Pesticides

Autorisation illimitée de pesticides, dérégulations en cascade : les mesures catastrophiques de l’omnibus VII

Le 16 décembre, la Commission européenne doit présenter sa nouvelle proposition de simplification des normes européennes, intitulée omnibus « sécurité des aliments ». Sous couvert de simplification, c’est en réalité un détricotage en règle de toutes les normes encadrant la mise sur le marché des pesticides qui se prépare. Tour d’horizon des pires mesures du texte.

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Date : 11 décembre 2025
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Depuis début 2025, la Commission européenne n’a qu’une obsession, la simplification, pour booster la compétitivité européenne. Politique agricole, secteur de la défense, devoir de vigilance des multinationales… De nombreux textes européens, notamment ceux qui portent une certaine ambition écologique ou sociale pour le continent, passent à la moulinette d’un nouvel outil, les textes dits « omnibus ». Cette initiative permet à la Commission de réviser d’un seul coup plusieurs textes européens existants et portant sur la même thématique, dans l’optique d’alléger la réglementation.

Avec l’omnibus « sécurité des aliments », Bruxelles s’attaque actuellement à son septième chantier de simplification, il concerne cette fois-ci notamment la réglementation des pesticides. La Commission européenne doit rendre public son projet le 16 décembre, mais une version provisoire du texte révélée par le média Contexte circule déjà, et elle est particulièrement préoccupante. Cette inquiétude a notamment été relayée par une centaine d’ONG, dont POLLINIS, au travers d’une tribune publiée dans Le Monde

POLLINIS dresse l’inventaire des pires mesures de cet omnibus, proposées au mépris de la santé humaine et des écosystèmes.

Une autorisation illimitée des pesticides

C’est sans doute la mesure la plus emblématique de l’omnibus sécurité des aliments : la Commission européenne propose de supprimer la révision périodique des substances actives entrant dans la composition des pesticides. Actuellement, le règlement européen qui encadre la mise sur le marché de ces produits (le règlement 1107/2009), permet l’autorisation d’une substance active pour une durée de dix ans. Cette approbation est ensuite réexaminée par l’autorité sanitaire européenne, l’EFSA, qui peut la renouveler pour quinze ans.

En théorie, cette procédure permet de réviser régulièrement l’autorisation d’une substance, pour la retirer du marché si elle s’avère trop toxique pour la santé humaine ou l’environnement. En pratique, ce système de réexamen est tellement engorgé qu’un grand nombre de substances nocives en attente de renouvellement restent autorisées de longues années, par dérogation. Un phénomène dénoncé par POLLINIS, qui a récemment fait condamner la Commission européenne devant le Tribunal de l’UE pour les prolongations excessives d’autorisation d’une substance toxique pour les abeilles.

Au lieu de trouver des solutions pour limiter cet engorgement, par exemple en renforçant les moyens alloués aux autorités sanitaires, Bruxelles propose donc de supprimer le problème, en permettant une autorisation illimitée des substances actives. Seul garde-fou invoqué par la Commission : les substances les plus toxiques, labellisées comme « candidates à la substitution », devront toujours faire l’objet d’une demande de renouvellement périodique. Mais cette catégorie ne représente qu’un nombre très limité de produits, une quarantaine sur les 422 substances actives autorisées au total dans l’UESource : EU Pesticides Database. Selon une note des associations Générations Futures et PAN Europe, cette catégorie ne représente d’ailleurs que 28 % des produits interdits sur le continent depuis 2011.

Avec cette mesure, l’omnibus vide donc de tout son sens le règlement qui encadre la mise sur le marché des pesticides, qui repose en théorie sur le principe de précaution. Si elles avaient fait l’objet d’autorisations illimitées, de nombreuses substances aujourd’hui interdites, après examen de leur demande de renouvellement, seraient probablement toujours commercialisées. À l’image du chlorpyrifos, associé à l’altération du développement du cerveau du fœtus et de l’enfant, ou encore de l’imidacloprid, un pesticide tueur d’abeilles de la famille des néonicotinoïdes. Dans un système d’autorisations illimitées, ces interdictions de pesticides hautement toxiques pour l’homme et la biodiversité deviendraient presque impossibles.

Les dernières données scientifiques ignorées dans l’évaluation des pesticides

Un second point de l’omnibus sécurité alimentaire vient également affaiblir la réglementation actuelle sur la mise sur le marché des pesticides. Pour autoriser un produit, les États membres de l’Union européenne ne seraient plus tenus d’évaluer ses risques à la lumière des dernières connaissances scientifiques.

Concrètement, le mécanisme aujourd’hui en vigueur pour l’autorisation des pesticides sur le continent se déroule en deux étapes : la substance active du produit est autorisée ou non à l’échelle européenne par l’EFSA, et la mise sur le marché du pesticide dépend ensuite de son autorisation par les agences sanitaires des Etats membres (comme l’Anses en France). 

Tout au long de ce processus, l’évaluation des risques doit tenir compte des dernières données scientifiques disponibles. Ainsi, si de nouvelles études sur la toxicité d’un produit apparaissent après l’autorisation de la substance active au niveau européen, l’agence sanitaire nationale est tenue de les considérer avant d’accepter ou non sa mise sur le marché. Cette obligation a d’ailleurs été récemment rappelée à la France par la cour administrative d’appel de Paris, dans le cadre du procès intenté à l’État par la coalition « Justice pour le Vivant », dont fait partie POLLINIS. 

Si le système actuel comprend déjà de nombreuses failles, dénoncées de longue date par POLLINIS, l’omnibus empirerait la situation, au mépris du principe de précaution. Dans son texte, la Commission demande en effet aux autorités sanitaires nationales de se fier seulement aux études disponibles au moment de l’autorisation de la substance active au niveau européen. Bruxelles propose ainsi de figer l’état de la science : si de nouvelles études postérieures à la décision de l’EFSA alertent sur la dangerosité d’un pesticide, elles ne pourront pas être considérées par les agences sanitaires des Etats membres.

Des pesticides interdits maintenus plusieurs années dans les champs

Dans le cas où une substance active viendrait à être interdite dans l’Union européenne, l’omnibus sécurité des aliments propose également d’étendre le délai de grâce accordé aux Etats membres

Actuellement, les fabricants ont six mois pour interrompre la vente et la distribution d’un pesticide, puis les différents acteurs du secteur disposent d’un an supplémentaire pour utiliser et éliminer leur stock existant. Au total, un produit interdit est donc définitivement retiré du marché 18 mois après la décision européenne. Par ailleurs, il existe aujourd’hui une exception pour les substances présentant des « préoccupations immédiates concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement », qui ne bénéficient d’aucun délai de grâce.

De son côté, le projet d’omnibus prévoit d’accorder deux ans aux fabricants pour continuer à vendre les substances interdites. Comme dans la réglementation actuelle, le délai supplémentaire pour écouler les stocks resterait fixé à un an. Au global, le texte de la Commission envisage donc de doubler la durée de présence des pesticides interdits dans les champs européens, en faisant passer le délai de grâce total de 18 mois à trois ans.

Plus préoccupant encore, l’omnibus supprimerait l’exception permettant de retirer immédiatement du marché les substances interdites en raison de préoccupations pour la santé humaine, animale ou environnementale. Les pesticides les plus dangereux pourront donc aussi rester en usage plus longtemps, jusqu’à trois ans.

Une définition très large des produits de biocontrôle, au bénéfice de l’agrochimie

Pour tenter de verdir cet omnibus catastrophique, la Commission européenne brandit un argument phare : la promotion des produits de biocontrôle. Pour Bruxelles, moins les autorités sanitaires auront à se pencher sur l’évaluation des risques des pesticides conventionnels, plus vite elles pourront s’atteler à l’autorisation de ces nouvelles substances, considérées comme plus vertes.

Un double discours contradictoire, car pour faciliter la mise sur le marché de ces produits supposément écologiques, la Commission propose de vider de sa substance la législation encadrant la mise sur le marché des pesticides, en permettant notamment de les utiliser plus longtemps en dépit de leur toxicité.

L’omnibus sécurité des aliments propose d’établir une définition du terme « produits de biocontrôle »« biocontrol active substances mean micro-organisms, inorganic substances as occurring in nature, with the exception of heavy metals and their salts, or substances of biological origin or produced synthetically that are functionally identical and structurally similar to them, such as semiochemicals, biological macromolecules or molecules comprised of components thereof, substances, including of unknown and variable composition, originating from living organisms or derived by biological processes », qui n’était jusqu’ici pas fixée officiellement dans la loi européenne. Dans cette définition très large, la Commission européenne inclut notamment les substances « produites synthétiquement », qui seraient « fonctionnellement identiques » ou bien « similaires » à des substances d’origine biologique.

Une terminologie qui ouvre la porte à la mise sur le marché de biotechnologies qui pourraient faire peser des risques sur l’environnement, les écosystèmes et la santé humaine. En résumé, sous couvert de faciliter la mise sur le marché de substances supposément plus vertes, la Commission ouvre la voie à l’autorisation de produits qui n’ont pour la plupart rien d’écologique et d’inoffensif pour la biodiversité.

Cette proposition de rédaction par la Commission européenne est une aubaine pour l’agrochimie, qui pousse pour une définition du biocontrôle la plus large possible. Alors que les alertes scientifiques s’accumulent pour dénoncer l’impact destructeur des pesticides chimiques pour la santé et la biodiversité, investir dans le développement de produits supposément plus verts est un véritable enjeu économique et d’image pour les industriels.

Protégés par l’appellation « produit de biocontrôle », les fabricants de pesticides pourront ainsi continuer à commercialiser des produits potentiellement nocifs, tout en se faisant passer pour des acteurs de la transition agro-écologique. Une stratégie de substitution de pesticides chimiques par d’autres produits, qui permet d’entretenir la dépendance des agriculteurs aux firmes de l’agrochimie, sans aucune remise en question du modèle agricole dominant.

Une dérégulation assumée des produits de biocontrôle

Non seulement le texte de la Commission européenne propose une définition très large des produits de biocontrôle, mais il s’assure également de faciliter au maximum leur mise sur le marché, au mépris du principe de précaution. Ainsi, dans l’omnibus, les produits de biocontrôle bénéficient d’une procédure d’autorisation facilitée, sans aucun garde-fous.

D’abord, l’étude des dossiers d’autorisation des substances actives de biocontrôle devrait se faire de façon prioritaire. Les Etats membres rapporteurs, qui sont désignés pour étudier la demande d’un fabricant au niveau européen avant examen par l’EFSA, disposeraient d’un an maximum pour élaborer leur rapport d’évaluation. Pour accélérer encore la procédure, l’État membre rapporteur aurait même le droit d’accorder une autorisation de mise sur le marché provisoire à certains produits contenant une substance de biocontrôle en cours d’évaluation, pour une durée de cinq ans.

Ainsi, avant même que la procédure d’évaluation des risques d’une substance active soit arrivée à son terme, des formulations contenant ce produit pourraient être répandues dans les champs en toute légalité. Un détricotage en règle de tout le système d’évaluation des risques des pesticides à deux niveaux, dont l’Union européenne vante pourtant la sécurité.

Une fois présenté par la Commission européenne le 16 décembre, l’omnibus sécurité des aliments devrait être examiné au Parlement européen et au Conseil de l’UE réunissant les Etats membres. Tout au long de ce processus législatif, POLLINIS se battra pour empêcher l’adoption de ces mesures catastrophiques.

 

L’avenir de l’agriculture européenne ne passe pas par la dérégulation des pesticides, ni par l’accélération de nouvelles substances prétendument vertes, mais bien par l’agroécologie. Cet omnibus nous éloigne encore davantage de la perspective d’un changement radical de modèle agricole, seule solution pour faire face aux crises que nous traversons.