PESTICIDES génétiques ARNi : L'agrochimie étoffe son arsenal mortifère
Alors que l’application massive de pesticides chimiques est une des causes principales de l’extinction des insectes pollinisateurs, la réduction de leur usage s’invite dans de nombreux agendas politiques. La recherche d’alternatives à ces produits a débouché sur le développement de pesticides génétiques, comme par exemple les pesticides à interférence ARN (ARNi).
Issus des avancées récentes en matière d’ingénierie génétique, ces nouveaux pesticides génétiques neutralisent l’expression de gènes vitaux chez les insectes ravageurs pour les éliminer. Parmi les modes de diffusion de ces pesticides, la méthode la plus aboutie est actuellement celle des plantes génétiquement modifiées pour transmettre l’ARN interférent par les feuilles, le pollen1 ou la sève2. Le premier pesticide ARNi approuvé par l’EPA (Agence de Protection de l’Environnement des Etats-Unis) est ainsi le maïs MON 8741134 de Bayer-Monsanto*, tolérant au glyphosate et ciblant la chrysomèle des racines du maïs (Diabrotica virgifera), qui ravage les cultures du céréale.
D’autres modes d’application voient le jour, comme les microorganismes ou encore les sprays. Des entreprises spécialisées dans les biotechnologies s’attellent, aux côtés des firmes de l’agrochimie, à leur développement. GreenLight Biosciences, créée en 2008 dans le Massachusetts, entend ainsi commercialiser neuf produits ARNi à usage agricole d’ici 2028 pour un marché potentiel qu’elle estime à 8 milliards de dollars3. Son spray ARNi ciblant le doryphore de la pomme de terre (Leptinotarsa decemlineata) vient d’être approuvé outre-Atlantique.
GreenLight Biosciences entend soumettre prochainement ce produit pour approbation dans l’Union européenne4, où les pesticides ARNi sont aujourd’hui couverts par le règlement encadrant la commercialisation des pesticides. Dans une réponse écrite à l’ancien eurodéputé Eric Andrieu (S&D), la Commission européenne affirmait en effet, le 3 mai 2023, que les pesticides ARNi « ne se trouvent pas dans un vide réglementaire – au contraire, ils sont pleinement couverts par le règlement (CE) n° 1107/2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ».5
Si le manque de recherches indépendantes et de protocoles d’évaluation empêche d’établir une vision précise de l’impact environnemental de ces produits, de premières études ont déjà mis en évidence leurs potentiels effets hors cibles. En éliminant les insectes indésirables pour l’activité agricole, les pesticides ARNi pourraient en effet affecter des insectes non-ciblés comme des auxiliaires de culture, dont les pollinisateurs.
Des essais en laboratoire ont ainsi mis en évidence l’incidence significative d’un ARN double brin (la substance active des pesticides ARNi) ciblant la chrysomèle des racines du maïs (Diabrotica virgifera) sur deux espèces de coccinelles : Adalia bipunctata, et Coccinella septempunctata – à des doses toutefois supérieures à celles attendues en plein champ6. En 2017, une étude menée par deux chercheurs nord-américains a également permis d’identifier 101 ARNs à visée insecticide présentant une grande similarité de séquence avec des régions génomiques de l’abeille à miel (Apis mellifera).7
Pour mesurer ces potentiels effets hors-cible, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) préconise donc de développer une méthodologie spécifique, basée sur la comparaison de séquences entre la substance active des pesticides ARNi et les organismes non-ciblés8. En Europe, la conception de cette méthodologie se trouve entre les mains du projet RATION, initié en 2020 par la Commission européenne pour faciliter le déploiement des pesticides à faible risque « actuels et émergents »9. Une formulation ambigüe à l’heure où, précisément, aucune évaluation des risques ne permet d’établir la dangerosité moindre des pesticides ARNi.
Si ce projet est dépourvu de pouvoir législatif – et ne pourra donc pas trancher sur l’appartenance, ou non, des pesticides ARNi à la catégorie des pesticides à faible risque –, il compte deux firmes de l’agrochimie parmi ses lauréats. L’une d’elles, Bayer-Monsanto, travaille spécifiquement – et aux côtés d’académies publiques – à la mesure des risques des pesticides ARNi, produits qu’elle-même développe et commercialise.
Malgré des risques sous-évalués, plusieurs tests de pesticides ARNi ont déjà eu lieu dans les champs de différents États membres comme la Slovénie, l’Espagne, l’Allemagne ou encore la France. En réponse à une demande de POLLINIS, l’Agence sanitaire française (Anses) confirmait ainsi, en décembre 2023, avoir enregistré quatre déclarations d’essais en plein champ pour ces produits. Plus tôt dans l’année, elle indiquait ignorer le lieu et la date de réalisation de ces essais. Plus préoccupant encore, l’Agence affirmait alors que « les produits qui ont été expérimentés n’ont donc pas été évalués par l’Anses et leurs compositions détaillées n’ont pas été communiquées à [l’institution] ».
Alors que leurs fabricants les dénomment tour à tour « biopesticides » ou « solutions », les pesticides ARNi se frayent ainsi un chemin dans les arènes décisionnaires parmi les éventuelles alternatives aux pesticides chimiques. Mais au-delà de l’absence d’évaluation des risques, plusieurs indices témoignent de leur complémentarité avec les méthodes conventionnelles de protection des cultures. Pour l’OCDE, il est ainsi « probable que l’ARN double brin et les produits chimiques conventionnels soient utilisés en combinaison dans des sprays ». Autrement dit, plutôt que de se substituer à leurs homologues chimiques, les pesticides ARNi pourraient contribuer à pérenniser leur usage.
Alors que les effets potentiels des pesticides ARNi sur l’environnement ou la santé ne sont pas assez évalués, POLLINIS demande aux dirigeants français et européens de les écarter immédiatement du marché. L’association a en ce sens alerté des Parlementaires français et européens, et demandé des comptes auprès de la Commission européenne, des agences sanitaires (EFSA, Anses) et les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement de l’Hexagone.
Plusieurs députés de France et de l’Union européenne se sont ainsi saisis de la question, exigeant des réponses au gouvernement français et à la Commission européenne au sujet des essais en plein champ menés dans l’Union.
L’association exhorte ainsi la Commission européenne, le Parlement européen et les Etats-membres de l’Union à :
- Appliquer strictement le principe de précaution en l’attente d’une évaluation indépendante de leurs risques pour les pollinisateurs, la biodiversité et les écosystèmes ;
- Établir un moratoire immédiat sur les essais en plein champ de pesticides ARNi.