LE PROJET : ÉVALUER L'ABONDANCE ET LA DIVERSITÉ DES POLLINISATEURS SAUVAGES

Situé à cheval sur les départements de la Côte-d’Or et de la Haute-Marne, le Parc national de forêts abrite une diversité et une abondance floristique et faunistique exceptionnelle. Dans cette zone naturelle protégée, prioritairement dédiée à la protection des forêts de plaine, où le couvert forestier domine, les activités humaines, sont strictement règlementées dans le périmètre du cœur afin de protéger ses précieux patrimoines naturel, culturel et paysager et assurer la sauvegarde des espèces indigènes, parmi lesquelles plus d’un millier d’espèces de coléoptères.

Or, les connaissances sur les autres populations d’insectes et d’invertébrés du Parc national sont aujourd’hui très parcellaires. Et alors que les populations de pollinisateurs déclinent inexorablement partout dans le monde, les effets des politiques de protection de la biodiversité dans les espaces protégés demeurent largement méconnus.

Pour améliorer la connaissance sur ces espèces, POLLINIS lance en 2022 une étude scientifique de recensement des pollinisateurs sauvages locaux. Cet état des lieux réalisé sur une durée de 2 ans par l’entomologiste Ben Woodcock permettra de mieux connaître l’abondance et la diversité des espèces de pollinisateurs sauvages du Parc national de forêts et les risques à court et long termes qui pèsent sur ces populations. Enfin, cette étude contribuera à enrichir les connaissances scientifiques permettant la conservation de la biodiversité et des services de pollinisation.

LA PROBLÉMATIQUE : LES INSECTES EN DANGER MÊME DANS LES ZONES PROTÉGÉES

Un constat alarmant : les insectes déclinent inexorablement

Depuis une dizaine d’années, des études scientifiques pointent l’impressionnant déclin des insectes et en particulier des pollinisateurs. Un tiers des espèces d’insectes ont ainsi disparu des prairies et des forêts allemandes en seulement dix ans, selon une étude de 2019Seibold S. et al., 2019, Arthropod decline in grasslands and forests is associated with landscape-level drivers, Nature. . Et la liste rouge européenne de l’UICN estime que 37 % des espèces d’abeillesNieto, A.et al., 2014,European Red List of bees. et 31 % des espèces de papillons de jourVan Swaay, C. et al., 2010, European Red List of Butterflies. sont en déclin.

Cette érosion de la diversité des insectes pollinisateurs n’épargne pas les aires naturelles protégées (parc nationaux, réserves naturelles, etc.), où la biomasse d’insectes volants décline de manière alarmante. Une étude de 2017Hallmann CA. et al.,2017, More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas, Plos One. s’appuyant sur des données de terrain recueillies depuis 1989 dans des aires protégées en Allemagne montre ainsi que la biomasse des insectes volants a reculé de 76 % en 27 ans.

Pour la communauté scientifique, ces observations peuvent être généralisées à bon nombre de pays, dont la France, où les pratiques agricoles et l’usage des intrants chimiques – principaux responsables du déclin des pollinisateurs – sont similaires.

Sans pollinisateurs, les paysages perdent en richesse

Le déclin des insectes pollinisateurs a des conséquences irrévocables sur la diversité des plantes à fleurs. Certaines espèces d’abeilles sont spécialisées dans la pollinisation d’une essence florale en particulier, et lorsqu’elles disparaissent, la fleur est elle aussi condamnée.

Une étude menée en 2006 au Royaume-Uni et aux Pays-Bas a conclu que, faute de pollinisation permettant la reproduction, la diversité des plantes à fleurs avait décliné rapidement sur plus de 80 % des sites étudiésBiesmeijer et al., 2006, Parallel Declines in Pollinators and Insect-Pollinated Plants in Britain and the Netherlands, Science.. Au niveau international, une plante sur cinq est désormais menacée d’extinction Willis, K.J., 2017, State of the World’s Plants 2017, Royal Botanic Gardens. .

Afin que le Parc national de forêts puisse mettre en place des actions de conservation et de protection, POLLINIS lance un inventaire des populations de pollinisateurs sauvages. Il constituera un « état des lieux zéro », un point de départ pour le suivi de ces populations, et fournira des arguments aux gestionnaires de l’établissement public pour agir sur les politiques publiques locales (communales et départementales).

LE SITE : LE PARC NATIONAL DE FORÊTS

Créé en 2019, le Parc national de forêts, situé sur le plateau de Langres, à cheval sur la Haute-Marne et la Côte d’Or, est le premier parc national français prioritairement dédié à la protection des forêts de plaine. Les ambitions pour le territoire et la règlementation du cœur sont définies par la charte, pour une durée de 15 ans.

La zone de cœur s’étend sur plus de 56 000 hectares, soit 60 communes et est règlementée. Dans cet espace, une réserve intégrale de 3100 ha a été créée le 10 décembre 2021. Cette zone est exempte d’activités humaines, hors régulation, et les écosystèmes sont en libre évolution.

C’est un lieu permettant l’étude de l’évolution naturelle de la forêt et des communautés qu’elle abrite et leur résilience face aux changements climatiques. Cette réserve intégrale, la plus grande de métropole, se situe dans le massif forestier d’Arc-Châteauvillain en Haute-Marne. 

Une richesse végétale exceptionnelle

Les forêts couvrent 95 % de sa zone cœur et comptent l’une des plus importantes diversités d’essences d’arbres par hectare de France. Hêtres, chênes, frênes, aulnes, charmes, merisiers, tilleuls, épicéas, pins noirs, pins sylvestres, entre autres, se sont épanouis sur ces plateaux calcaires.

On y trouve également certaines essences rares de plantes de sous-bois, comme la nivéole de printemps (une plante protégée, parmi les premières à fleurir dans l’année), le lis martagon et le spectaculaire sabot de Vénus. De très nombreuses espèces de mousses et de lichens occupent également ce territoire, de même qu’une grande diversité de champignons.

Aux côtés des forêts, se présentent de nombreux milieux naturels, marais tufeux, pelouses calcaires, prairies, riches en espèces végétales rares. L’eau est également très présente avec 694 kilomètres de cours d’eau, de nombreuses sources et zones humides. Ce territoire constitue aussi un refuge à de nombreuses espèces de milieux froids, qu’elles soient septentrionales, médio-européennes ou montagnardes.

Des pollinisateurs discrets mais essentiels

Du côté de la faune, si les populations de cerfs, chevreuils et sangliers sont très abondantes, au même titre que les mammifères forestiers qui nous sont familiers (renards, blaireaux, martres, belettes, hérissons, et chauve-souris…), on rencontre également des espèces remarquables comme le Chat sauvage ou la Cigogne noire, emblème du Parc national de forêts.

Mais l’essentiel de la richesse faunistique des forêts se cache dans le sol, les feuilles et le bois, avec les invertébrés. Les insectes qui se nourrissent du bois (coléoptères « saproxyliques ») sont particulièrement abondants. Les forêts abritent aussi des espèces de papillons dont certaines sont en voie de disparition en France comme la Matrone ou le Damier du frêne.

Souvent discrets, les pollinisateurs n’en sont pas moins abondants. Au-delà des papillons ou de coléoptères, de nombreux groupes d’hymenoptères (abeilles, bourdons…) ou encore une importante diversité de syrphes ont ponctuellement été inventoriés, mais jamais de façon systématique à l’échelle du Parc national. Ces pollinisateurs sont essentiels à l’agriculture locale ainsi qu’au maintien de la diversité des paysages.

« NOTRE PARC EST TRÈS RÉCENT, C’EST POURQUOI IL EST TRÈS IMPORTANT POUR NOUS DE DRESSER DES INVENTAIRES DES POLLINISATEURS. CELA NOUS PERMETTRA D’ORIENTER NOS ACTIONS DE CONSERVATION ».

Julie Lambrey, chargée de mission biodiversité au Parc national de forêts. 

L'ÉQUIPE

ben woodcockBen Woodcock : entomologiste et écologue au Center for Ecology and Hydrology (CEH) de Wallingford, au Royaume-Uni. Ses recherches portent sur l’amélioration des gestions des écosystèmes et de la biodiversité des prairies et des terres arables. POLLINIS l’a mandaté pour diriger ce projet de recensement des pollinisateurs sauvages dans le Parc national de forêts. Il a ainsi élaboré le protocole de recherche pour répondre aux exigences de l’EU Pollinator Monitoring SchemePublié en octobre 2020 par un groupe de travail mandaté par la Commission européenne., qui évalue la pertinence et l’efficacité des différents protocoles utilisés pour le suivi de pollinisateurs en Europe. Il sera en charge d’interpréter les données récoltées.


bernard vaissière pollinisBernard Vaissière : ingénieur agronome à AgroParisTech, Bernard Vaissière a fait sa thèse à la Texas A&M University aux États-Unis sur la pollinisation du cotonnier pour la production de semence hybride. Il est chargé de recherches à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement d’Avignon (INRAE), où il anime l’équipe « pollinisation et écologie des abeilles ». Spécialiste des pollinisateurs sauvages, il assurera le suivi des études de terrain.


Pollinis - l'équipe

Joann Sy : titulaire d’un Master de l’Université de Yale aux États-Unis, et d’un doctorat de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM), au Royaume-Uni, Joann Sy est spécialisée en santé publique et épidémiologie. Elle dirige actuellement la division « Pollinisateurs sauvages » de POLLINIS où elle coordonne des recherches sur les questions de pollinisateurs sauvages et de santé des abeilles et développe des projets de conservation en France. Elle est en charge du suivi de ce projet scientifique.

LES PARTENAIRES

Le protocole initial de l’étude a été élaboré par Jeff Pettis, Tom Seeley et Adam Vanbergen, scientifiques spécialistes des abeilles et des pollinisateurs, avant d’être repris par Ben Woodcock.

Pollinis à Groix

Jeffery Pettis : titulaire d’un Master de l’Université de Géorgie et d’un doctorat de l’Université A&M du Texas, aux États-Unis, Jeffery Pettis est un biologiste et entomologiste américain mondialement reconnu. Spécialiste du comportement des abeilles depuis près de trente ans, il est actuellement président d’Apimondia, la Fédération Internationale des Associations d’Apiculteurs. Jeff Pettis est par ailleurs membre du panel d’experts sur les pollinisateurs de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques fondée par l’ONU.


Tom SeeleyTom Seeley : titulaire d’un doctorat de l’Université de Harvard, aux États-Unis, Thomas D. Seeley est professeur de biologie à l’Université de Cornell. Éminent spécialiste du comportement des abeilles, il a étudié, entre autres, la façon dont les abeilles prennent des décisions collectives. Il est particulièrement connu pour divers ouvrages destinés à un large public et traduits en plusieurs langues, comme The Lives of Bees. The Untold Story of the Honey Bee in the Wild.


Adam Vanbergen 2

Adam Vanbergen : les recherches de l’écologue Adam Vanbergen se concentrent sur la diversité des insectes, les interactions entre espèces, les relations entre la biodiversité et les services écosystémiques et la manière dont ils répondent aux perturbations induites par les activités humaines. Il a intégré l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) en 2018 après 20 ans passés au UK Center for Ecology and Hydrology (CEH) en Écosse.


parc de forêts-hetres - beech-472095 PXLe Parc national de forêts : le parc est géré par un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la transition écologique. Son siège est situé à Arc-en-Barrois (Haute-Marne). Les équipes de l’établissement ont dès le départ été associées au projet de POLLINIS et ont contribué activement à sa mise en place et à son bon fonctionnement.


 

« LE PARC NATIONAL DE FORÊTS A LE POTENTIEL DE FOURNIR UN ENVIRONNEMENT FAVORABLE À LA RÉSILIENCE ET À L’ABONDANCE DES POLLINISATEURS. IL EST ESSENTIEL DE COMPRENDRE LES EFFETS DES ACTIVITÉS HUMAINES SUR LE PARC, AFIN QU’IL RESTE À LONG TERME UN SANCTUAIRE POUR LES INSECTES ».

Ben Woodcock, entomologiste. 

LE PROTOCOLE

Dix sites ont été choisis pour mener à bien le protocole de récoltes des données. En 2022 et 2023, ces sites seront échantillonnés trois fois par an, au printemps, en début et en fin d’été, afin que 6 périodes d’échantillonnages soient réalisées.

L’activité des pollinisateurs pouvant varier considérablement selon l’heure de la journée et le type de fleurs, les échantillonnages seront menés à plusieurs moments de la journée (matin et après-midi sur des durées entre 2 à 4 heures.

Trois procédés de collecte ont été retenus :

  • Les coupelles colorées : trois coupelles (une jaune, une bleue, une blanche), remplies d’un mélange d’eau et de savon, sont fixées à un bâton planté dans le sol de manière à être à hauteur du sommet de la végétation.
  • Le filet : sur une ligne de 50 mètres, pendant 45 minutes, les collecteurs recueillent grâce à des filets à papillons les insectes posés sur des fleurs.
  • Les maisons à insectes : des maisons à insectes, composées de tiges creuses de plantes ou d’arbustes sont déposées fin mai et collectées fin juin, puis fin août, afin de déterminer quels insectes y ont élu domicile.

LES PROCHAINES ÉTAPES

  • Recruter un naturaliste ou une association naturaliste pour effectuer les relevés ;
  • Effectuer des relevés trois fois par an, selon le protocole établi, en 2022 et 2023  et identifier les insectes collectés ;
  • Après deux ans, interpréter les résultats issus des collectes ;
  • Rédiger un article scientifique faisant état des résultats de l’étude de terrain et de leur analyse et formulant des préconisations en termes de gestion de l’espace.

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GRÂCE AUX DONS DES CITOYENS, POLLINIS SE BAT POUR LA PRÉSERVATION DES POLLINISATEURS SAUVAGES ET DE LEUR ENVIRONNEMENT

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Photos : ©POLLINIS – ©Hugues Mouret – ©Céline Lecomte/OFB – ©Parc national de forêts