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Biotechnologies génétiques / Forçage génétique

Controverse à l’UICN sur la biologie de synthèse au service du vivant

Alors que les appétits privés s'aiguisent autour de la biologie de synthèse, la question de l'utilisation de ces techniques dans la conservation du vivant s’est invitée lors du congrès mondial de la Nature de l'UICN. Après d’âpres débats, un groupe d’opposants, dont POLLINIS, est parvenu à imposer le principe de précaution dans une motion controversée sur le sujet.

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Date : 28 septembre 2021

Le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui s’est tenu en septembre à Marseille, a été le théâtre d’un bras de fer intense autour d’une motion sur la biologie de synthèse comme outil potentiel de conservation du vivant.

Alors que cette nouvelle discipline de création d’organismes vivants au travers de l’ingénierie génétique suscite les convoitises des grandes entreprises et l’intérêt des gouvernements dans plusieurs secteurs (santé, défense, agriculture), cette motion controversée visait à encadrer l’élaboration d’une politique de l’UICN sur cet épineux sujet. Plus grande organisation au monde de protection de la nature avec 1 000 membres dans 148 pays, l’UICN envisageait l’utilisation de cette technologie, incluant le forçage génétique, au service de la lutte contre l’érosion de la biodiversité, passant sous silence ses nombreux risques potentiels.

genetique (c) Pete Linforth Pixabay copie

Un groupe d’organisations, dont POLLINIS, est parvenu à assurer que le principe de précaution guide la politique de l’UICN sur la biologie de synthèse et la conservation de la nature. © P. Linforth/Pixabay.

Au terme de négociations ardues, un groupe d’organisations, de représentants de gouvernements et d’ONG – dont Pro Natura, Deutsche Naturschutzring, les Amis de la Terre Hongrie et POLLINIS – sont parvenus à faire adopter en assemblée plénière une motion amendée insistant sur l’importance du principe de précaution. Le texte fait aussi état du manque de données et de connaissances sur l’impact de la biologie de synthèse, et notamment du forçage génétique.

Le groupe d’opposants à la motion a aussi obtenu la création d’un comité de travail sur le sujet. Composé uniquement de membres de l’UICN (ONG et gouvernements), il devra plancher en amont du prochain congrès en 2025, où sera actée la politique de l’UICN sur ces nouveaux enjeux.

Le vote en assemblée plénière a toutefois été marqué par l’absence de nombreux pays du Sud, en raison des restrictions de voyage imposées par la crise sanitaire. Aux premières loges des essais programmés de dissémination dans la nature d’organismes forcés, ces derniers n’ont pourtant pas pu faire entendre leur voix, le vote à distance n’étant pas accepté pour cette motion.

De fait, le forçage génétique est une nouvelle biotechnologie qui vise à modifier de manière définitive l’ensemble d’une espèce, en permettant à des organismes génétiquement modifiés de transmettre leurs modifications à toute leur descendance. Ainsi, en quelques générations, ces gènes « forcés » se propagent à l’ensemble de l’espèce. Cette technologie extrême pourrait prochainement être expérimentée au Burkina Faso pour éliminer les moustiques vecteurs de la malaria, alors que ses répercussions négatives pour la biodiversité sont encore largement imprévisibles et incontrôlables.

Modifier génétiquement des espèces sauvages

« Que l’UICN ait envisagé les technologies telles que le forçage génétique comme un levier de conservation du vivant est un non-sens, tant ces techniques pourraient avoir des effets irréversibles et incontrôlables sur les écosystèmes, dénonce Joann Sy de POLLINIS qui a participé au groupe de travail. La modification génétique des espèces sauvages ne peut pas faire office de solution pour enrayer le déclin de la biodiversité, dont les activités humaines sont les premières responsables ».

Dans un communiqué de presse, le groupe d’organisations de la société civile mobilisé sur cette motion constate qu’« en adoptant d’importants amendements à la résolution 075, les représentants internationaux de la conservation ont reconnu qu’il existe d’importantes lacunes dans les données et les connaissances, ainsi que des problèmes éthiques, sociaux, culturels et écologiques non résolus concernant les technologies développées pour modifier génétiquement des espèces sauvages. »

Si le travail de POLLINIS et des autres organisations présentes a permis de remanier cette motion favorable à la biologie de synthèse, les pressions pour une utilisation peu régulée de ces technologies se font nombreuses et ont égrené tout le processus d’élaboration du texte.

Dès 2016, l’UICN s’était donnée pour mission l’« Élaboration d’une politique de l’UICN sur la conservation de la biodiversité et la biologie de synthèse » dans une résolution adoptée lors du congrès mondial d’Hawaii. Le rapport d’évaluationGenetic frontiers for conservation - UICN, commandité à des experts et publié en 2019, avait alors été élaboré par un panel dont une majorité des contributeurs avaient des positions favorables aux biotechnologies ou étaient en situation de conflit d’intérêts potentiel, selon une étude des organisations de la société civileRapport « Driving under the influence » - ETC Group .

Éliminer les rongeurs

Sans surprise, ce rapport intitulé « Genetic frontiers for conservation » qui a servi de base à la motion adoptée en septembre, avance des conclusions extrêmement favorables à l’ingénierie génétique. Il estime que la biologie de synthèse pourrait « potentiellement être appliquée dans la conservation de la nature », que « la biologie de synthèse et le forçage génétique peuvent être bénéfiques pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. Par exemple en protégeant les espèces menacées contre les maladies ou les menaces climatiques, en éradiquant les espèces envahissantes, en augmentant la diversité génétique dans les petites populations d’espèces menacées, en restaurant un substitut d’une espèce éteinte, pour la restauration d’écosystèmes dégradés, ou le remplacement de produits.»

rat-iucn-forcage-genetique-gordon-johnson-pixabay

Concernant le forçage génétique, il donne comme « exemple exploré » son utilisation « pour éradiquer les rongeurs envahissants sur les îles. » Un autre exemple « pourrait consister à modifier les gènes des coraux pour augmenter leur capacité à résister aux impacts du réchauffement des océans résultant du changement climatique. »

Lobbying intensif

Les motions votées par l’UICN vont ensuite être portées au niveau de la Cop15, la conférence sur la biodiversité, réunissant 190 pays à Kunming, en Chine, en octobre. Cette grande messe internationale doit décider d’un « avant-projet » pour un cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020. Une motion de l’UICN suggérant l’utilisation du forçage génétique pour la conservation de la biodiversité constitue donc un premier pas vers une légitimation sur la scène internationale de cette technologie aux risques encore méconnus.

Les appels de pieds en faveur d’une utilisation des nouvelles techniques d’édition du génome régulées au minimum ne se cantonnent pas à la conservation de la biodiversité. Les firmes des biotechnologies, qui ont massivement investi dans le développement de ces applications, tentent depuis deux ans de faire sauter les verrous règlementaires qui entravent la commercialisation de leurs produits en Europe, notamment dans le secteur de l’agriculture. Ce lobbying intense en faveur d’une dérégulation bénéficie aujourd’hui du soutien du gouvernement français, qui compte pousser le sujet à l’agenda européen lors de sa présidence de l’Union européenneLa présidence française de l’Union européenne se déroulera au premier semestre 2022. . Pour l’heure, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) de 2018 rappelle que ces nouveaux organismes restent sous le coup de la législation européenne en matière d’OGM. Mais les firmes de biotechnologie entendent ouvrir des brèches à tous les niveaux, y compris en promouvant leurs technologies dans un objectif de conservation de la nature.

Des ajouts introduits dans la motion 075 :

« RECONNAISSANT qu’il y a encore des lacunes importantes de données et de connaissances sur la biologie de synthèse (y compris sur le génie génétique et les techniques de forçage génétique) et sur ses impacts écologiques, éthiques, sociaux et culturels »

« NOTANT que, dans le contexte de la biologie de synthèse, le principe de précaution mérite une attention particulière, car certaines applications de la biologie de synthèse peuvent produire des organismes avec des modifications complexes de caractéristiques biologiques ou d’organismes qui persistent, se propagent et se diffusent intentionnellement dans les populations naturelles ».

«  APPELLE le Directeur général et les Commissions à rester neutres sur tous les aspects de la biologie de synthèse jusqu’à l’adoption officielle d’une politique de l’UICN sur la biologie de synthèse, en se maintenant informé des nouvelles connaissances lors du processus.

 


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