Pesticides / Néonicotinoïdes

La Constitution, une arme pour censurer la loi Duplomb

Alors qu’une pétition contre la loi Duplomb rassemble déjà plus de 2 millions de signatures, le Conseil constitutionnel doit rendre dans les prochains jours une décision très attendue. Saisi par les parlementaires de gauche, il pourrait censurer plus de la moitié du texte, le rendant de fait inapplicable. Dans une contribution à cette saisine, POLLINIS et une dizaine d’associations soulignent que cinq des huit articles de la loi sont contraires à la Constitution.

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Date : 31 juillet 2025

Au cœur de l’été, une mobilisation citoyenne historique pourrait faire tomber la loi Duplomb. En moins de trois semaines, une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale pour demander l’abrogation du texte a recueilli plus de 2 millions de signatures.

Concentré de reculs environnementaux dictés par les lobbys de l’agro-industrie, la loi Duplomb prévoit notamment la réautorisation de néonicotinoïdes interdits dans les champs français depuis 2018. Malgré son adoption définitive au Parlement le 8 juillet, cette mobilisation inédite rappelle que le combat contre ce texte mortifère continue. Et il pourrait bien être récompensé par une prochaine victoire : plus de la moitié des dispositions de la loi Duplomb risquent de ne pas voir le jour.

Un débat à l’Assemblée, pour mettre les députés face à leurs responsabilités

Une semaine après sa mise en ligne, la pétition contre la loi Duplomb avait déjà recueilli 500 000 signatures. Un succès inédit, jamais atteint sur le site de l’Assemblée, qui devrait permettre l’organisation d’un nouveau débat sur le texte entre les députés. Le sujet sera en tout cas inscrit à l’ordre du jour de la prochaine conférence des présidents, prévue au mois de septembre.

Ce seul débat ne permettra pas l’abrogation de la loi Duplomb, car il ne donnera lieu à aucun vote. En revanche, c’est un camouflet pour les lobbys et leurs soutiens politiques, qui ont tout fait pour empêcher les discussions lors de l’examen de la loi à l’Assemblée. Jusqu’à présent, les députés opposés au texte n’ont jamais pu s’exprimer dans l’hémicycle, en raison d’un usage détourné de la motion de rejet qui a coupé court à tout débat.

Avec cette mobilisation citoyenne exceptionnelle, épaulée par les alertes de nombreux scientifiquesLe Monde, 05/05/2025Le Monde, 25/06/2025Le Monde, 29/07/2025, les défenseurs de la loi Duplomb sont rappelés à leurs responsabilités : par leur vote, ils s’opposent à la volonté de millions de Français et mettent en péril la santé de l’ensemble du Vivant.

Une procédure d’adoption contraire à la Constitution

Sans attendre un nouveau débat parlementaire, POLLINIS et une dizaine d’autres associations ont choisi d’utiliser l’arme du droit, pour que le texte n’entre jamais en vigueur. Car, en mettant en danger la santé des hommes et des écosystèmes, la loi Duplomb bafoue de nombreux principes constitutionnels et démocratiques.

En soutien des recours déposés par les parlementaires de gauche, douze organisations dont POLLINIS ont ainsi déposé une contribution devant le Conseil constitutionnel. Saisi le 11 juillet, il a un mois pour rendre sa décision, avec le pouvoir de censurer la totalité ou une partie des articles de la loi, s’ils sont jugés contraires à la Constitution.

D’abord, avant même d’examiner le fond du texte, les organisations appellent à le censurer dans sa totalité en raison des conditions de son adoption, parfaitement anti-démocratiques. En effet, le 26 mai dernier, lors du premier examen de la proposition de loi à l’Assemblée, l’usage détourné d’une motion de rejet – déposée par les soutiens au texte – a interrompu les débats et précipité une négociation à huis clos, lors d’une commission mixte paritaire réunissant seulement 14 parlementaires majoritairement favorables à la loi. Par conséquent, aucune proposition d’amendement du texte n’a été discutée à l’Assemblée : une violation du droit d’amendement, garanti par l’article 44 de la Constitution.

Cinq articles sur huit contraires à des principes constitutionnels

Au-delà de la forme, l’examen approfondi du texte par les associations révèle un constat implacable : plus de la moitié des articles de la loi Duplomb sont contraires à la Constitution, ou à des textes à valeur constitutionnelle. L’article 2 de la loi, qui vise à réautoriser l’utilisation de pesticides néonicotinoïdes interdits en France depuis 2018, est particulièrement concerné. D’après l’expertise juridique menée par POLLINIS, il viole à lui seul quatre articles de la Charte de l’environnement, ainsi qu’un principe érigé dans le préambule de la Constitution.

La Charte de l’environnement dispose, par exemple, que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Un objectif qui ne saurait être atteint avec la réintroduction dans la nature de substances dont les effets sur les pollinisateurs et l’ensemble du Vivant sont bien connus des scientifiques. Dans son article 5, la Charte prévoit également l’application d’un « principe de précaution », pour écarter des décisions qui pourraient « affecter de manière grave et irréversible l’environnement ». À rebours de ce principe, la loi Duplomb permet le retour de néonicotinoïdes dont les dommages irréversibles sur la biodiversité ont déjà été documentés. Une méta-analyse rassemblant 50 études sur cette famille de pesticides pointe, par exemple, que ces substances sont « bien à l’origine du déclin important de nombreuses espèces d’oiseaux ». Dans les milieux agricoles en Europe, la population d’oiseaux a déjà diminué de 60 % en l’espace de 40 ans.

Par ailleurs, le retour de l’acétamipride dans les champs français est incompatible avec un principe érigé dans le préambule de la Constitution, prévoyant que l’Etat doit « garantir à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Un principe central, pourtant ignoré par les défenseurs de la loi Duplomb au profit d’intérêts économiques. Pourtant, les scientifiques sont clairs : les effets neurotoxiques de l’acétamipride ont aussi des conséquences sur le corps humain. Dans une tribune publiée dans Le Monde en juin dernier, plusieurs organisations scientifiques et médicales (les sociétés françaises de pédiatrie, de neurologie, du cancer, ou encore le conseil scientifique du CNRS) rappelaient que « deux études ont montré une corrélation entre l’exposition in utero [à l’acétamipride] et la diminution du quotient intellectuel ».

Après le succès historique de la pétition, une censure du Conseil constitutionnel mettrait un coup d’arrêt à l’offensive des lobbys de l’agro-industrie, qui cherchent par tous les moyens à perpétuer un modèle dépassé et toxique.

CONSULTEZ LA CONTRIBUTION DE POLLINIS À LA SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL