Pesticides / Néonicotinoïdes

La Constitution, une arme pour censurer la loi Duplomb

Victoire pour les abeilles ! Le 7 août, le Conseil constitutionnel a censuré l'article 2 de la loi Duplomb, qui prévoyait le retour des néonicotinoïdes dans les champs français. Une décision historique qui reprend les arguments défendus par POLLINIS dans la contribution juridique rédigée avec 11 autres organisations, en soutien à la saisine déposée par les parlementaires.

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Date : 12 août 2025

Le 24 juillet, POLLINIS et 11 autres associations ont choisi d’utiliser l’arme du droit pour empêcher l’entrée en vigueur d’une majeure partie de la loi Duplomb. En appui aux recours déposés par des parlementaires de gauche, les associations ont adressé au Conseil constitutionnel une contribution détaillant les atteintes de ce texte aux droits fondamentaux. Deux semaines plus tard, une partie de ces arguments ont été retenus par les Sages.

Le 7 août, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 2 de la loi Duplomb, qui devait permettre le retour des néonicotinoïdes dans les champs français. Le Conseil a estimé qu’il entrait en contradiction avec « le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », principe consacré par la Charte de l’environnement. Une décision qui reprend les arguments déployés par POLLINIS dans le cadre de sa contribution à la saisine.

CONSULTEZ LA CONTRIBUTION DE POLLINIS À LA SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Le retour des néonicotinoïdes, contraire à cinq principes constitutionnels

D’après l’expertise juridique menée par POLLINIS, l’article 2 violait à lui seul quatre articles de la Charte de l’environnement, ainsi qu’un principe érigé dans le préambule de la Constitution. La Charte de l’environnement dispose, par exemple, que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Un objectif qui ne saurait être atteint avec la réintroduction dans la nature de substances dont les effets sur les pollinisateurs et l’ensemble du Vivant sont bien connus des scientifiques.

Dans son article 5, la Charte prévoit également l’application d’un « principe de précaution », pour écarter des décisions qui pourraient « affecter de manière grave et irréversible l’environnement ». À rebours de ce principe, la loi Duplomb permettait le retour de néonicotinoïdes dont les dommages irréversibles sur la biodiversité ont déjà été documentés. Une méta-analyse rassemblant 50 études sur cette famille de pesticides pointe, par exemple, que ces substances sont « bien à l’origine du déclin important de nombreuses espèces d’oiseaux ». Dans les milieux agricoles en Europe, la population d’oiseaux a déjà diminué de 60 % en l’espace de 40 ans.

Par ailleurs, le retour de l’acétamipride dans les champs français est incompatible avec un principe érigé dans le préambule de la Constitution, prévoyant que l’Etat doit « garantir à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Un principe central, pourtant ignoré par les défenseurs de la loi Duplomb au profit d’intérêts économiques. Pourtant, les scientifiques sont clairs : les effets neurotoxiques de l’acétamipride ont aussi des conséquences sur le corps humain. Dans une tribune publiée dans Le Monde en juin dernier, plusieurs organisations scientifiques et médicales (les sociétés françaises de pédiatrie, de neurologie, du cancer, ou encore le conseil scientifique du CNRS) rappelaient que « deux études ont montré une corrélation entre l’exposition in utero [à l’acétamipride] et la diminution du quotient intellectuel ».

Plus de la moitié de la loi Duplomb contraire à la Constitution

Malgré cette victoire, le combat n’est pas terminé. Tous les autres articles de la loi Duplomb ont été validés, notamment les dispositions facilitant la construction et l’agrandissement des bâtiments d’élevage intensif, ou encore le déploiement de mégabassines. Autant de mesures délétères, qui perpétuent un modèle agricole conventionnel déconnecté des enjeux environnementaux et destructeur des écosystèmes.

Dans leur contribution à la saisine du Conseil constitutionnel, POLLINIS et les 11 associations mobilisées soulignaient que cinq articles sur les huit que contient la loi Duplomb sont contraires à la Constitution. Avant même d’examiner le fond du texte, les conditions de son adoption – parfaitement anti-démocratiques – auraient pu justifier une censure. En effet, le 26 mai dernier, lors du premier examen de la proposition de loi à l’Assemblée, l’usage détourné d’une motion de rejet – déposée par les soutiens au texte – a interrompu les débats et précipité une négociation à huis clos, lors d’une commission mixte paritaire réunissant seulement 14 parlementaires majoritairement favorables à la loi. Par conséquent, aucune proposition d’amendement du texte n’a été discutée à l’Assemblée : une violation du droit d’amendement, garanti par l’article 44 de la Constitution.

L’article 3, qui permet de faciliter la construction et l’agrandissement de bâtiments d’élevage intensif, viole également 4 articles de la Charte de l’environnement, ainsi que l’objectif de protection de la santé des citoyens consacré dans le préambule de la Constitution. Quant à l’article 5, qui favorise l’installation de mégabassines, il entre également en contradiction avec trois principes constitutionnels.

Un débat à l’Assemblée, pour mettre les députés face à leurs responsabilités

Seule une abrogation de la loi Duplomb permettra d’empêcher ces dispositions délétères de voir le jour. C’est ce que réclame une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale, signée par plus de 2 millions de citoyens en moins de trois semaines. Un succès inédit, jamais atteint sur le site de l’Assemblée, qui devrait permettre l’organisation d’un nouveau débat sur le texte entre les députés. Le sujet sera en tout cas inscrit à l’ordre du jour de la prochaine conférence des présidents, prévue au mois de septembre.

Ce débat ne permettra pas l’abrogation de la loi Duplomb, car il ne donnera lieu à aucun vote. Seule une proposition de loi d’abrogation, que les parlementaires de l’opposition entendent d’ores et déjà déposerFranceinfo, 07/08/2025https://www.franceinfo.fr/environnement/loi-duplomb/direct-loi-duplomb-le-conseil-constitutionnel-rend-sa-decision-tres-attendue-sur-le-texte-a-partir-de-18-heures_7423087.html, pourrait empêcher le texte de voir le jour. En revanche, l’organisation d’un nouveau débat est un camouflet pour les lobbys et leurs soutiens politiques, qui ont tout fait pour empêcher les discussions lors de l’examen de la loi à l’Assemblée.

Avec cette mobilisation citoyenne exceptionnelle, épaulée par les alertes de nombreux scientifiquesLe Monde, 05/05/2025Le Monde, 25/06/2025Le Monde, 29/07/2025les défenseurs de la loi Duplomb sont rappelés à leurs responsabilités : par leur vote, ils s’opposent à la volonté de millions de Français et mettent en péril la santé de l’ensemble du Vivant.