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Protéger les abeilles

L’abeille noire, vaillante survivante de la dernière ère glaciaire en France

Au cours de la dernière période glaciaire, des communautés d'abeilles à miel installées en France se sont retrouvées cernées par les murs de glace et les toundras battues par des vents sibériens. Réfugiées dans le Sud du pays, certaines ont survécu à ce climat impitoyable. Ces rescapées sont les abeilles noires.

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Date : 14 janvier 2020
Abeille Pixabay CC0 - copie

Lorsqu’est survenu le dernier âge de glace, les abeilles à miel peuplaient déjà l’Europe depuis des centaines de milliers d’années. Apis mellifera s’était propagée sur le continent au cours de plusieurs vagues de migration, depuis une zone située en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient.

A la fin du Pléistocène (−2,5 Ma à −10 000 ans), des glaciers sont peu à peu descendus sur le Nord et le centre de l’Europe, bientôt recouverts d’une immense calotte glaciaire (appelée inlandsis) qui s’étendait de l’Angleterre à la Sibérie. L’eau étant mobilisée par les glaciers, le niveau des mers était plus bas de 120 mètres, et une langue de terre reliait même la France et l’Angleterre. Cet âge de glace a duré de −110 000 à −11 000 ans, le maximum glaciaire étant atteint vers −22 000 ans, avec des températures de 5 à 6 degrés inférieures à celles que nous connaissons actuellement.

europe ere glaciaire
Au maximum glaciaire, une calotte de glace recouvre le Nord de l’Europe et les Alpes. © Ulamm

Durant cette époque glaciaire, une mégafaune peuplait le territoire français : mammouths laineux de 10 tonnes, rhinocéros laineux, lions des cavernes, cerfs géants de 2 mètres au garrot (mégacéros) et rennes… Il y avait également des rongeurs, marmottes ou lemmings à collier, des oiseaux (chouette harfang, lagopède, chocard à bec jaune…), des poissons, reptiles, batraciens et des insectes… L’homme de Neandertal et Homo sapiens foulaient également ces terres.

L’abeille, cernée par les glaciers

Les communautés d’abeilles installées sur ce territoire se sont retrouvées encerclées par l’immense glacier au Nord, les Alpes à l’Est et la barrière glacée des Pyrénées au Sud-Ouest. Entre le glacier du Nord et les Alpes s’étendait une toundra, tapis d’herbes éparses, de mousses, de lichens et d’arbustes nains, battue par des vents violents et glacés.

Seul le Sud de la France était tapissé de steppes peu boisées, comme celles qui se trouvent actuellement en Asie centrale, et de forêts clairsemées de pins sylvestres. Les températures montaient à 15 °C l’été et descendaient à −20 °C en hiver.

Les recherches sur les pollens du Quaternaire ont permis de retrouver la trace d’arbres à feuillage caduque (tels que le noisetier, le chêne ou le hêtre), dont la présence témoigne de l’existence de microclimats plus cléments. Les mêmes espèces végétales ont aussi été identifiées dans le charbon issu des feux de bois de communautés humaines du Paléolithique qui s’étaient réfugiées dans le Sud-Ouest de la France durant la période glaciaire. Dans cette mosaïque de paysages du Sud se trouvaient donc des zones hospitalières.

C’est là qu’Apis mellifera a pu se replier, au sein de vallées abritées des vents violents qui balayaient plateaux et collines. Avec une forte pression de sélection imposée par le climat glaciaire, seuls les groupes d’abeilles isolés disposant de bonnes capacités de résistance et de frugalité, et une stratégie de récolte et de stockage important du miel pour passer l’hiver ont résisté. Ces groupes constituent la sous-espèce Apis mellifera mellifera, l’abeille noire, véritable survivante des glaciations.

Faune de l'âge de glace au nord de l'Espagne_2008- Mauricio Antón

L’abeille noire était contemporaine de la mégafaune du Quaternaire. ©Mauricio Antón

À l’assaut des terres du Nord

Le climat s’est ensuite réchauffé il y a environ 8 000 ans. Les sols ont dégelé, le niveau de la mer est remonté de −120 m à −25 m par rapport au niveau actuel. La toundra, qui dominait une vaste partie de l’Europe, a régressé. Les essences d’arbres feuillus qui s’étaient maintenues dans des zones refuges durant les périodes froides, ont repeuplé le territoire.

Avec le réchauffement, certaines espèces d’animaux comme le renne ou le renard polaire ont migré vers les régions nordiques. D’autres espèces se sont éteintes : mammouth, lion des cavernes, rhinocéros laineux, mégacéros…

Quant aux abeilles, trois sous-espèces d’Apis mellifera s’étaient désormais différenciées sur le pourtour nord de la Méditerranée : Apis mellifera mellifera en France, Apis mellifera iberica dans la péninsule ibérique et Apis mellifera ligustica en Italie.

Tandis qu’iberica reste bloquée par les montagnes des Pyrénées et ligustica par les Alpes, l’abeille noire présente dans le Sud de la France, elle, n’est plus cernée par aucun obstacle. Profitant du climat plus propice, elle commence à conquérir le Nord, entame une progression vers l’intérieur des terres et colonise un immense territoire qui s’étend jusqu’à l’Oural à l’Est, à la Scandinavie au Nord et à l’Angleterre, encore reliée au continent.

abeille edelweiss
Cette abeille noire de Savoie, surprise en train de butiner un edelweiss dans le Parc national de la Vanoise, est la digne héritière de ces ancêtres. Elle est particulièrement adaptée à des hivers froids et longs et à la végétation qu’elle rencontre en montagne. © Parc national de la Vanoise – Ludovic Imberdis

Un patrimoine exceptionnel et menacé

Cette capacité d’adaptation à des conditions climatiques extrêmes confère à l’abeille noire un patrimoine génétique exceptionnel. Cependant, après avoir survécu dans nos contrées au cours des millénaires, cette précieuse abeille est aujourd’hui menacée de disparition. Les apiculteurs, dont les cheptels sont décimés par les pesticides et les maladies, importent en effet massivement depuis quelques décennies des reines issues d’autres sous-espèces.

Venues des quatre coins du monde – Europe du sud, Amérique latine, Australie… – ces abeilles se croisent avec les abeilles locales, provoquant une hybridation incontrôlable. Le patrimoine génétique de l’abeille noire, résistante et façonnée par nos paysages, se dilue ainsi de manière accélérée. Selon les scientifiques, cette pollinisatrice locale, venue du fonds des âges, pourrait avoir totalement disparu d’ici une quinzaine d’années.