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Pesticides / Néonicotinoïdes

Nicolas Laarman : « Les pollinisateurs, garants de notre sécurité alimentaire »

Le délégué général de POLLINIS signe une tribune dans Le Monde exhortant les parlementaires à ne pas revenir sur l'interdiction des néonicotinoïdes. Il rappelle que seul un modèle agroécologique protégera la nature et les agriculteurs, et permettra de répondre au défi de la souveraineté alimentaire et du changement climatique.

Date : 2 septembre 2020
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UNE VERSION ANTÉRIEURE DE CETTE TRIBUNE A ÉTÉ PUBLIÉE PAR LE JOURNAL LE MONDE LE 2 SEPTEMBRE 2020

L’abeille est un symbole, les néonicotinoïdes aussi. Ces pesticides représentent le modèle agricole dominant, qui ravage la faune et la flore et détruit ses propres outils de production – sols, eau et insectes bénéfiques pour les cultures. Or, ce modèle ne viendra jamais à bout de ses petits ennemis : les pucerons de la betterave ou les taupins du maïs, ne disparaîtront pas avec le retour annoncé des « tueurs d’abeilles » dans nos champs. Au contraire. La nature est ainsi faite : les prédateurs des cultures deviennent résistants aux pesticides censés les détruire. Les doryphores, ravageurs de la pomme de terre, ont ainsi multiplié par 100 leur résistance aux néonicotinoïdes en une décennie à peine, comme le montrait une étude publiée il y a près de vingt ans déjà.

Ce mécanisme d’adaptation des « nuisibles » fait le bonheur de l’agrochimie, grande gagnante du système : à mesure qu’augmentent les résistances, les firmes produisent de nouvelles molécules au mode d’action plus insidieux et de plus en plus toxiques pour l’environnement. Certains néonicotinoïdes sont, à dose égale, jusqu’à 7 000 fois plus toxiques pour les abeilles que le fameux DDT utilisé il y a quelques décennies.

Dans la spirale infernale de la dépendance chimique

Les agriculteurs sont contraints d’acheter ces nouveaux pesticides et, espérant venir à bout d’insectes résistants, augmentent les doses et combinent les produits… En 2008, une étude indiquait que plus de 550 espèces n’étaient plus sensibles à un ou plusieurs types d’insecticides – dont déjà une quarantaine aux néonicotinoïdes.

La crise de la betterave révèle au grand jour les multiples faillites de l’agriculture conventionnelle. La plus criante : ces paysages agricoles simplifiés à l’extrême, incroyablement vulnérables et incapables de produire sans perfusion de pesticides de synthèse extrêmement toxiques. Le développement de ces immenses déserts biologiques induit une spirale infernale de dépendance chimique qui grève le budget des agriculteurs, souvent surendettés et dépendants des subventions publiques. Ce modèle coûte aussi très cher aux citoyens, qui financent indirectement les aides dont bénéficie ce système absurde, et règlent les factures colossales qu’il engendre. Pour la seule dépollution de l’eau, les surcoûts engendrés par les pesticides – et payés par les contribuables français – étaient évalués en 2016 entre 260 millions et 660 millions d’euros par an par le Commissariat général au développement durable (CGDD).

Une possible extinction des insectes

La nature aussi paie le prix fort. Les centaines d’études scientifiques démontrant les ravages des seuls néonicotinoïdes montrent qu’il est impossible de contrôler leur dissémination dans l’environnement via l’eau, la terre ou les poussières. Leur persistance dans les sols, durant plusieurs années, et dans les cours d’eau, entraîne de graves dégâts sur le long terme. Certifier l’absence de risque pour un usage sur les betteraves, récoltées avant floraison, comme le fait le gouvernement pour justifier une dérogation, relève de la fake news.

Les « tueurs d’abeilles » tuent aussi un grand nombre d’animaux non-ciblés, notamment tous ceux dont l’agriculture a besoin : vers de terre, pollinisateurs sauvages, coccinelles et syrphes (prédateurs des pucerons), oiseaux insectivores, etc. Utilisés en Europe sur les grandes cultures pendant plus de vingt ans, ces molécules ont largement contribué à l’extinction en cours des insectes. Une étude publiée en 2017 révèle qu’en moins de trente ans la biomasse des insectes volants en Europe a diminué de 76 %. Cette année, des chercheurs ont constaté des taux de déclin si vertigineux qu’ils ont intitulé leur article « Alerte des scientifiques à l’humanité sur l’extinction des insectes ».

Accepter de prolonger, même de quelques années, le recours aux néonicotinoïdes sur des centaines de milliers d’hectares est une décision insensée. Pour se justifier, le gouvernement invoque la « souveraineté alimentaire » au sujet de la filière betterave-sucre, quand les pollinisateurs assurent la survie et l’adaptation des plantes à fleurs depuis des millions d’années, et sont indispensables à la reproduction de 75 % des espèces cultivées !

Faire preuve d’inventivité

Ce sont eux les véritables garants de notre sécurité alimentaire. Leur présence permet également d’augmenter les rendements. L’année dernière, des scientifiques du CNRS et de l’INRA ont démontré qu’une pollinisation abondante, et gratuite, du colza par les abeilles domestiques et sauvages est bien plus avantageuse financièrement (jusqu’à 200 euros par hectare) que l’utilisation de pesticides.

Les pratiques agricoles permettant de réduire la pression des « nuisibles » sans chimie de synthèse existent (rotations plus longues des cultures, taille des parcelles, couverts végétaux, prédateurs naturels, etc.). D’autres peuvent être développées. Des plans de transition ambitieux ont déjà été pensés par divers organismes (FAO, IDDRI…). Il est aussi possible de faire preuve d’inventivité. L’agronome Lorenzo Furlan a ainsi testé avec succès la mise en place de fonds mutuels d’indemnisation, permettant aux agriculteurs bio ou en conversion de faire face au risque d’une diminution de rendement. Ce modèle révolutionnaire, un pot commun dont les cotisations sont infimes comparées au budget de l’achat de pesticides, a montré comment les producteurs de maïs pourraient se passer totalement des néonicotinoïdes.

Un véritable plan de transition pour toute l’agriculture

Lorsque l’interdiction des néonicotinoïdes est entrée en vigueur en 2018, le gouvernement a déclaré : « Il y a ceux qui parlent et ceux qui font. Nous faisons ». Problème : rien n’a été fait. Aucun plan de transition n’a été proposé au monde agricole et aux citoyens, ni par ce gouvernement ni par le précédent à qui cette interdiction a été arrachée en 2016 grâce à une intense mobilisation citoyenne. Et aujourd’hui il est demandé à la société tout entière d’accepter une volte-face démocratique qui aura des coûts économiques et écologiques exorbitants. Dans les semaines qui viennent, les parlementaires doivent refuser de modifier la loi pour autoriser des « dérogations d’urgence ». Ces rustines ne sauveront pas les filières betterave ou maïs quand c’est l’ensemble du système conventionnel qui est défaillant et mortifère. Seule la mise en place d’un modèle agroécologique résiliant, respectueux de la nature et bénéfique aux agriculteurs permettra d’assurer une production durable, de s’adapter au changement climatique et de répondre au défi de la souveraineté alimentaire.