LE PROJET : SUIVRE LES COLONIES SAUVAGES D'ABEILLES NOIRES

Depuis douze ans, le président de l’Association de sauvegarde de l’abeille noire de Groix (ASAN GX), Christian Bargain, mène une observation régulière des colonies sauvages de Groix, afin de documenter leur survie. Chaque année, l’apiculteur amateur en dénombre une trentaine sur l’île, un chiffre qui reste quasi constant au fil des ans, signe de la robustesse et de la vitalité de ces populations sauvages groisillonnes.

L’ensemble du territoire de Groix est une zone privilégiée pour l’abeille noire locale. L’absence quasi totale de pesticides depuis 2011Les services techniques de la commune de Groix n’utilisent plus aucun produit phytosanitaire depuis 2011., couplée à la pratique d’une apiculture douce avec des interventions limitées des apiculteurs, ont permis aux abeilles noires locales vivant dans des ruches de préserver leur patrimoine génétique irremplaçable, naturellement adapté au climat et aux ressources de l’île. En outre, des études scientifiques ont démontré que l’île abrite des abeilles noires au patrimoine génétique très purLionel Garnery (CNRS), 2018. Rapport d’expertise : analyses génétiques de la population d'abeilles mellifères de l'île de Groix.

Si les abeilles domestiques – notamment à Groix – sont largement étudiées par les scientifiques, leurs congénères vivant à l’état sauvage sont les grandes oubliées de la recherche. L’étude de leurs populations permettrait cependant d’en apprendre davantage sur les capacités de résilience et d’adaptation d’Apis mellifera. Avec l’apport des données recueillies par l’ASAN GX pour localiser les colonies sauvages, POLLINIS a donc lancé une étude avec l’entomologiste Jeffery Pettis, afin d’approfondir les connaissances sur les abeilles noires sauvages de Groix, et de mieux connaître leurs capacités de survie, notamment face au varroa avec lequel elles semblent cohabiter. Des analyses génétiques pour connaître leur phénotype seront également réalisées. Ces recherches feront l’objet d’une publication en 2022.

LA PROBLÉMATIQUE

Des colonies sauvages méconnues

Si les abeilles mellifères domestiques sont largement étudiées par les scientifiques, leurs congénères vivant à l’état sauvage sont les grandes oubliées de la recherche. En France, il n’existe à ce jour qu’un seul inventaire – lacunaire – des colonies sauvages d’abeilles  mené en 1978 par Robert Canteneur, vétérinaire des services départementaux du Bas-Rhin du ministère de l’Agriculture et apiculteur amateurSes recherches sont détaillées dans deux articles parus en 1982 dans les revues L’abeille de France et L’Apiculteur.. Ce travail d’inventaire déclaratif n’aborde cependant pas nombre de sujets comme les habitudes de butinage, le rythme de reproduction, l’organisation globale des colonies ou l’évolution du patrimoine génétique des abeilles vivant à l’état sauvage… Même en Europe, les recherches sur les abeilles mellifères sauvages restent marginalesQuelques études existent, sur les abeilles mellifères d’Allemagne centrale et du nord de la Pologne :
– Oleksa, A., et al. , 2013, « Rural avenues as a refuge for feral honey bee population », Journal of Insect Conservation.
– Kohl, P. L., & Rutschmann, B., 2018, « The neglected bee trees: European beech forests as a home for feral honey bee colonies », Peer J.
– Browne, K. et al. 2020. « A study of free-living honey bees in Ireland. » Journal of Apicultural Research 60(2).
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L’abeille noire : un précieux patrimoine en danger

L’abeille locale, ou abeille noire, est présente depuis plus d’un million d’années dans le nord-ouest de l’Europe. Seule abeille à miel à avoir survécu à la dernière glaciation, il y a 10 000 ans, Apis mellifera mellifera a développé des capacités extraordinaires de résistance et d’adaptation aux plantes et aux climats locaux.

Mais elle est aujourd’hui en train de disparaître, sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs. Comme l’ensemble des pollinisateurs, cette abeille souffre de la dégradation de son habitat naturel et de l’utilisation massive des pesticides. Les effets du brassage génétique opéré par l’importation d’abeilles issues de sous-espèces différentes sur l’ensemble des colonies sauvages sont aujourd’hui méconnus, car l’évolution génétique des colonies sauvages en France n’est pas étudiée. Des données plus exhaustives font aussi cruellement défaut sur la cohabitation entre colonies d’élevage et sauvages.

Face au déclin des colonies d’abeilles à mielEn Europe, on estime que les populations d’abeilles à miel ont vu leur nombre chuter de 25 % depuis 1985., l’étude des populations vivant à l’état sauvage pourrait apporter des connaissances complémentaires à celles existantes sur les populations domestiques élevées en ruche.

« LES ABEILLES NOIRES DE GROIX DOIVENT ÊTRE PROTÉGÉES POUR NOUS PERMETTRE D’ÉTUDIER CETTE SOUS-ESPÈCE DANS UN CADRE NATUREL »

Jeffery Pettis, biologiste et entomologiste

LE SITE : L'ÎLE DE GROIX

Une île préservée et protégée

Cette petite île de 15 kilomètres carrés au large de la côte sud de la Bretagne ne compte que 2 200 habitants, mais elle abrite 250 ruches d’abeilles domestiques et entre 30 et 50 essaims permanents d’abeilles à miel sauvagesASAN GX. Suivi des colonies sauvages d’abeilles noires. Étude 2010/2021 .

L’environnement naturel de l’île est préservé par plusieurs types de protection (Réserves naturelles nationales, Natura 2000, Conservatoire du Littoral, Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique), ce qui en fait une zone de conservation naturelle idéale pour les différents pollinisateurs sauvages et les abeilles à miel. Créée en 1982, la réserve naturelle nationale François Le Bail couvre par ailleurs 98 hectares de l’île. Grâce à ces diverses protections, la flore de Groix est principalement endémique et plus de 70 % de la superficie de l’île est exempte de culture.

Les abeilles noires de Groix – domestiques et sauvages – ont un patrimoine génétique particulièrement préservé. Alors que les abeilles noires, presque partout en France, se sont hybridées avec d’autres sous-espèces, l’insularité a joué ici un rôle clé : les côtes sont trop éloignées du continent pour que les mâles d’abeilles importées puissent venir féconder les reines groisillonnes. Les apiculteurs locaux ont aussi à cœur de préserver l’unicité de leurs abeilles. Et depuis 2008, l’île est protégée par un arrêté municipal interdisant l’importation d’abeilles. 

Une observation unique sur une décennie

Sur l’Île de Groix, Christian Bargain, président de l’Association de sauvegarde de l’abeille noire de Groix (ASAN GX), a entrepris, de sa propre initiative et avec l’aide de bénévoles, d’observer les colonies insulaires d’abeilles noires vivant à l’état sauvage. « L’objectif était de voir si ces colonies se maintenaient, face au varroa et au frelon asiatique arrivé à Groix en 2014 », explique l’apiculteur amateur. Etablies sous un dolmen, installées au creux des roches, ou nichées une cavité du sol, une trentaine de colonies sont dénombrées sur l’île, un chiffre stable, montrant la capacité de survie de ces essaims sauvages.

« GROIX A UNE BELLE VÉGÉTATION CÔTIÈRE NATURELLE, TYPIQUE DES ENVIRONNEMENTS OÙ L’ABEILLE NOIRE PROSPÈRE. LES SITES DE NIDIFICATION SONT RARES CAR IL N’Y A PAS DE GRANDS ARBRES AVEC DES CAVITÉS, MAIS LES ABEILLES S’ADAPTENT ET NICHENT DANS LES STRUCTURES HUMAINES ET DANS LES AFFLEUREMENTS ROCHEUX. »

Jeffery Pettis

L’ÉQUIPE

En 2019, POLLINIS a sollicité l’entomologiste américain Jeffery Pettis pour qu’il mène un projet d’étude sur les abeilles de Groix.

Pollinis à GroixJeffery Pettis : Ce biologiste et entomologiste américain est un spécialiste mondialement reconnu pour ses découvertes sur le comportement des abeilles. Il est l’actuel président d’Apimondia, la fédération internationale des associations d’apiculteurs. Jeff Pettis est par ailleurs membre du panel d’experts sur les pollinisateurs de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques fondée par l’ONU.


Portrait Christian Bargain souriant Christian Bargain : Apiculteur amateur, Christian Bargain est également le président de l’Association de sauvegarde de l’abeille noire de Groix (ASAN GX). Épaulé par une équipe de bénévoles, il organise régulièrement des actions de sensibilisation et de formation pour tout public.

 


Joann Groix Joann Sy : Titulaire d’un Master de l’Université de Yale, aux États-Unis, et d’un doctorat de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM), au Royaume-Uni, est spécialisée en santé publique. Joann dirige actuellement la division « Pollinisateurs sauvages » de l’association où elle gère et mène des recherches sur les questions de pollinisateurs et de santé des abeilles, et développe des projets de conservation en France.

 


Tom SeeleyTom Seeley : Titulaire d’un doctorat de l’Université de Harvard, aux États-Unis, Thomas D. Seeley est professeur de biologie à l’Université de Cornell. Spécialiste mondial du comportement des abeilles, il a étudié, entre autres, la façon dont les abeilles prennent des décisions collectives. Il est particulièrement connu pour divers ouvrages destinés à un large public et traduits en plusieurs langues, comme The Lives of Bees. The Untold Story of the Honey Bee in the Wild.

 


Tom SeeleyPer Kryger : Chercheur à l’université d’Aarhus, Danemark, il mène des études scientifiques sur les maladies virales des abeilles mellifères, sur le varroa et sur la génétique de l’abeille. Spécialiste de l’abeille à miel, Per Kryger a participé à une étude européenne d’ampleur sur les capacités de résistance des abeilles locales : « The influence of genetic origin and its interaction with environmental effects on the survival of Apis mellifera L. colonies in Europe », publié dans  Journal of Apicultural Research en janvier 2014.

Nos partenaires

 

lionel-garnery-conservatoire-canif-abeille-noireLionel Garnery : Chercheur au CNRS et généticien de l’abeille, spécialiste de l’abeille noire ( Apis mellifera mellifera ) et président de la FEdCAN ( Fédération européenne des Conservatoires de l’abeille noire ).

 

 

 

LE PROTOCOLE

Objectifs

L’objectif est de collecter, durant 2 ans, des données sur la survie des colonies sauvages, d’évaluer leur croissance et leur santé. L’étude vise donc à :

• Estimer la densité des abeilles sauvages sur l’île ;

• Documenter la survie des colonies sauvages à la sortie de l’hivernage ;

• Prélever des échantillons d’abeilles pour détecter la présence de varroa dans les ruches et les colonies sauvages au fil du temps.

Méthodologie

• Grâce aux connaissances locales de Christian Bargain de l’ASAN.GX, les colonies d’abeilles sauvages ont été surveillées à l’automne et au printemps durant deux ans pour déterminer le taux de survie ;

• En utilisant des jumelles ou à l’œil nu, les nids d’abeilles sont observés pendant 3 minutes et le nombre de butineuses qui reviennent est compté. On note également les charges éventuelles de pollen, ce qui indique la présence de couvain ;

• Dans la mesure du possible, des échantillons d’abeilles adultes seront prélevés pour déterminer la composition génétique des abeilles sauvages, et déterminer les niveaux d’infestation par le varroa des colonies. L’un des moyens non destructifs pour détecter la présence de varroa est la méthode de secouage avec du sucre pour comptabiliser les acariens ;

• Dans la mesure du possible, des échantillons de cire seront prélevés dans quelques nids sauvages pour une analyse chimique destinée à mesurer la présence éventuelle de résidus de pesticides ;

Dans le cadre de cette étude, Jeffery Pettis effectue cinq séjours de terrain sur deux ans à Groix.

PREMIÈRES OBSERVATIONS

  • Mai 2019 : Plusieurs sites hébergeant des colonies sauvages, installées dans des parois rocheuses et des falaises, ont été visités et filmés.
  • Septembre 2019 : Visite de toutes les colonies sauvages et observation pendant 3 minutes du nombre de butineuses qui reviennent et note de la collecte de pollen. Ces données sont comparées à la visite du printemps 2020 pour constater la survie des essaims pendant l’hiver.
  • Septembre 2020 et fin avril 2021 : Visites supplémentaires des essaims afin d’obtenir deux années complètes de données sur leur survie, et compléter les 10 années de données d’ASAN.GX

LES PROCHAINES ÉTAPES

Pour poursuivre l’étude des colonies sauvages d’abeilles noires de Groix, il faut :

  • Refaire intervenir Jeffery Pettis pour effectuer les derniers prélèvements et analyser les données recueillies depuis le démarrage du projet ;
  • Déterminer si les colonies d’abeilles sauvages sont de même souche que les abeilles domestiques des ruchers de l’île grâce à la comparaison de leur génotype ;
  • Capturer des essaims au printemps 2022 et les tester pour détecter la présence de varroa ;
  • Publier un article scientifique en 2022 dressant les conclusions sur la survie des colonies sauvages et sur les études génétiques réalisées sur les abeilles prélevées.

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