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Pollinisateurs / Save local bees

Hybridation : les importations de reines et d’essaims menacent les abeilles locales

Alors que de multiples facteurs déciment les abeilles partout dans le monde, les importations massives de reines et d’essaims d’élevage fragilisent davantage les abeilles mellifères locales, dont l’abeille noire est l’emblématique représentante sur nos territoires.

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Date : 23 mai 2019
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Commandés sur Internet, des « paquets d’abeilles » arrivent par la poste, des essaims en boîtes ou sur cadres, des reines vierges ou fécondées, des cellules royales… En deux décennies, divers « produits » se sont mis à transiter vers les ruchers, depuis la France mais aussi et surtout depuis l’étranger. Ces importations, appelées officiellement « mouvements de matériel apicole vivant », servent à remplacer dans l’urgence les milliers de colonies frappées de mortalité soudaine ou mystérieusement disparues, pour éviter la faillite des exploitations apicoles. Mais elles ont aussi de lourdes conséquences sur l’apiculture en général puisqu’elles contribuent à affaiblir les abeilles, notamment les abeilles locales, condamnées à disparaître si rien n’est fait rapidement pour les aider.

Tout s’est précipité dans les années 80, avec la colonisation de l’ensemble des ruchers par un petit acarien parasite de l’abeille, le Varroa destructor… Puis, moins d’une décennie après la mise sur le marché d’une nouvelle classe d’insecticides systémiques, les néonicotinoïdes. En dix ans, les pertes de colonies sont passées de 5 % par an à 30 % par an en moyenne.

Dans l’Audit économique de la filière apicole publié en 2012, le nombre de colonies d’abeilles nécessaires chaque année pour repeupler les ruchers français a été estimé à « 420 000 unités de production, dont 65 % sont imputables aux pertes hivernales et 35 % aux pertes estivales ».

Face à cette situation de crise dans les ruchers, les apiculteurs se sont mis à développer l’élevage d’abeilles en parallèle de leur production de miel pour tenter de reconstituer leurs ruchers. Une petite centaine d’entre eux s’est même spécialisée en France dans la production d’essaims et de reines, une activité qui devient aujourd’hui plus lucrative que le miel… Mais cette offre locale peine à répondre à la demande. Pour pouvoir renouveler leur cheptel et poursuivre leurs activités, les apiculteurs sont en réalité contraints d’importer massivement des abeilles des quatre coins du monde. Eurostat, le bureau des statistiques de l’Union Européenne, confirme ces mouvements intra ou extra communautaires à partir des statistiques fournies par les douanes (nomenclature « 01064100 Abeilles vivantes »). Cependant, ce bureau est incapable de donner une vision globale des importations car les achats passés directement via internet ne sont pas pris en compte dans les statistiques.

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Photo de Bernard Bertrand

Un grand flou règne aussi sur la provenance réelle des essaims et des reines. Les mortalités d’abeilles étant à peu près identiques dans tout l’hémisphère nord (Europe, États-Unis, Canada, Japon…), la demande mondiale en abeilles vivantes a grimpé en flèche et des pays se sont spécialisés pour y répondre. Il s’agit en Europe de pays aux conditions climatiques plus favorables à l’élevage, comme la Grèce, l’Italie ou Malte, qui produisent chacun des milliers d’essaims pour l’exportation ; et à plus vaste échelle, du Chili, de l’Argentine, de l’Australie, ou de la Nouvelle-Zélande par exemple, qui fournissent également le monde entier via Internet et la poste.

UNE REINE D’ÉLEVAGE PLUS FRAGILE QUI AFFAIBLIT TOUTE LA COLONIE

Ce grand brassage international n’est pas sans conséquence sur la qualité et la santé des abeilles. Il favorise évidemment l’introduction et la diffusion à grande échelle de ravageurs et de nouvelles maladies, et il contribue à l’affaiblissement des abeilles. Les essaims achetés sur le marché sont souvent formés d’abeilles provenant d’une ou plusieurs colonies auxquels on a ajouté une reine : on obtient ainsi une sorte de matériel biologique prêt à l’emploi, et plus fragile. Les reines d’abeilles importées des pays plus chauds que la France voyagent par avion ou camion, souvent sur de longues distances, dans des boîtes avec quelques abeilles qui les assistent pour assurer leur survie. Elles arrivent fragilisées et affaiblissent la colonie sur laquelle elles sont appelées à régner.

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Vendues vierges ou fécondées (en station d’élevage ou artificiellement), les reines sont moins prolifiques que par le passé. Elles pondaient jusqu’à 2 500 œufs par jour pendant deux ou trois ans il y a quelques années encore. Aujourd’hui, selon les apiculteurs, le rythme de ponte baisse dès la deuxième année et la fécondation se fait moins bien. Ils sont de plus en plus nombreux à remplacer les reines chaque année à l’automne pour éviter un affaiblissement de la colonie.

Parmi les races d’abeilles les plus vendues, on trouve des Buckfast, dont le caractère peu agressif et la productivité séduisent nombre d’apiculteurs professionnels et amateurs (la plupart des ruches installées dans les jardins et dans les villes sont des Buckfast). La carnica de Grèce, la ligustica d’Italie, et la caucasica ont aussi la cote. Les apiculteurs apprécient les essaims qui arrivent du Sud car ils sortent de l’hivernage plus tôt que les autres, souvent dès le mois de février. Ils permettent aux apiculteurs de démarrer la saison dès les premières fleurs et d’augmenter ainsi le volume de la récolte.

Mais les pays exportateurs élèvent et vendent des races d’abeilles adaptées à leur environnement d’origine. Les conditions dans notre pays, avec un climat plus froid, une flore et un environnement différents, fragilisent globalement les colonies qui réclament plus de soins et de nourriture : aujourd’hui en France, la consommation de sucre de nourrissement par les abeilles dépasse le poids de la récolte de miel !

Surtout, ces abeilles importées créent un métissage incontrôlable des abeilles endémiques, comme Apis mellifera mellifera, l’abeille noire endémique d’Europe de l’Ouest, aujourd’hui menacée. En Île-de-France par exemple, selon les études menées par Lionel Garnery, chercheur au CNRS et généticien de l’abeille, entre 2004 et 2006, 73 % des abeilles étudiées étaient des abeilles noires avec des « hot spots » à 95 %, contre 27 % d’abeilles hybridées avec des abeilles d’importation. Dix ans plus tard, il ne reste que 11 % d’abeilles locales, toutes les autres étant hybridées. Cela représente un grand nombre de combinaisons de gènes. « La sélection naturelle est à l’œuvre parmi ces hybrides mal adaptés et peut augmenter les pertes », prévient-il.

UNE URGENCE : OBTENIR UN STATUT JURIDIQUE POUR LES CONSERVATOIRES

Pour l’abeille noire, il existe un espoir : les conservatoires. En France, ces zones ne sont toujours pas protégées légalement contre l’introduction d’autres races d’abeilles (voir encadré). Une jurisprudence est pourtant en train de naître. La Slovénie protège déjà sa race locale d’abeilles carnioliennes en s’opposant à l’importation d’autres races. Et au Danemark, l’île de Laeso a obtenu elle aussi un arrêt de la Cour de justice européenne lui reconnaissant le droit d’interdire les importations d’abeilles.

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Ces politiques doivent servir de modèle en France et ailleurs. Car le risque est grand aujourd’hui que les abeilles locales ne soient bientôt plus capables de survivre seules dans la nature, sans soin et sans nourrissement. Par son intervention permanente sur ces populations d’abeilles pourtant parfaitement adaptées et résistantes, l’homme les condamne à ne plus devenir que des animaux d’élevage en stabulation, incapables de vivre par elles-mêmes, bien loin des butineuses libres et efficaces qu’elles ont été pendant des millénaires.

Il devient vital d’offrir aujourd’hui à nos populations un environnement favorable qui leur permette de s’adapter par elles-mêmes à des conditions de moins en moins favorables à leur survie. La création des conservatoires protégés légalement de tous ces fléaux reste en attendant la meilleure réponse pour préserver dans la nature ce patrimoine fragile, mais inestimable et irremplaçable.

→ Cet article a été rédigé par POLLINIS pour le magazine Abeilles en liberté, une revue consacrée aux abeilles et pollinisateurs, pour initier et accompagner des solutions nouvelles et alternatives. Cliquez ici pour découvrir cette revue

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©B. Bertrand