LE PROJET : ÉVALUER L'ABONDANCE ET LA DIVERSITÉ DES POLLINISATEURS SAUVAGES

Au cœur des Alpes françaises, le Parc national de la Vanoise semble offrir un écrin protecteur aux pollinisateurs et à la biodiversité, à l’abri de l’urbanisation, des pollutions automobile, industrielle, agricole, lumineuse ou sonore. Mais à ce jour, peu d’études scientifiques s’intéressent aux pollinisateurs sauvages et aucune ne s’est penchée sur l’état réel des populations au sein de ce milieu préservé.

Pour remédier à cette absence de littérature scientifique, POLLINIS a confié au scientifique Ben Woodcock, entomologiste au Centre britannique d’écologie et d’hydrologie (UK Center of Ecology and Hydrology), le soin de dresser un premier état des lieux de l’abondance et de la diversité des insectes dans le Parc de la Vanoise. La comparaison des données prélevées sur différentes zones du parc, des plus urbanisées aux plus naturelles, permettra d’évaluer l’évolution des populations de pollinisateurs dans la zone protégée du parc, ainsi que l’impact de l’anthropisation.

LA PROBLÉMATIQUE : LES INSECTES EN DANGER MÊME DANS LES ZONES PROTÉGÉES

L’impressionnant déclin des insectes

Selon la liste rouge européenne de l’UICN, 37 % des espèces d’abeillesNieto, A. et al., 2014,European Red List of bees. et 31 % des espèces de papillons de jourVan Swaay, C., et al., 2010, European Red List of Butterflies. sont en déclin. De plus, un tiers des espèces d’insectes ont disparu des prairies et des forêts allemandes en seulement dix ans, selon une étude de 2019Seibold S., et al., 2019, Arthropod decline in grasslands and forests is associated with landscape-level drivers, Nature. .

Cette érosion de la diversité des insectes pollinisateurs n’épargne pas les aires naturelles protégées (parc nationaux, réserves naturelles, etc.), où la biomasse d’insectes volants décline aussi de manière alarmante. En 2017, une étudeHallmann CA, et al.,2017, More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas, Plos One. s’appuyant sur des données de terrain recueillies depuis 1989 dans 63 aires protégées en Allemagne montre ainsi que la biomasse des insectes volants a reculé de 76 % en 27 ans.

Les auteurs de cette étude estiment que ces observations peuvent être extrapolées à bon nombre de pays européens, dont la France, où les pratiques agricoles et l’usage des intrants chimiques – principales responsables du déclin des pollinisateurs – sont similaires.

Sans pollinisateurs, les paysages perdent en richesse

Le déclin des insectes pollinisateurs a des conséquences irrévocables sur la biodiversité. Une étude réalisée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas montre que la variété des plantes à fleurs a décliné rapidement dans plus de 80 % des sites sélectionnés, faute de pollinisationBiesmeijer et al., 2006, Parallel Declines in Pollinators and Insect-Pollinated Plants in Britain and the Netherlands, Science.. Au niveau international, une plante sur cinq est désormais menacée d’extinction Willis, K.J., 2017, State of the World’s Plants 2017, Royal Botanic Gardens. .

Certaines espèces d’abeilles sont spécialisées dans la pollinisation d’une essence florale en particulier : lorsqu’elle disparaît, la fleur est elle aussi condamnée. Sous les effets combinés de cette baisse de la biodiversité, les paysages sont alors bouleversés et leur diversité et leur richesse s’amoindrit.

Pour protéger au mieux les pollinisateurs qui permettent de préserver ces habitats de montagne, il est donc essentiel de bien comprendre les modes de vie, les besoins et la répartition de ces différentes espèces d’insectes.

LE SITE : LE PARC NATUREL DE LA VANOISE

Un exceptionnel réservoir de biodiversité

Le Parc national de la Vanoise, établi en 1963, est le premier parc national de France. Cet écrin montagneux niché dans les Alpes entre les vallées de la Maurienne et de la Tarentaise, abrite une diversité géologique, climatique, faunistique et floristique exceptionnelle. On y recense plus de 1 700 espèces de plantes, soit un tiers de la flore françaiseParc National de la Vanoise, La Flore., dont certaines ne se retrouvent nulle part ailleurs, comme la Laîche des glaciers, capable de s’accrocher au sol rocailleux du seul Mont Cenis, ou la Matthiole du Valais, qui n’est connue en France que sur les rochers de gypse des adrets de Maurienne. D’autres sont menacées, comme la Potentille multifide qui parsème les pelouses sèches des hauts alpages de fleurs jaunes et qui est en déclin dans l’ensemble de ses habitats naturelsParc National de la Vanoise 2013, Atlas de la flore rare et protégée de Vanoise. .

En altitude, on trouve principalement des mouches, des syrphes et des bourdons, des espèces adaptés aux températures fraîches de la montagne. Aujourd’hui, de nombreux facteurs viennent perturber les milieux montagneux, notamment les activités sportives et touristiques (ski, urbanisation, surpâturage…), qui font ainsi peser une lourde menace sur la pérennité de ces écosystèmes de montagne. Les conséquences du réchauffement climatique aussi. Certains insectes des plaines commencent en effet à monter à ces altitudes tandis que, face à cette nouvelle concurrence, des espèces spécifiques aux milieux montagneux se réfugient encore plus haut.

« IL Y A UN BESOIN URGENT DE METTRE EN PLACE UNE STRATÉGIE DE SOUTIEN À TOUS LES POLLINISATEURS AFIN DE MAINTENIR LA VALEUR DU PARC NATUREL MAIS AUSSI LA DIVERSITÉ DE CES ESPÈCES À DES ÉCHELLES NATIONALE ET INTERNATIONALE ».

Ben Woodcock, entomologiste. 

L’ÉQUIPE

ben woodcock Ben Woodcock est entomologiste et écologue au Center for Ecology and Hydrology (CEH) de Wallingford, au Royaume-Uni. Ses recherches portent sur l’amélioration des gestions des écosystèmes et de la biodiversité des prairies et des terres arables. POLLINIS l’a mandaté pour diriger ce projet de recensement des pollinisateurs sauvages dans le parc de la Vanoise. Il a ainsi finalisé et adapté le protocole de recherche pour répondre aux exigences de l’EU Pollinator Monitoring SchemePublié en octobre 2020 par un groupe de travail mandaté par la Commission européenne., qui évalue la pertinence et l’efficacité des différents protocoles utilisés pour le suivi de pollinisateurs en Europe. Il sera en charge d’interpréter les données récoltées.


bernard vaissièreBernard Vaissière est ingénieur agronome à AgroParisTech et chargé de recherches à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) d’Avignon, où il anime l’équipe « pollinisation et écologie des abeilles ». Spécialiste des pollinisateurs sauvages, il assurera le suivi des études de terrain.


Pollinis - l'équipe Joann Sy est titulaire d’un mastère de l’Université de Yale aux États-Unis, et d’un doctorat de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM), au Royaume-Uni. Elle est spécialisée en santé publique et épidémiologie. Elle dirige actuellement le pôle « Abeilles sauvages » de POLLINIS où elle coordonne et mène des recherches sur les pollinisateurs sauvages, la santé des abeilles et développe des projets de conservation en France. Elle est en charge du suivi de ce projet scientifique.

LES PARTENAIRES

Le protocole initial de l’étude a été élaboré par Jeff Pettis, Tom Seeley et Adam Vanbergen, scientifiques spécialistes des abeilles et des pollinisateurs, avant d’être repris par Ben Woodcock.

Pollinis à Groix Jeffery Pettis est un biologiste et entomologiste américain mondialement reconnu. Spécialiste du comportement des abeilles depuis près de trente ans, il est actuellement président d’Apimondia, la fédération Internationale des associations d’apiculteurs. Jeff Pettis est par ailleurs membre du panel d’experts sur les pollinisateurs de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques fondée par l’ONU.


Tom SeeleyThomas D. Seeley est professeur de biologie à l’Université de Cornell. Éminent spécialiste du comportement des abeilles, il a étudié entre autres la façon dont les abeilles prennent des décisions collectives. Tom Seeley est particulièrement connu pour divers ouvrages destinés à un large public et traduits en plusieurs langues, comme La Démocratie chez les abeilles ou L’Abeille à miel : la vie secrète des colonies sauvages…


Adam Vanbergen 2 Adam J. Vanbergen est écologue et concentre ses recherches sur la diversité des insectes et les interactions entre espèces, les relations entre biodiversité et services écosystémiques et la manière dont ils répondent aux perturbations induites par les activités humaines. Il a intégré l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE ) en 2018 après 20 ans passés au UK Center for Ecology and Hydrology (CEH) en Écosse.


arthropologia pollinis Arthropologia : association naturaliste qui agit en faveur de la connaissance et de la protection des insectes et de la biodiversité. Située à Lyon, l’association a apporté son appui dans la mise en place du protocole, la sélection des sites, et a procédé aux relevés de la première année (2021). Hugues Mouret, directeur scientifique d’Arthropologia et naturaliste autodidacte, accompagne les collectivités et le monde agricole dans la prise en compte et la protection de la biodiversité, notamment dans la renaturation et la connexion des habitats fonctionnels. Il intervient dans la diffusion de connaissances et de techniques alternatives (agroécologie, permaculture…). Frédéric Vyghen, titulaire d’un mastère de l’Université de Montpellier en Ingénierie en écologie et en gestion de la biodiversité, est chargé de mission pour l’association depuis 2010. Il travaille essentiellement sur la thématique des pollinisateurs et des relations plantes insectes, entre autres dans les milieux anthropisés.

LE PROTOCOLE

Où ?

L’étude porte sur dix sites situés entre 1 400 et 1 800 mètres d’altitudes, où la neige persiste parfois jusqu’en juin et où le fleurissement des plantes est plus tardif qu’en plaine, raccourcissant le cycle de vie des insectes.

  • 3 sites urbanisés : un village de montagne et deux stations de ski.
  • 3 sites agricoles : des pâturages et des cultures.
  • 3 sites semi-naturels : ces zones sont en gestion extensive ou semi-extensive, ce qui  implique au maximum une fauche tardive dans l’année, pas d’agriculture et très peu d’impact humain.
  • 1 site naturel : situé au cœur de la réserve naturelle nationale du Plan de Tuéda.

Comment ?

A partir de 2021, les sites seront échantillonnés trois fois par an, au printemps, en début et en fin d’été sur une période de 2 ans. Ainsi, les chercheurs réaliseront 6 périodes d’échantillonnage avec les mêmes protocoles. L’activité des pollinisateurs pouvant varier considérablement selon l’heure de la journée et le type de fleurs, les sites seront choisis de manière à être échantillonnés dans un délai de 2 à 4 heures et en équilibrant matin et après-midi en fonction des sites et de l’année d’échantillonnage. Trois procédés de collecte ont été retenus :

  • Les coupelles colorées : trois coupelles (une jaune, une bleue, une blanche) sont fixées à un bâton planté dans le sol de manière à être à hauteur du sommet de la végétation et remplies d’un mélange de d’eau et de savon.
  • Le filet : sur une ligne de 50 mètres, les collecteurs recueilleront grâce à des filets à papillons les insectes posés sur des fleurs pendant 45 minutes.
  • Les maisons à insectes : des maisons à insectes, composées de tiges de plantes ou d’arbustes creuses seront déposées fin mai et collectées fin juin puis fin août afin de déterminer quels insectes y ont élu domicile.

Le choix des taxons

L’étude cible les abeilles sauvages (hymenoptères apoïdes), des papillons rhopalocères (papillons de jour) et des syrphes (Diptères, groupe des « mouches »), qui constituent les trois groupes de pollinisateurs les plus largement étudiés à l’échelle européenne. Cela facilitera leur identification ainsi que le partage et l’analyse des données issues de ces relevés. Par ailleurs, ce sont les seuls groupes de pollinisateurs pour lesquels une bibliographie importante existe et dont les données pourront être comparées à d’autres études similaires à l’échelle européenne.

« IL EST IMPORTANT DE BIEN COMPRENDRE LE FONCTIONNEMENT ET LE RÔLE DE LA DIVERSITÉ ET DE L’ABONDANCE DES POLLINISATEURS DANS LE MAINTIEN DE CES PAYSAGES DE MONTAGNE, DONT LA RICHESSE EST AUJOURD’HUI EN NETTE RÉGRESSION ».

Frédéric Vyghen, Arthropologia. 

PREMIÈRES OBSERVATIONS

  • À certains endroits du parc, le pâturage intensif dégrade les ressources florales, indispensable nourriture des pollinisateurs. Les plantes à fleurs sont consommées par les troupeaux au détriment des insectes, et les terres sont trop tassées par les ruminants pour que les graines puissent y germer. De plus, les animaux sont généralement traités avec des vermifuges dont on retrouve des traces dans les déjections, qui polluent ensuite les sols et tuent les larves des insectes. L’identité fromagère très marquée de cette région, avec notamment le Beaufort (AOP depuis 1968), est en enjeu fort qui pousse les agriculteurs à monter de plus en plus haut en alpage, à la recherche d’espaces où faire paître leurs troupeaux.
  • Les insectes sont plus nombreux dans les zones urbaines du Parc de la Vanoise (station de ski, villages, etc.). Les îlots de fleurissement isolés apparaissent très attractifs pour les pollinisateurs : leur nombre sur ces sites urbains est particulièrement important.
  • Les espèces sont plus rares dans les milieux les plus sauvages. À l’inverse, dans les espaces les plus sauvages (appelés semi-naturels), l’abondance des pollinisateurs est moindre, car le fleurissement des plantes est plus étalé dans le temps et l’abondance de fleurs plus réduite. Mais les pollinisateurs présents dans ces zones sont moins courants que ceux des zones urbaines, et présentent un intérêt patrimonial beaucoup plus important.

LES PROCHAINES ÉTAPES

  • Identifier les espèces qui n’ont pas pu l’être lors des collectes en les envoyant à des spécialistes et/ou des laboratoires.
  • Poursuivre la collecte d’insectes pour la deuxième année consécutive (à partir du printemps 2023).
  • Interpréter les résultats issus de ces deux années de relevés.
  • Écrire un article scientifique faisant état des résultats et émettant des préconisations en termes de gestion de l’espace.

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POUR UNE AGRICULTURE FAVORABLE AUX POLLINISATEURS

Pas moins de 84 % des plantes que nous cultivons aujourd’hui dépendent des insectes pollinisateurs. Sans eux, la plupart des fruits, des légumes et des épices que nous consommons pourraient disparaître de nos assiettes.

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PROJET « TERRES DE POLLINISATEURS »

Avec le projet Terres de pollinisateurs, POLLINIS est allée à la rencontre d’une vingtaine d’agriculteurs innovants, des hommes et des femmes qui se passent déjà de pesticides et dont les pratiques favorisent les pollinisateurs.

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POLLINIS propose gratuitement une série de onze guides régionaux pour choisir les arbres et arbustes qui composeront la haie idéale pour les insectes butineurs.

Photos : ©Ph. Besnard/POLLINIS, sauf la Potentille multifide (fleur jaune) : ©Barbara Studer ; le papillon : ©Ibex73