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Transparence et démocratie

Lettre de POLLINIS pour une loi ambitieuse sur la protection des lanceurs d’alerte

Alors que la loi de protection des lanceurs d'alerte est en passe d’être adoptée en France, POLLINIS demande, dans une lettre ouverte aux sénateurs, d'adopter un texte ambitieux, indispensable à l’heure où ceux et celles qui dénoncent la nocivité pour l’environnement et la santé de certaines pratiques liées à l’agriculture conventionnelle font face à une répression organisée.

Date : 19 janvier 2022

Les sénateurs ne doivent pas oublier que la défense de l’environnement passe par une protection des lanceurs d’alerte et une reconnaissance du rôle des ONG

La loi pour la protection des lanceurs d’alerte doit tenir ses promesses. Pour que ceux et celles qui dénoncent les abus et crimes environnementaux dont ils sont témoins ne le fassent plus au péril de leur travail, de leur réputation ou de leur liberté.

Aujourd’hui, la future loi de protection des lanceurs d’alerte est en passe d’être adoptée en France. Obtenue grâce à une longue mobilisation citoyenne et des associations, cette transposition ambitieuse de la directive européenne du même nom  doit corriger les lacunes de la loi Sapin 2 de 2016, et octroyer aux lanceurs d’alerte un statut protecteur et les moyens d’une alerte sereine.

Le texte prévoit notamment de libérer les lanceurs d’alerte d’une procédure périlleuse qui leur imposait un signalement interne préalable. Il met aussi en place une immunité pénale et élargit la définition du champ de l’alerte aux faits portant atteinte à l’intérêt général, et prévoit des sanctions dissuasives contre les procédures abusives.

Enfin, en rattachant les personnes morales – telles que les associations – accompagnant les lanceurs d’alerte dans le régime de protection, la future loi  assure des alliés aux lanceurs d’alerte, trop souvent isolés dans un combat inégal. Cette disposition permet aux ONG d’aider les lanceurs d’alerte en bénéficiant du régime de protection contre les procès baillons qui usent des notions de recel ou de vol d’information.

Mais la proposition de loi risque aujourd’hui d’être vidée de sa substance. Selon des révélations du site d’information Médiapart, le lobby de l’agroalimentaire breton a notamment poussé avec succès auprès des sénateurs le détricotage de cette avancée centrale du texte.

En revenant sur la protection de ce que le texte nomme les « facilitateurs » les sénateurs sont en passe d’accepter un grave recul.

Lors de l’examen en commission, ils ont introduit un critère de « gravité » dans l’alerte, et réécrit des dispositions sur l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte, fragilisant ainsi l’édifice entier de protection. Ces dispositions sont même jugées contraires à la clause de non-régression de la directive par la Défenseure des droits.

L’adoption d’un texte ambitieux est pourtant indispensable à l’heure où ceux et celles qui dénoncent la nocivité pour l’environnement et la santé humaine de certaines pratiques liées à l’agriculture conventionnelle font face à une répression organisée. Dépendant des engrais et des pesticides chimiques de synthèse, le modèle agricole actuel est pourtant en grande partie responsable de l’effondrement de la biodiversité et de graves atteintes à l’environnement, comme la pollution des eaux, la contamination des sols, ou la disparition accéléré de la biodiversité ordinaire (oiseaux, petits mammifères, insectes, batraciens, etc) .

Avec la création en 2019 de la cellule Déméter, fruit d’un partenariat entre la gendarmerie nationale et les syndicats agricoles majoritaires (FNSEA et Jeunes agriculteurs), le gouvernement français a entériné la surveillance des militants écologistes, sous couvert de lutte contre les atteintes au monde agricole. De multiples « observatoires de l’agribashing », lancés dans plusieurs départements français, ciblent également les discours contestataires du modèle agricole dominant.

C’est parfois par des poursuites en justice abusives et disproportionnées que les militants écologistes sont tenus au silence. La petite association « Alerte aux toxiques ! » en a récemment fait la cuisante expérience. Condamnée pour « dénigrement » et à verser 125 000 euros à plusieurs acteurs du monde viticole du bordelais, sa porte-parole Valérie Murat paie cher la publication des résultats d’analyse exposant la présence de 28  pesticides dans 22 bouteilles estampillées « haute valeur environnementale », un label qui autorise l’usage des pesticides, en dépit d’un nom à la connotation volontairement écologiste.

Les attaques sont parfois encore plus directes. La journaliste bretonne Morgan Large, qui a enquêté sur les dérives du secteur agro-alimentaire breton a vu sa voiture sabotée en mars 2021, tandis que la journaliste Inès Léraud, co-autrice de de la BD « Algues vertes, l’histoire interdite »,  est la cible de multiples tentatives d’intimidations.

Lors du vote prochain, pour que la France se dote d’une protection effective des lanceurs d’alerte, les sénateurs doivent adopter les dispositions ambitieuses prévues par le texte après son passage à l’Assemblée nationale. Ils doivent être du côté de l’environnement et de l’intérêt général. Ni les lanceurs d’alerte ni les ONG de protection de l’environnement ne peuvent se passer de cette loi.

Nicolas Laarman, délégué général de POLLINIS