Pollinisateurs / Protection juridique de Groix
POUR UNE PROTECTION JURIDIQUE DES ABEILLES MELLIFÈRES DE L’ÎLE DE GROIX
Alors que l’acarien Varroa destructor est l’une des principales causes du déclin alarmant des colonies d’abeilles mellifères, les abeilles de l'Île de Groix parviennent à coexister avec ce parasite sans traitement chimique. Une telle cohabitation n’a été observée que dans de très rares endroits dans le monde.
Afin de préserver les conditions nécessaires à cette cohabitation et de permettre l’étude de ses mécanismes, le ministre de l’Agriculture peut et doit, en vertu du Code rural, adopter de toute urgence un arrêté visant à interdire sur l’île toute introduction d’abeille exogène, de matériel biologique utilisé en apiculture, ainsi que de tout matériel apicole usagé, vecteurs potentiels de nouveaux pathogènes, parasites ou maladies qui menaceraient cette coexistence et risqueraient d’anéantir ce qui est peut-être l’un des meilleurs exemples d’abeilles mellifères résistantes au varroa.
Des abeilles naturellement résistantes au varroa
Le varroa : danger sanitaire de 2e catégorie
De nombreuses études scientifiques attestent des causes multiples du déclin des pollinisateurs dans le monde : pratiques agricoles (pesticides, dégradation des habitats), facteurs de stress environnementaux (disparition des ressources florales), ravageurs et agents pathogènes. Depuis son introduction en Europe, il y a environ 50 ans, l’acarien Varroa destructor originaire d’Asie constitue l’une des menaces majeures pour les abeilles mellifères (Apis mellifera)Fries, I., S. Camazine and J. Sneyd (1994). « Population Dynamics of Varroa Jacobsoni: A model and a review. » Bee World 75(1); Le Conte, Y., M. Meixner, A. Brandt, N. Carreck, C. Costa, F. Mondet and R. Büchler (2020). « Geographical Distribution and Selection of European Honey Bees Resistant to Varroa destructor. » Insects 11(873)..
Apparu en France dans les années 80, il est classé parmi les dangers sanitaires de 2e catégorie pour les abeilles mellifèresArrêté du 29 juillet 2013 relatif à la défnition des dangers sanitaires de première et deuxième catégorie pour les espèces animales. et décime habituellement une colonie non traitée en l’espace de 2 ou 3 ans (3 ou 4 ans pour les climats tempérés)Amdam, G., et al., 2004. « Altered physiology in worker honey bees (Hymenoptera: Apidae) infested with the mite Varroa destructor (Acari: Varroidae): a factor in colony loss during overwintering? » J. Econ. Entomol 97(3): 741-747; Büchler, R., 1994. « Varroa tolerance in honey bees – occurrence, characters and breeding. » Bee World 49: 6-18.. Pour préserver leurs cheptels, les apiculteurs ont massivement recours aux traitements à base de produits chimiques de synthèse, comme l’Apistan (tau-fuvalinate) et l’Apivar (amitraze), ou de produits organiques comme l’acide oxalique, potentiellement toxique à haute dose. Plusieurs études décrivent en outre une résistance accrue des varroas aux produits vétérinairesBeaurepaire, A., et al., 2017. « Seasonal cycle of inbreeding and recombination of the parasitic mite Varroa destructor in honeybeecoloniesanditsimplicationsfortheselectionofacaricideresistance. » Infect.GenetEvol:49-54. censés les contenir, et pointent un risque à terme pour les coloniesLocke, B., et al., 2012. « Acaricide treatment affects viral dynamics in Varroa destructor-infested honey bee colonies via both host physiology and mite control. » Appl Environ Microbiol 78(1): 227-235..
Une coexistence exceptionnelle
Confrontées au varroa depuis son arrivée sur l’île en 1989Association de sauvegarde de l’abeille noire de Groix (ASAN.GX)., les abeilles mellifères de Groix parviennent cependant à coexister naturellement avec le parasite grâce à la sélection naturelle et sans intervention des apiculteurs. Des études en coursPettis, J., (non publié, 2021). “Varroa mite-surviving Apis mellifera mellifera populations on Île de Groix.” ont ainsi démontré qu’en dépit de taux d’infestations habituellement fatals aux colonies (supérieurs à 5 %), la taille des populations d’abeilles mellifères de Groix se maintient, voire s’accroît dans certains cas. Cette situation exceptionnelle n’a été observée que dans de très rares endroits au monde (États-Unis, Norvège, Suède, Pays-Bas, France)Locke, B., 2016. « Natural Varroa mite-surviving Apis mellifera honey bee populations. » Apidologie 47: 467-482. 10 Pettis, J., (non publié, 2020). “Pesticide exposure analysis on beeswax on six apiaries on the Île de Groix.”.
→ L’Île de Groix dispose d’un environnement naturel préservé et particulièrement propice à l’émergence de ce délicat équilibre dans la relation hôte-parasite, et constitue de ce fait un sujet d’étude précieux.
Un environnement préservé propice à la coexistence
Apiculture et agriculture sans chimie de synthèse
L’environnement préservé de l’Île de Groix a joué un rôle clé dans l’éclosion de cette cohabitation naturelle entre l’abeille locale et le varroa. Protégée par plusieurs dispositifs environnementaux (réserve naturelle nationale, site Natura 2000, conservatoire du littoral, zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique), Groix est restée à l’abri des dommages de l’agriculture intensive. Seul un quart environ de la surface de l’île est cultivé, sans recours massif aux pesticides. Par ailleurs, les apiculteurs de l’île interviennent au minimum sur leurs ruches : ils ne pratiquent pas le nourrissement des colonies et n’administrent aucun traitement chimique contre le varroa. Les abeilles groisillonnes sont donc très peu exposées aux pesticides et à leurs effets délétèresPettis, J., (non publié, 2020). “Pesticide exposure analysis on beeswax on six apiaries on the Île de Groix.”.
Une population rare d’abeilles non hybridées
L’insularité de Groix a également permis la préservation du patrimoine génétique des abeilles mellifères locales, qui appartiennent à la sous-espèce d’Europe du Nord-Ouest Apis mellifera mellifera, communément appelée abeille noire. Les côtes de Groix, trop éloignées du continent pour être accessibles aux mâles issus des colonies d’abeilles continentales, protègent les reines locales des risques d’hybridation. Selon une étude menée par le CNRS, les abeilles mellifères de l’île font partie des populations les moins hybridées d’EuropeGarnery, L., 2018. Rapport d’expertise 2018. Analyses génétiques de la population d’abeilles mellifères de l’Ile de Groix. Gif-sur-Yvette, Laboratoire Evolution Génomes Comportement et Ecologie.. Alors que partout en France les abeilles noires se sont croisées avec d’autres sous-espèces d’Apis mellifera, la robustesse et le potentiel d’adaptation préservé de l’abeille groisillonne, des caractéristiques liées aux conditions géographiques et environnementales spécifiques de Groix, semblent avoir favorisé le développement d’une rare coexistence entre le parasite Varroa destructor et les abeilles.
→ Cet équilibre précaire dépend du maintien de l’ensemble des conditions environnementales, que toute introduction d’abeilles exogènes pourrait fortement menacer.
Les risque d’une protection insuffisante
Une situation juridique fragile
Consciente de ces enjeux, la municipalité de Groix a émis en 2008 un arrêté « relatif à l’introduction de ruches et d’abeilles »Arrêté du 5 septembre 2008 relatif à l’introduction de ruches et d’abeilles sur l’île de Groix.. Ce texte interdit l’introduction d’abeilles n’appartenant pas à la sous-espèce Apis mellifera mellifera, ainsi que de tout matériel apicole usagé. Cependant, cette protection décrétée au niveau local n’est pas assortie des mesures coercitives suffisantes pour garantir sa bonne exécution, et demeure inadaptée au regard des risques sanitaires encourus.
Un péril sanitaire irréversible
D’après les données scientifiques dont nous disposons actuellement, cette relation hôte-parasite pourrait ne pas être suffisamment robuste et résiliente pour faire face à l’introduction d’abeilles exogènes. En effet, toute introduction d’abeille exogène, de matériel biologique utilisé en apiculture ou de matériel apicole usagé bouleverserait le fragile équilibre actuellement en place sur Groix. La reconnaissance croissante du caractère exceptionnel de cette population augmente aujourd’hui singulièrement le risque d’importation de colonies exogènes, de nombreux apiculteurs étant attirés par les populations d’abeilles noires préservées pour renouveler la génétique de leur propres cheptels. Ces importations entraîneraient un risque conséquent de propagation de nouveaux pathogènes, maladies et autres parasites exogènes, notamment de nouveaux varroas, or cet acarien a été identifié comme vecteur de nombreux virus qui affaiblissent les abeillesBall, B. et Allen, M., 1988. « The prevalence of pathogens in honey bee (Apis mellifera) colonies infested with the parasitic mite Varroa jacobsoni. » Annals of Applied Biology 113: 237–244.. D’après les scientifiques, la transmission de maladies entre ces colonies importées et les colonies indigènes est inévitableBrosi, B., K. Delaplane, M. Boots and J. de Roode (2017). « Ecological and evolutionary approaches to managing honeybee disease. » Nature Ecology and Evolution 1: 1250-1262., comme ce fut le cas en Nouvelle-Zélande Iwasaki, J., et al., 2015. « The New Zealand experience of varroa invasion highlights research opportunities for Australia. » Ambio 44: 694-704. ou plus récemment sur l’île d’Ouessant.
→ Face à ce constat, le gouvernement se doit de renforcer la protection sanitaire applicable aux abeilles mellifères de Groix.
Les recommandations de POLLINIS
En vertu de l’Article L 221-1 du Code rural et de la pêche maritime, le ministre de l’Agriculture peut prendre toutes mesures destinées à prévenir l’apparition, à enrayer le développement et à poursuivre l’extinction des maladies classées parmi les dangers sanitaires de première et deuxième catégories, parmi lesquels figure la varroase.
Afin de prévenir le risque de perdre définitivement l’un des meilleurs exemples d’abeilles mellifères naturellement résistantes au varroa sur Groix, POLLINIS demande au ministre de l’Agriculture de prendre un arrêté ministériel comprenant les mesures suivantes :
- Interdire toute introduction d’abeilles exogènes (reines, mâles, colonies ou essaims), de matériel biologique utilisé en apiculture (cellules, larves, cadres bâtis, cire, oeufs, sperme), à l’exclusion des produits alimentaires et de santé destinés à la consommation humaine, ainsi que de tout matériel apicole usagé (cadres, bâtisses, hausses, ruches, tenues et outils utilisés en apiculture) ;
- Ordonner la destruction de tout matériel apicole usagé et de tout matériel biologique introduit sur l’île ainsi que la réexpédition des reines, colonies et essaims exogènes sans délai sur la France continentale aux frais du contrevenant ;
- Renforcer les contrôles effectués et augmenter le montant de l’amende en cas de non-respect.