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Conserver les pollinisateurs

Conservation in situ : conserver la nature dans la nature, avec la nature

À l’heure d’un effondrement global de la biodiversité, la question de la conservation des espèces se pose de manière plus aiguë que jamais. Celle des pollinisateurs en particulier. De nouvelles approches encouragent à conserver en laboratoire le patrimoine génétique d’espèces menacées. Mais conserver le vivant, c’est le conserver vivant !

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Date : 10 octobre 2019

L’herbier d’un botaniste a-t-il autant de valeur que les mêmes plantes en terre, gorgées de sève et de chlorophylle ? Certes, la conservation d’échantillons de plantes ou d’animaux naturalisés a le mérite de les garder définitivement à l’abri des aléas d’un environnement naturel. Mais c’est aussi les momifier, les tuer autant que les « immortaliser ».

Aujourd’hui, la conservation d’échantillons génétiques en laboratoire a le vent en poupe. Les nouvelles techniques de biologie moléculaire permettent en effet de séquencer le génome, de conserver directement l’ADN ou de conserver une version numérisée de sa séquence, à laquelle on pourra redonner forme biologique ultérieurement. Elles permettent aussi d’« éditer », c’est-à-dire de modifier le génome pour donner de nouveaux gènes, de nouvelles caractéristiques et fonctions à un organisme vivant. C’est ainsi qu’on nous promet de faire renaître le mammouth laineux, comme l’écrivain Michael Crichton avait redonné vie aux dinosaures dans Jurassic Park. Si on fait fi des risques que représente l’introduction de « nouvelles anciennes » espèces dans un écosystème déjà malmené, la promesse peut sembler attrayante. Mais n’y a-t-il pas mieux à faire ? Conserver le patrimoine héréditaire d’une espèce, bien au chaud, ou au froid, dans un petit tube high tech ou un disque dur, est-ce vraiment conserver ?

Conserver n’est pas mettre en conserve

Un animal ou une plante sont indissociables du territoire dans lequel ils évoluent, des autres espèces avec lesquelles ils interagissent, du climat dont ils s’accommodent, des ressources qu’ils prélèvent et des services qu’ils rendent en retour. C’est la multiplicité de ces interactions qui font la diversité du monde vivant.

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La conservation de la nature dans des banques d’ADN en laboratoire n’est en rien une conservation naturelle. © Image par PublicDomainPictures de Pixabay

À la seule échelle de nos chères abeilles mellifères (Apis mellifera), la sélection naturelle a façonné, depuis des millénaires, cinq lignées regroupant 28 sous-espèces distinctes, sans compter les autres abeilles du genre Apis. Or, près de 80 % des insectes volants auraient disparu en Europe, en trente ans, rapportait en 2017 une étude allemande qui a fait date.

L’abeille noire, Apis mellifera mellifera, est l’espèce endémique de l’Europe de l’Ouest, naturellement présente exclusivement dans ce vaste territoire allant des Pyrénées à la Scandinavie. Les conservatoires de l’abeille noire ont l’ambition de protéger cette perle rare in situ, dans « son » environnement. Ils contribuent ainsi à protéger non seulement l’abeille elle-même mais aussi son paysage, l’habitat qu’elle affectionne, les espèces avec lesquelles elle cohabite, les plantes qu’elle butine et pollinise. Le cahier des charges des conservatoires impose des règles strictes dans des « zones coeur » à haut niveau de protection : pas de picking, pas de clipping, pas de nourrissement à visée de production (seulement pour les jeunes colonies), pas de sélection, pas d’insémination artificielle ni bien sûr d’importation de reines ou de colonies extérieures. Difficile dans ces conditions d’assurer des récoltes de miel abondantes et régulières, mais tel n’est pas le but.

Les enjeux d’une conservation in situ

L’enjeu des conservatoires est la conservation pour le « bien commun ». C’est le seul permettant une conservation élargie et préservant à la fois la pureté de la sous-espèce et sa diversité génétique interne. Car ainsi exposée en « vie réelle », l’abeille poursuit son évolution naturelle et développe ses capacités d’adaptation à un environnement changeant.

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La conservation in situ permet et impose une conservation des abeilles mais aussi de leur écosystème, des plantes et autres animaux avec lesquels elles cohabitent et interagissent. © CC0

Mais les conservatoires sont de peu de poids tant qu’ils ne disposent pas d’un cadre réglementaire protégeant leurs territoires et les stratégies qui y sont mises en place. C’est pourquoi une coalition européenne de conservatoires d’abeilles locales et d’ONG, initiée par Pollinis, se bat pour porter haut et fort les valeurs et les avantages de cette conservation in situ et obtenir des pouvoirs publics ce cadre réglementaire qui lui manqueLe site de la coalition#SaveLocalBees.

→ Cet article a été rédigé par POLLINIS pour le magazine Abeilles en liberté, une revue consacrée aux abeilles et pollinisateurs, pour initier et accompagner des solutions nouvelles et alternatives. Cliquez ici pour découvrir cette revue