fait le choix du naturel et de laisser leurs abeilles apprendre à lutter elles-mêmes contre le varroa…
Loin des pesticides
« Les abeilles sont confrontées à trois problématiques majeures : trouver de la nourriture, c’est-à-dire du nectar et du pollen de fleurs en abondance, lutter contre les infections et maladies, dont le varroa, et résister aux pesticides. La plupart des pesticides, en particulier quand ils se retrouvent dans leur nourriture, sont très mauvais pour les abeilles », détaille Jeffery Pettis. À Groix, dans un environnement protégé de ces toxiques et sans intervention humaine à outrance, les abeilles ont une chance de pouvoir gérer parasite et nourriture, et de prospérer.
Lors de sa première phase d’observation, en mai, le chercheur a constaté qu’« il y avait des fleurs partout, tout était florissant ». Mais l’été peut être stressant pour les colonies… Pourtant, en septembre, elles se portent très bien : « Elles sont en bonne forme pour l’automne. Les cadres sont couverts d’adultes, elles ont un couvain et les reines sont présentes. La plupart des boîtes que nous avions placé avant l’été pour capturer les essaimsReine accompagnée d’un groupe d’ouvrières qui quitte sa colonie pour en fonder une nouvelle. sont pleines. C’est une bonne nouvelle. Ça veut dire que les abeilles sont fortes », note le chercheur.
Jeffery Pettis a rassemblé des échantillons de cire, quelques abeilles et spécimens de varroa qu’il doit encore étudier dans son laboratoire du Maryland aux États-Unis, mais ses premières estimations sont prometteuses : « En général, avec un taux d’infection supérieur à 5 % (c’est-à-dire 5 acariens pour 100 abeilles), une colonie meurt. Et là, même si je n’ai pas fini mes calculs, les taux d’infection semblent plus élevés et, pourtant, elles survivent, les abeilles sont présentes et elles ont un couvain en bonne santé. »
Il mentionne aussi l’interaction entre le varroa et différents virus, qui peuvent faire plus de mal à la colonie que le parasite lui-même : « il y a certainement des virus à Groix aussi, mais ils semblent avoir atteint un certain équilibre et n’affectent pas les abeilles autant qu’ailleurs ».
La survie du plus apte
Ces résultats préliminaires confirment donc les avantages d’une apiculture dite darwinienne, qui compte sur la « survie du plus apte », conformément à la sélection naturelle décrite par Charles Darwin. « Dans beaucoup de régions du monde, les apiculteurs traitent contre le varroa, et ils maintiennent ainsi en vie les colonies les plus fortes comme les plus faibles. À Groix, les apiculteurs laissent les abeilles répondre à leur environnement. Et si vous laissez le varroa avoir un impact et sélectionnez les colonies les plus fortes, alors les abeilles et les acariens vont s’adapter l’un à l’autre. On estime que ça peut se faire en 3 à 10 ans ; et c’est ce qui semble se passer à Groix. C’est quasiment unique ici et dans quelques autres endroits du monde », avance Jeffery Pettis.
50 colonies sauvages
L’entomologiste a aussi profité de sa visite pour recenser les colonies d’abeilles vivant à l’état sauvage sur Groix. Christian Bargain, responsable du Conservatoire de l’abeille noire sur l’île, en avait compté 34 au printemps. Ensemble, les deux hommes ont à nouveau arpenté l’île en septembre et en ont dénombré 50 ! Dans des troncs d’arbres morts, dans des roches creuses, dans des cheminées… Les deux hommes ne sont pas prêts d’oublier l’émotion suscitée par la découverte d’un ultime essaim, la 50e colonie, sous un dolmen, pierre façonnée par l’homme il y a des millénaires…
Jeffery Pettis reviendra au printemps prochain pour la dernière étape de son travail de terrain, dont les résultats seront publiés en 2020 : « Si toutes les colonies passent l’hiver, ce sera magnifique… »