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Restaurer les paysages

Terres de pollinisateurs : rencontre avec Félix Noblia de la ferme Larrous

Félix Noblia a repris la ferme conventionnelle de son oncle (élevage et maïs ensilage), dans le Pays basque, en 2008. Il en a peu à peu changé les pratiques pour restaurer la santé des sols. L'élevage de race rustique (angus) adaptée à l’extérieur lui permet également de réduire les problèmes sanitaires. Il a raconté en détails à POLLINIS son parcours, ses idéaux, ses questionnements.

Date : 9 mars 2020

Pour Félix Noblia, la recherche d’autonomie sur la ferme constitue un enjeu majeur : des sols autofertilisés par différents couverts végétaux et l’élevage de race rustique permet de réduire les problèmes sanitaires et de se passer d’intrants (pesticides et engrais).

Entretien réalisé en décembre 2017 par Lorine Azoulai, ingénieure spécialisée en sciences-politiques et alimentation durable, et Matthieu Lacour-Veyranne, ingénieur agronome, commandé par POLLINIS.

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« Je voudrais arriver à faire des rendements d’agriculture conventionnelle en bio et en semis direct. Les mêmes que ceux que j’avais avant, mais avec un objectif  « sans phyto, sans engrais ». »
© E. Baradat/POLLINIS

Un virage audacieux

Comment s’est faite votre installation ?

J’ai repris il y a 10 ans une ferme qui était dans une situation compliquée, à la fois sur le plan économique et sur le plan agronomique. C’était un modèle de monoculture de maïs avec des animaux dedans, avec du maïs ensilageMaïs utilisée en tant que plante fourragère, pour l’alimentation du bétail. et des dérobéesCulture qu’on intercale entre deux cultures principales annuelles. de ray-grassPlante herbacée utilisée notamment pour le fourrage. pour les nourrir. Donc un truc pas du tout varié, avec un travail de sol assez profond, 100 % de labour et le système pesticides-engrais qu’on connaît.

J’ai repris cette ferme progressivement dans des conditions hors cadre familial. Progressivement, j’ai fait évoluer ce système d’exploitation en passant d’abord par la création de filières courtes de valorisation des produits, puis par la vente directe sur l’atelier d’élevage. Après, comme j’étais surchargé de travail, j’ai commencé à organiser différemment mon temps, notamment sur la partie production végétale. J’ai commencé par diminuer le travail du sol avant d’abandonner le labour pour passer à du semis directIntroduction directe de la graine, sans passer par une phase préalable de travail du sol. en intégrant de nouvelles plantes dans la rotation. Et depuis, je suis passé en agriculture bio.

Depuis quand ?

Je suis en conversion bio depuis 2016, avec une culture commercialisable en bio à partir de 2018. Mais on est encore dans la phase d’apprentissage de ce nouveau système, en essayant de rendre compatibles l’agriculture biologique et le non-travail du sol. Ce qui est loin d’être une mince affaire ! Du coup, je suis suivi par une association et on est repartis un peu en arrière en commençant par valider des séquences de culture : un très léger travail de sol, puis déchaumagePréparation du sol par arrachage et enfouissement des plantes levées, notamment les résidus de cultures comme les chaumes. très, très superficiel avant d’implanter un couvert. Et c’est dans ce couvert-là que l’on va directement semer la culture. Depuis trois ans, nous n’avons pas de sol nu ! L’idée, c’est que chaque culture a son couvert qui va bien, sachant que les couverts doivent avoir des biomasses phénoménales. C’est la biomasse qui gère l’enherbement. Par exemple, sur un couvert de dicotylédonesClasse de plantes à fleurs dont les graines donnent naissance à deux feuilles primitives (cotylédons), par opposition aux monocotylédones dont les plants ne présentent qu’une feuille initiale. de légumineusesPlantes dont les fruits sont contenus dans des gousses (haricots, pois, luzerne…).
, il faut que ça arrive à 9 tonnes de matière sèche pour gérer 6 semaines d’enherbement ! Et pour un couvert de graminées, il faut 7 tonnes de matière sèche pour gérer 6 semaines d’enherbement. Donc le principe, c’est d’avoir un couvert qui est vivant au moment où on sème. On sème dedans très dense puis on roule en deux passages avec le rouleau faca.

Si vous deviez qualifier votre système en un mot ?

« Compliqué » (rires). C’est une phase de transition. Le but, c’est d’arriver à une simplification du système mais il y a des choses sur lesquelles je ne suis pas encore complètement calé. Est-ce qu’il vaut mieux un couvert systématique, où on va faire tout le temps le même couvert en été, tout le temps le même couvert en hiver et, suivant ce qu’il y aura dedans, on va semer telle ou telle plante derrière ? Est-ce qu’il faut plutôt adapter à chaque fois un couvert à la culture qu’on envisage de semer ? Et si ce n’est pas la bonne chose ou s’il y a des adventices« Mauvaise herbe ». qui germent dedans et qu’on n’avait pas prévues, comment va-t-on se rattraper ? Est-ce qu’il faut ramener à nouveau en graines et refaire un deuxième couvert, quitte à se passer de cultures pendant six mois ?… Bref, il y a encore pas mal de choses à retravailler.

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Félix Noblia s’engage dans la conversion en bio en 2016, avec l’aide d’une association de développement de l’agriculture paysanne et durable pour les aspects techniques. © E Baradat/POLLINIS

Associer culture et élevage 

Quelle est la taille de votre ferme ?

Une centaine d’hectares, moitié en élevage, moitié en culture.

Et vos principales productions ?

C’est un peu compliqué parce que je suis dans une phase de transition. Mais cette année, c’était de l’orge, du soja, du blé, du maïs, du seigle forestier, de la féverole, un mélange féverole-pois, de la luzerne, du sorgho, des radis fourragers. J’en oublie sûrement…

Est-ce que vous arrivez à dénombrer le nombre d’espèces que vous cultivez ?

Non !

Quels types de variétés de semences utilisez-vous ?

Des variétés hybrides et des variétés de populationsVariétés traditionnelles, constituées d’un ensemble hétérogène d’individus, sélectionnées localement par les agriculteurs., le maximum de populations, notamment des mélanges de plantes anciennes… Par exemple, j’ai commencé à sélectionner des populations de maïs adaptées au semis direct.

Donc vous les sélectionnez vous-même ?

Oui.

Et ça marche ? 

Oui. Mais bon, tout est relatif. À quel niveau va-t-on considérer que ça marche ? Quelle est la valorisation derrière ? Quel est le critère de réussite ? Les meilleurs qui font du blé de populations, ceux qui ne jurent que par ça, font 30 quintaux. Ce ne sont pas des blés qui vont faire 60 quintaux. En bio, la problématique est très compliquée. Le moment où la plante a le plus de besoins, au stade où l’épi fait 1 cm, c’est aussi celui où le sol minéralise le moins. En d’autres termes : le moment où il y a le moins de bouffe disponible, c’est le moment où il y a le plus de besoins ! C’est très compliqué. Sur d’autres plantes, c’est plus facile parce qu’on a des pics de minéralisation en corrélation avec les besoins.

Est-ce que vous travaillez les associations de cultures ?

Tout dépend de ce que l’on entend par « associations ». Quand on sème du blé dans de la luzerne vivante ; ça peut compter comme une association de cultures sauf qu’il y a en qu’une seule qui est ramassée. Pour l’instant, ce sont des associations de plantes dans les couverts principalement mais pas dans les cultures.

Avez-vous noté des avantages en termes de rendements ?

Surtout en termes de qualité plus qu’en termes de rendements. Sur les essais qu’on a faits en conventionnel, avant de passer en bio, les rendements étaient les mêmes sauf que la qualité en protéines a gagné un point. Le moment où on va avoir des gains sur les rendements, c’est quand il y a un problème. C’est-à-dire que si on a de gros épisodes de maladies, de gros épisodes de pucerons, là ces parcelles qui sont en cultures associées et en semis sous couvert avec des plantes compagnes vivantes auront moins de soucis. Grâce aux plantes compagnes, les pucerons s’attaquent moins facilement au blé. Pour conclure : un blé en meilleure santé chope moins de maladies.

Et avez-vous testé d’autres associations que la luzerne ?

Oui, notamment le trèfle violet. Après, les autres, c’est plus compliqué parce que ça dépend des climats. Chez nous, par exemple, avec le trèfle blanc, le blé risque de crever parce qu’il y a trop d’humidité en superficie.

Vous utilisez aussi d’autres légumineuses ?

En dehors du trèfle et de la luzerne, il y a les couverts d’hiver : vesce velue, pois fourragé, lupin, féverole mélangée parfois avec des trèfles incarnats et ses composants…

Et donc là, il y a une partie qui part en fourrage pour les vaches et une partie que vous utilisez ?

Ce qui part en fourrage pour les vaches, ce sont les couverts qui ne sont pas suffisamment parfaits. Les couverts parfaits restent plutôt au sol, pour les vers de terre. En bio, on ne peut pas exporter le couvert pour les vaches et avoir la prétention de faire du non-travail de sol, car c’est le paillage sur place qui va permettre de gérer l’enherbement. Si on exporte le paillage, c’est perdu.

Et sur les rotations, est-ce que ça dépend des cultures ?

J’aimerais mettre en place… plein de choses, en fait. Il y a ce que j’ai envie de mettre en place de manière simple et il y a ce que j’ai envie de mettre en place pour m’amuser. Donc je vais commencer des essais en 2018 et mettre en place des cultures valorisables pour l’homme, en association avec des cultures valorisables pour l’animal : du haricot-maïs, du haricot-sorgho, du pois chiche-tournesol…

Après, pour le tri, j’ai un trieur à grilles et un trieur densimétrique. L’idée, c’est de faire un triage le mieux possible mais qui ne sera pas parfait. Et après, pour les cultures pour l’homme, il faudra envoyer ça ensuite au trieur optique, en prestation.

Et du coup, vous faîtes une rotation sur combien d’années ?

J’aimerais mettre en place des rotations sur trois ans : une parcelle maïs, une parcelle soja et une parcelle blé, en tournant chaque année.

Parlons vaches. Quel est le nombre de races que vous élevez ?

Les vaches, c’est simple. Il y a deux races : il y a des blondes d’Aquitaine et des angus. Je me dirige vers un troupeau 100 % angus mais ça va prendre du temps. Pourquoi ? Parce que c’est une race qui me plaît beaucoup dans l’assiette comme dans la façon d’élever, parce que ces vaches sont rustiques, faciles, adaptées à vivre en extérieur.

D’où proviennent vos animaux et vos semences ?

Et bien les animaux, ils sont là… Après, je fais naître, je suis plus naisseur qu’engraisseur. Les semences, c’est 95 % de semences de ferme. J’en achète une fois et après, je multiplie.

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Félix Noblia va commencer des essais et mettre en place des cultures valorisables pour l’homme, en association avec des cultures valorisables pour l’animal : du haricot-maïs, du haricot-sorgho, du pois chiche-tournesol…
© E.Baradat/POLLINIS

Protéger les cultures

Comment gérez-vous les pressions liées aux mauvaises herbes ou aux ravageurs ?

Pour moi, il y a deux problématiques différentes de mauvaises herbes : les vivacesPlante dont la souche peut durer plus de deux années en produisant à chaque reprise. et les annuelles. Les vivaces, c’est l’ennemi numéro 1 de tous les systèmes. Donc s’il faut faire un déchaumage avec un faux semisTravail superficiel du sol visant à réduire la pression des mauvaises herbes. pour virer les vivaces et mettre un gros couvert qui les étouffe, on le fait. Pour gérer les annuelles, les couverts végétaux suffisent. Mais la problématique principale, ce sont les vivaces, surtout ray-grass d’Italie, rumex et chiendent. Donc, là, pas de pitié : déchaumage et succession de deux couverts.

Et pour les insectes, les maladies, les champignons, les virus, etc. ?

Plus de problème. Ça, c’était avant ! À partir du moment où les sols recommencent à fonctionner, les taux de matière organique sont suffisamment remontés pour que les sols soient en bonne santé. Il n’y a plus aucun souci. Après, je travaille quand même avec des pulvérisations de purin d’ortie. Ça a vraiment un effet très significatif sur les maladies.

À quelle fréquence l’utilisez-vous ? 

À peu près un passage par mois en hiver, et ça permet vraiment de préserver les couverts des légumineuses de la plupart des maladies. C’est ça, le jeu : si on commence à avoir des sous-couverts semés tôt, on va avoir des légumineuses qui vont pousser très vite au tout début de l’hiver, et qui vont commencer à faire des nodosités, à produire leur propre azote, qui vont vraiment avoir beaucoup à bouffer. Et puis l’hiver arrive. La minéralisation diminue, les nodosités se calment. Et là, on a une plante qui a une très forte demande de fertilité mais il n’y a plus rien. Donc, là, elle chope tout ce qui passe. Du coup, si on veut obtenir des féveroles qui font deux mètres de haut au mois de mai, il faut les semer tôt et les nourrir pendant l’hiver.

Et en dehors du purin d’ortie, est-ce que vous utilisez d’autres choses ?

Non. Il y a sûrement plein d’autres choses à essayer mais le problème c’est que les journées ne font que 24 heures…

Et pour les auxiliaires de culture ?

Le truc, c’est que les auxiliaires de culture sont là. Ce n’est pas compliqué : il suffit de préserver leur habitat et de les nourrir. Donc déjà, plus d’insecticides. Et être conscient que dès qu’on retravaille le sol, on perd. Ensuite, je pense qu’il faut favoriser les plantes à fleurs, suivre l’exemple de Dave Brandt, un pionnier du semis sous couvert en Amérique du Nord, qui a réussi à passer en 35 ans de 1,5 % à 11,5 % de matière organique dans ses sols. Pour ça, il faudrait arriver à avoir dans les parcelles assez grandes une bande tous les 100 mètres, qu’on ne va pas trop travailler pendant quatre ou cinq ans, et décaler la bande au bout de quelques années.

Quelles semences faudrait-il utiliser pour ces fleurs ?

Là, c’est compliqué. Il faut au moins 200 espèces sur la bande mais pour ça, il faut déjà acheter les semences et ça coûte un bras, sinon plusieurs…

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« En ce qui concerne les insectes, les maladies, les champignons et les virus, il n’y a plus de problème depuis que les sols sont à nouveau en bonne santé grâce à un taux de matière organique suffisamment remonté ». © E. Baradat/POLLINIS

Le rôle essentiel des infrastructures agroécologiques

Y a-t-il des infrastructures agroécologiques sur votre ferme et lesquelles ?

J’ai des haies partout, mais plutôt à l’extérieur des parcelles ou sur les bords qu’à l’intérieur.

Est-ce que tout était déjà sur place ou y a-t-il une partie que vous avez plantée ?

Tout était déjà là, c’est juste que je ne les ai pas enlevées. Et même si je voulais le faire, ce ne serait vraiment pas simple. Chez nous, ce n’est pas plat. Là où il y a des haies, ce sont souvent des talus, des endroits où ne peut pas passer et où ce serait tout simplement impossible d’aplatir. Et puis, on est sur de la marne calcaire, avec des endroits où il y a deux mètres de terre et d’autres où il y a des rocs qui apparaissent qui font trois mètres sur quatre. Ce n’est juste pas possible de passer.

La floraison sur les zones de haies est-elle étalée sur l’année ?

De mars à septembre, il y a tout le temps quelque chose.

Vous avez aussi un peu de mares ?

J’ai des ruisseaux qui passent dès qu’il y a des petites vallées.

Et des bandes fleuries, pas encore ?

Pas encore. Mais j’ai fait des tests en potager et c’était très significatif sur la capacité des bandes fleuries à empêcher toute attaque d’insectes sur les légumes. Mais bon après, pour aller plus loin, il faut de l’envie, mais aussi du temps…

Au final, quel pourcentage de la SAUSurface agricole utile. Notion normée utilisée pour évaluer le foncier d’une exploitation agricole. est en infrastructure agroécologique ?

Ma SAU, c’est 100 % de SAU. Et par contre, il y a des SNASurface non agricole. Notion normée utilisée pour évaluer le foncier d’une exploitation agricole., tous les bois, les haies, les bordures en marge de nos parcelles. Et moi, contigües à mes 100 hectares de SAU, j’ai 77 hectares de SNA. Donc chez moi, il y a des bois partout. Et dans ce cadre-là, l’agroforesterie est plus un problème qu’une solution ! On passe un mois par an à retirer des bois qui tombent sur les parcelles !

Plus généralement, est-ce que vous avez une idée de ce que représente le travail spécifique à ces infrastructures-là, en termes de temps ou de charge ?

À chaque passage, on peut compter trois euros par hectare, un truc comme ça, en ayant déjà le matériel, c’est-à-dire l’épareuseFaucheuse, débroussailleuse. pour les haies. Mais je ne le fais pas bien. Normalement, il faudrait passer un coup d’épareuse tous les deux ans et si cela ne prend pas beaucoup de temps sur les grandes parcelles, ça en prend plus sur les petites.

Les bois que vous sortez, vous en faîtes quelque chose ?

S’il est coupé avec l’épareuse, ça reste sur place. Quand c’est à la tronçonneuse, on scie en bois de chauffage, comme avec les arbres qui tombent.

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Felix Noblia travaille avec deux races de vaches : des blondes d’Aquitaine et des angus, mais il se dirige vers un troupeau 100 % angus. Pourquoi ? « Parce que c’est une race qui me plaît beaucoup dans l’assiette comme dans la façon d’élever. Parce que ces vaches sont rustiques, faciles, adaptées au dehors. »
© E. Baradat/POLLINIS

Gérer l'eau et les sols

Comment évaluez-vous la qualité de l’eau sur la ferme ?

Sur la ferme, ce n’est pas trop mal. Ce n’est pas parfait, il y a encore des améliorations à faire.

Et à l’échelle du bassin versant, vous avez des problèmes d’eau de manière générale ?

Le problème est que ma ferme est très morcelée. Donc j’ai 30 kilomètres entre les parcelles d’un côté et les parcelles de l’autre ! L’eau qui sort de mes parcelles, c’est pas trop mal, sauf que je fais un peu figure d’exception dans ma façon de travailler.

Avez-vous des pratiques spécifiques pour préserver la qualité de l’eau tout en diminuant vos prélèvements ?

D’abord, comme on a de l’eau en été, je n’irrigue pas. Certains irriguent mais pas tant que ça. Et puis c’est très compliqué parce que comme on a des collines partout, pas facile de tirer des réseaux d’irrigation… Après, sur la qualité de l’eau, il y a tout le bénéfice du non travail du sol et c’est la chose la plus importante. Au-delà de tout le débat actuel sur le glyphosate, je pense que ce qui devrait être mis en avant dans toutes les politiques publiques, c’est bien le non travail du sol. Je dirais même presque : interdire le travail du sol. En retournant la terre, on l’oxyde et, du coup, ça libère des nitrates qui ne sont plus disponibles pour les plantes mais vont contaminer les cours d’eau à la première pluie.

Comment évaluez-vous la qualité de votre sol ?

J’ai fait des analyses il y a quelques temps. Il faut que j’en refasse; là. Les résultats sont encourageants ; ça commence mais ça pourrait être mieux.

Qu’est-ce qui a changé depuis votre installation ?

Ce sont surtout des indicateurs visuels, notamment la présence de vers de terre, la présence d’auxiliaires de culture, pour lutter contre les ravageurs…

Quel type d’engrais utilisez-vous ?

Que des engrais organiques. Ce sont des engrais qui ne sont pas minéralisables quand il fait froid, ce qui fait qu’ils ne sont pas disponibles pour la plante. C’est la difficulté quand on fait de l’agriculture bio.

Et est-ce que vous utilisez du fumier ?

Très peu parce que mes vaches sont quasiment tout le temps dehors et donc je suis obligé de l’acheter, à des voisins notamment. Pour l’instant, je fais comme ça, en attendant de parvenir à un taux d’autofertilité convenable. Sauf que, théoriquement, il faut arriver à un taux de 6,5 % de matière organique. Et sur les meilleures parcelles, je pense que là, je ne suis qu’à 4. Donc il reste encore du boulot !

Pensez-vous pouvoir atteindre ce 6,5 % juste en travaillant les engrais verts ?

Oui, même si cela exige d’être très rigoureux. En agriculture, dans une gestion pragmatique, on ne se met pas de contraintes sans valorisation possible, sinon, on se coule. Si on achète des engrais organiques, il faut bien voir que l’unité d’azote est à deux euros et demi l’unité ; donc si on met 200 unités, on met 500 euros. Sur de l’urée, si on met 200 unités, il faut mettre 150 euros à peu près. C’est dix fois trop cher par rapport à ce que ça rapporte ! Et encore : ça, c’est qu’on va poser sur le sol, sur le couvert qu’on vient de rouler. La quantité qui va être disponible sur les plantes va être beaucoup, beaucoup faible. Le sol stocke, c’est très bien mais ça reste un investissement considérable.

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Félix Noblia travaille une trentaine d’heures par semaine sur la ferme, 90 en comptant la communication, les réseaux sociaux et les rendez-vous. © E. Baradat/POLLINIS

Questions d'énergie

Pouvez-vous estimer votre dépendance aux énergies fossiles, en donnant une note entre 0 et 10 ?

Je dirais 1. Parce que les tracteurs, on peut les faire tourner à l’huile si nécessaire. On a à peu près tout ce qu’il faut. Par rapport à l’agriculture classique, je dépense 10 fois moins d’énergie.

Produisez-vous de l’énergie renouvelable sur la ferme ?

J’ai failli faire du solaire mais, finalement, je bute sur des histoires de commissions de régulation dans l’énergie qui doivent valider le tarif de rachat. On s’est déjà fait retoquer deux fois les tarifs de rachat sur les deux bâtiments et on va peut-être se faire retoquer une troisième… Je ne sais pas si on va le faire ou pas.Changement intervenu depuis la réalisation de cet entretien : la Ferme de Larrous dispose désormais d’un bâtiment qui produit de l’électricité.

Gestion des déchets, protection des paysages

Avez-vous des déchets non recyclables sur la ferme ?

Oui : les plastiques d’enrubannésFilm qui enveloppe les balles de fourrage. qui passent dans les collectes ou encore les pneus d’ensilage. C’est un gros souci. Il y a des pneus qui sont là depuis l’époque de mon oncle et on ne sait pas quoi en faire. Les déchèteries ne veulent pas les prendre et on n’a pas de numéro à nous donner pour les virer. Et deux semi-remorques de pneus d’ensilage, on ne peut pas les brûler.

L’organisation du paysage est-elle importante pour vous et la prenez-vous en compte dans vos pratiques ?

Elle se fait, de fait. Après, dans un paysage de bocages où les haies sont préservées, c’est super sympa d’avoir des cultures avec des fleurs, des jolies couleurs à certains moments de l’année. Par contre, c’est vrai que ça attire les sangliers et les vermines qui viennent attaquer les cultures. Ils sont comme tout le monde : ils préfèrent aller chez le bio !

Et si vous deviez estimer l’importance du paysage et du bâti sur une échelle de 0 à 10 ?

8, parce que chez nous, on est dans le plus beau pays du monde ! À 45 minutes de là où j’habite, il y a la plage et à 1 heure, on skie en montagne. C’est à préserver.

C’est un avantage d’avoir un paysage diversifié et complexe ?

Quand on se lève le matin, on sait pourquoi on est là. C’est déjà pas mal. Quand il y a une belle lumière, du beau temps, on est content d’être là. Ça demande peut-être un peu plus de boulot mais ça les vaut.

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« Les bourdons, les papillons, on en a plein. C’est très rigolo la vitesse à laquelle ils reviennent quand il y a des bandes de fleurs. C’est super. Et après, il suffit de voir un champ de luzerne : c’est un paradis pour les pollinisateurs»
© E. Baradat/POLLINIS

La place des pollinisateurs

Petites questions plus ciblées sur les pollinisateurs : de manière générale, avez-vous des stratégies spécifiques pour préserver, favoriser les auxiliaires de culture ?

Non. J’ai une ruche mais je ne l’ai jamais ouverte ; ça fait 7 ans qu’elle est là. Elle vit bien… Je n’ai jamais rien fait mais elle est super contente.

Et les auxiliaires de façon générale ?

Encore une fois, les auxiliaires, c’est surtout le non travail du sol et garder une couche de végétation qui protège l’écosystème et lui permet de se réguler de lui-même. C’est arrêter de casser l’équilibre des chaînes alimentaires.

Si vous deviez donner une importance aux pollinisateurs, comme enjeu, sur une échelle de 0 à 10 ?

Chez moi 2 mais en général, 8. Chez moi, on les a, c’est de fait, il n’y a pas de souci. Le moindre agriculteur par chez nous a des abeilles. Mais à part pour le colza et certains fruitiers ou sur du potager, les pollinisateurs ne sont pas si importants que ça pour mes productions. Mais je suis content qu’ils soient là.

Connaissez-vous les pollinisateurs sauvages d’une manière générale et les observez-vous ?

On les observe. Les bourdons, les papillons, on en a plein. C’est très rigolo la vitesse à laquelle ils reviennent quand il y a des bandes de fleurs. C’est super. Et après, il suffit de voir un champ de luzerne : c’est un paradis pour les pollinisateurs.

Est-ce que cela vous parait justifié d’utiliser les pollinisateurs comme fil rouge pour repenser le système agricole et alimentaire ?

Oui et non. Pour que le système agricole change, il faut d’abord et avant tout que les agriculteurs changent. Et le seul truc qui peut les faire changer, c’est qu’on leur parle de leur porte-monnaie. La porte d’entrée « abeille », ça ne va pas leur rapporter de l’argent. Pour rapporter de l’argent, il y a deux leviers : le levier « maîtrise des coûts et des charges » et le levier « simplification du travail ». Donc il faut dire aux agriculteurs qu’ils vont gagner plus d’argent parce qu’ils vont dépenser moins et qu’ils vont gagner plus de temps.

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« Il faut reconnecter le monde rural et les citoyens. Montrer que l’agriculture, ce n’est pas forcément ce qu’on voit dans les salons, où les vaches sont chaque année plus grosses. » © E. Baradat/POLLINIS

Questions économiques

Votre ferme est-elle viable économiquement ?

Oui.

Et vous parvenez à dégager un revenu ?

Oui, un revenu décent, pas autant que je voudrais bien sûr mais ça commence à être sympa.

Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui travaillent sur la ferme ?

Non. Je suis tout seul.

Avez-vous encore des emprunts à rembourser ?

Plus beaucoup. En fait, j’étais à 27 000 euros quasiment d’emprunt et en 2018, j’en ai 17 000 qui sautent. Donc là, ça commence à sentir pas trop mal.

Touchez-vous des aides financières et, si oui, à quelle hauteur ?

Oui, les aides de la PACPolitique agricole commune.. Ces deux dernières années sont un peu des années de transition parce qu’il y a des histoires de primes à la conversion. Sur un rythme de croisière, ce serait une trentaine de milliers d’euros d’aides par an.

Cela représente quoi, par rapport à votre chiffre d’affaires ? 

Si je me base sur l’année 2015, par exemple, cela représente un tiers du chiffre d’affaires.

Et vous avez des aides sur la partie « haies » ?

Non, pas spécialement. Parce que, comme on est en agriculture biologique, on n’est pas soumis aux règles de surfaces d’intérêt écologique (SIE). En fait, même en agriculture conventionnelle, il n’y a pas d’aides spécifiques aux haies ; c’est juste qu’il y a une SIE à respecter et que vous n’avez pas de pénalités si vous n’y touchez pas, nuance. Par contre, en bio, on n’est pas soumis à ça.

Combien d’heures par semaine travaillez-vous ?

Sur la ferme, une trentaine. Si je compte la com, les réseaux sociaux et les rendez-vous, on monte à 90.

Si vous deviez évaluer la pénibilité de votre travail, sur une échelle de 0 à 10 ?

Sur la ferme : 2, parce qu’il y a quand même des moments chiants où cela donne envie de tout brûler. Mais c’est très rare, heureusement.

Êtes-vous satisfait de votre rendement ?

Non. Avant, oui mais depuis la bio, non parce que je voudrais arriver à faire des rendements d’agriculture conventionnelle en bio et en semis direct. Les mêmes que les ceux que j’avais avant, mais avec un objectif « sans phyto, sans engrais ».

Et est-ce que pour vous, le « rendement » est un indicateur vraiment pertinent ?

Non. Je dirais même que ça n’a aucun d’intérêt comme indicateur. Le seul indicateur qui est important, c’est la marge nette par culture. Est-ce que pour produire tant de litres de lait, on a besoin d’une ensileuse, de 4 tracteurs, d’un bol mélangeur, d’une salle de traite… Ou est-ce qu’on a des normandes qui sont en pâturage dynamique et une salle de traite mobile entre les paddocks ? J’exagère un peu mais je suis sûr que le mec qui a quarante normandes avec une salle de traite entre les paddocks, il gagne 10 fois plus d’argent que le mec qui s’est engagé dans des investissements super lourds.

Êtes-vous satisfait de la rémunération de vos productions ?

Dans quel sens ? Dans le sens « marge nette de chaque production » ?

On a laissé la question ouverte.

Alors oui. Là je suis assez satisfait.

Quelques questions très subjectives sur votre bien-être au travail. Pouvez-vous évaluer votre bonheur brut sur une échelle de 0 à 10 ?

8.

Quels sont, pour vous, les facteurs de bonheur, en rapport avec votre travail ?

Disons que mon travail m’épanouit énormément, mais comme je suis très pris entre le boulot et la vie de famille, ce qui me manque, c’est du temps à passer avec mes potes. Sinon c’est cool ; ça se passe bien avec les voisins, ça se passe bien sur la ferme. Je fais ce que je veux, quand je veux et comme je veux. Je suis libre ; c’est ça surtout. Je ne dois plus rien à personne. Je ne dépends plus de personne.

Et si vous deviez donner une note de satisfaction par rapport à votre projet rêvé, par exemple, sur une échelle de 0 à 10 ?

7 ou 5 parce que mon projet rêvé, c’est un objectif et qu’il n’est pas encore atteint. Il faut que j’aie un salarié et demi sur la ferme, que je passe moins de 10 heures sur la ferme à bosser mais que cela me fasse un certain salaire quand même. À côté, je voudrais passer plus de temps à partager, échanger avec d’autres agriculteurs même si plus ça va, plus ça m’embête de bouger. Il faudrait que j’arrive à travailler de plus en plus en visioconférence pour l’accompagnement à distance. Je voudrais arriver là à 40 ans, mais pour l’instant, je n’y suis pas encore.

Quelle importance, sur une échelle de 0 à 10, attribuez-vous à la qualité des produits ?

Là, je dis « joker » parce que c’est très difficile à mesurer. Et comme je ne sais pas mesurer, je ne peux pas vraiment dire. J’imagine que la qualité nutritionnelle est meilleure dans la mesure où les sols fonctionnent, et donc sont vivants. Après, je n’ai pas moyen d’en dire plus.

Vous parliez tout à l’heure de la teneur protéique…

Oui, mais ça, c’est simple à mesurer. Et la teneur protéique, ça ne veut pas dire la qualité nutritionnelle.

Faites-vous de la transformation sur la ferme ?

Non, quasiment pas. Ce serait d’ailleurs tout l’intérêt du nouveau bâtiment que je souhaiterais construire. Cela ouvrirait la porte à plein de possibilités : mettre en place un partenariat avec un paysan boulanger, avec un porteur de projet pour faire de la malterie ou de la fabrication de chips de légumes… Tout ça me titille aussi.

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La ferme de Félix Noblia est désormais certifiée Agriculture biologique (AB).
© E. Baradat/POLLINIS

Le label bio

Quelle est la part de produits labellisés que vous avez ?

Je ne suis pas encore labellisé bioChangement depuis la réalisation de cet entretien : la ferme de Félix Noblia est désormais certifiée AB.. Pour l’instant, je suis intégré dans des filières locales qui développent leurs propres marques.

Du coup, vous n’avez pas encore de recul pour savoir si c’est un bon outil d’insertion commerciale et de valorisation économique derrière ?

En matière de valorisation économique, je prévois de ne pas me positionner sur un marché intermédiaire. Je veux me positionner sur de la très, très haute qualité, avec de la haute valeur ajoutée : faire du bœuf engraissé à l’herbe, pour de la très grande restauration, pas pour vendre à Charal.

Trouvez-vous que le cahier des charges AB est suffisant ?

Non, parce qu’ils sont en train de détricoter ça à l’échelle européenne. Or, il ne faut surtout pas laisser la capacité aux États membres de faire ce qu’ils veulent chez eux. Pour moi, il faut un label fort, européen, sur un marché très surveillé avec de véritables contrôles sur les produits dits « bio » qui viennent d’ailleurs. Si on détricote le bio, c’est fini. Le fait d’avoir un marché bio protégé permet de ne pas faire rentrer les règles du libéralisme dans l’agriculture biologique. Et tant qu’on peut protéger ça, il faut le faire.

Si vous deviez donner une note de satisfaction par rapport à ce label, de 0 à 10 ?

5. Il existe, il y a des contrôles mais il faudrait que ce soit pareil pour tout le monde. Quand on a des bananes de République dominicaine bio qui sont davantage traitées que les bananes conventionnelles en Guadeloupe, ce n’est pas normal. S’il n’y a pas d’obligation de moyens mais que de résultats, pratiquement tout peut passer en bio.

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« L’essentiel, pour moi, c’est de réussir à faire ce semis direct sous couvert bio en rotation. C’est mon Graal en fait, ça répond à tout, aux enjeux climat, alimentation… » © E. Baradat/POLLINIS

Les débouchés 

Décidez-vous du devenir de vos produits et maîtrisez-vous vos débouchés ?

Pas trop mal. Mais pas tout à fait. Pas autant que je le voudrais. Mais c’est en cours. Certes, c’est moi qui choisis où je les vends. Mais je ne les vends pas tout le temps au prix que j’aimerais, pour l’instant.

Mais sur les filières dans lesquelles vous vendez ?

Oui, là c’est calé. Sauf que c’était avant le passage en bio.

Et maintenant il y a tout le travail à refaire…

Je ne suis pas inquiet mais oui, c’est à refaire.

Pensez-vous que votre projet réponde à une demande citoyenne ?

Je pense que ce n’est pas trop mal parce qu’on voit que la société en a marre de l’agriculture qu’elle a… La méconnaissance fait qu’au final les gens s’éloignent de plus en plus du rapport à la terre et du rapport à l’agriculture. Et l’agriculture industrielle s’éloigne également du rapport à la terre… Donc on peut aller dans un sens meilleur mais, pour ça, il faut reconnecter le monde rural et les citoyens. Montrer que l’agriculture, ce n’est pas forcément ce qu’on voit dans les salons, où les vaches sont chaque année plus grosses.

Petit aparté à ce sujet : est-il possible de voir émerger des « contre-salons » qui permettraient de montrer autre chose ?

On en a fait un au Pays basque. C’est un salon qui s’appelle Lurrama où on reçoit un peu plus de 25 000 visiteurs par an sur trois jours. Ça se passe au mois de novembre et c’est le salon de l’agriculture paysanne, c’est une vraie vitrine pour les cultures paysannes. C’est un truc super avec plein d’animations. Il y a 750 bénévoles et 4 000 couverts qui sont servis !

Quel est le pourcentage de vente qui est destiné à une consommation de proximité (moins de 100 kilomètres) ?

Avant ma conversion bio, c’était 80 %. Maintenant, tout est à recréer, même si je pense que je vais probablement m’orienter vers Biocoop pour les cultures destinées à l’alimentation humaine. Celles destinées à l’alimentation animale partent « dans le système ». Donc là, je ne sais pas où ça arrive au final. Pour le blé, on a un boulanger pas loin qui se rapproche de ce que je fais en agriculture. C’est un vrai magicien de la boulangerie.

Il travaille avec des farines bio ?

Pour l’instant, il est salarié de son père. Mais il a les plus grands boulangers qui viennent chez lui pour se former. Donc il fait de la baguette et, à côté, il s’amuse dans son labo… Il crée lui-même ses propres levains.

Et pour la viande, quels sont vos débouchés ?

Pour la viande, là encore, tout part « dans le système ». J’ai fait un peu de vente directe mais j’ai arrêté. Et du coup, tout va à des négociants.

Vous avez arrêté parce que ça prenait beaucoup de temps ?

Oui. J’ai acheté du matos spécifique et on m’a demandé de faire de la prestation de service chez d’autres agriculteurs. Du coup, j’y bosse pour leur semer des trucs et ça me rapporte plus d’argent que de vendre mes vaches en direct. Et puis, je trouvais que la qualité ne justifiait pas qu’on la vende à un prix trop élevé.

Du coup, vous êtes naisseur-engraisseur ?

Oui. Naisseur plutôt qu’engraisseur d’ailleurs, car les vaches partent être engraissées ailleurs, notamment en ItalieChangement intervenu depuis la réalisation de cet entretien : depuis début 2019, Félix Noblia engraisse ses animaux à l’herbe.
. Après, c’est un petit troupeau que j’ai ; une cinquantaine de vaches.

Vous savez un peu dans quel type de circuit ça part après ?

Dans le circuit classique. Mais, encore une fois, ça va évoluer : l’idée est de passer sur un troupeau 100 % angus afin de virer la moitié des vaches et d’engraisser 100 % de mes animaux.

Vous avez un abattoir proche ?

40 ou 50 kilomètres, avec une coopérative d’agriculteurs bien structurée qui me permet de laisser la carcasse maturer 60 jours. Ce que j’aimerais faire, avec la coopérative d’agriculteurs, c’est qu’elle assure la distribution entre les restaurants selon mes instructions pour dispatcher. Il y a encore du boulot.

Concernant les intermédiaires que vous utilisez, ce sont donc les coopératives, les négociants et c’est à peu près tout ?

Oui, et après, il y a des trucs en direct aussi mais juste un peu. Je vends aussi beaucoup de choses à d’autres agriculteurs.

Souhaiteriez-vous être intégré à une filière de commerce équitable nord-nord, sur le modèle de ce que Biocoop développe actuellement ?

Ce n’est pas encore fait mais pourquoi pas. C’est possible. Tant que ce ne sont pas des réseaux qui me demandent des sous pour exister…

Avez-vous répondu à des commandes publiques ?

Non. La coopérative à laquelle j’adhère répond à des commandes publiques mais pas moi, personnellement. Sur la filière HerrikoDémarche collective regroupant agriculteurs et transformateurs du Pays basque., il y a du blé qui part en réponse aux commandes publiques.

Et c’est pour des cantines scolaires, des EhpadÉtablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, « maisons de retraite ». ?

Oui, Ehpad et cantines scolaires, c’est ça.

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« Au-delà de tout le débat actuel sur le glyphosate, je pense que ce qui devrait être mis en avant dans toutes les politiques publiques, c’est bien le non travail du sol. Je dirais même presque : interdire le travail du sol. En retournant la terre, on l’oxyde et, du coup, ça libère des nitrates qui ne sont plus disponibles pour les plantes mais vont contaminer les cours d’eau à la première pluie. » © E. Baradat/POLLINIS

La recherche 

Avez-vous déjà travaillé avec le monde de la recherche ?

Je vais commencer. Là, il y a l’InraInstitut national de la recherche agronomique. qui est venu faire des tests de présence de carabesColéoptères de grande taille chez moi, pour comparer avec le champ d’un voisin labouré en conventionnel. Je n’ai pas encore les résultats. Mais les gens de l’Inra de Toulouse m’ont dit qu’ils allaient envisager très sérieusement de monter un partenariat. Et après, je vais aussi démarrer un nouveau projet de modélisation participative des techniques de semis sous couverts en agriculture biologique. Cela se fera sous la forme d’un site internet dans lequel chaque institut, agriculteur ou organisme renseignera les essais qui sont faits, en fonction de plein de critères : température du sol, type de couvert, hauteur de biomasse… L’idée, c’est de faire du big data le plus vite possible, modéliser en fonction de la situation météo et des paramètres pédoclimatiques.

Et ça, c’est aussi avec l’Inra que vous travaillerez là-dessus ?

Oui, et l’IsaraInstitut supérieur d’agriculture Rhône-Alpes. aussi. Et j’aimerais bien que cela démarre aussi avec l’ItabInstitut technique de l’agriculture biologique. et la partie internationale du ministère de l’Agriculture. En fait, j’aimerais bien que cela soit porté par un institut de recherche français et financé par les Nations unies, par l’Union européenne, un truc vraiment international. Au final, il y a besoin de très peu. Il y a besoin d’une personne pour faire un site web, vérifier les infos qui sont renseignées et animer le site. Pour démarrer un truc comme ça, c’est moins de 50 000 euros… Cela pourrait avoir une portée conséquente. On peut y faire entrer aussi de l’agriculture vivrière, du maraîchage et de l’agriculture paysanne. Si on regarde les agriculteurs à travers le monde, on a l’impression qu’ils sont dans une situation différente de nous, mais en réalité, la plupart d’entre eux ont un smartphone et avec ça, tac tac, « j’ai fait telle culture, telle machin. Mon manioc, je le plante comme ci… ».

Avec ça, on peut faire une bombe. Mais il faut que cela démarre.

Et sur les choix que vous avez fait pour votre propre exploitation, pensez-vous que vous pourriez apporter quelque chose à la recherche ? 

L’essentiel, pour moi, c’est de réussir à faire ce semis direct sous couvert bio en rotation. C’est mon Graal en fait. Ça répond à tout, aux enjeux climat, alimentation… On produit des produits sains, on stocke du carbone, on préserve la biologie. Ça répond à tout sauf qu’on est en 2017 et les instituts de recherche n’ont même pas commencé à bosser dessus. C’est ça, le drame. Je pense qu’il faudrait mettre en place des partenariats avec des agriculteurs. Il faudrait différents types de partenariats, en fait : celui où l’organisme de recherche fait exclusivement de la mesure d’indicateurs et n’interfère pas dans les choix décisionnels, regarde juste comment ça se passe, et celui où c’est une co-construction entre les deux. Je pense qu’il faut les deux, mais il faut surtout que cela avance, et vite. Il y a beaucoup, beaucoup mieux et moins cher que de passer des heures à faire des paperasses pour justifier un programme de recherche.

Le réseau

Concernant le réseau de partage et d’entraide, est-ce que c’est plutôt famille, amis, voisins ou plutôt via des structures professionnelles ?

C’est plutôt via les réseaux sociaux. Après, c’est juste de l’accompagnement psychologique au quotidien ou hebdomadaire avec l’association qui me suit, plus que de l’accompagnement technique.

Qu’est-ce que c’est comme association ?

C’est une association alternative de développement de l’agriculture paysanne et durable, qui a été créée et qui porte en basque le nom de « chambre d’agriculture », même si ce n’est pas une chambre consulaire. C’est une association qui a 17 salariés et qui a deux entités territoriales distinctes dans le département des Pyrénées-Atlantiques : Béarn et Pays basque. Pour être honnête, c’est compliqué d’arriver à faire bosser tout le monde ensemble. C’est un peu la guerre. Mais la structure a émergé parce que la chambre consulaire appartenait à la FNSEAFédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. et qu’il n’y avait jamais rien qui se passait au Pays basque. Du coup, beaucoup d’agriculteurs ont dit « allez tous vous faire voir » et « on va créer notre association » qu’on a appelée chambre d’agriculture. Ça a fini en bazar énorme et depuis, c’est la guerre.

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Félix Noblia démarre un nouveau projet de modélisation participative des techniques de semis sous couverts en agriculture biologique. © E. Baradat/POLLINIS

 

Est-ce que vous êtes impliqué dans d’autres associations ?

De moins en moins, parce que je n’ai pas le temps.

Est-ce que vous appartenez à un syndicat ?

Non.

Est-ce que vous suivez des formations. Et si oui, avec qui ?

Avec des agronomes français genre Frédéric Thomas, Konrad Schreiber, Lucien Seguy, qui sont des pointures de l’agronomie. Mais maintenant, c’est plutôt de la formation collaborative dans laquelle j’apporte aussi.

Ils font vraiment partie d’un organisme identifiant ou c’est plutôt du cas par cas ?

Parmi les organismes, il y a un truc qui s’appelle l’IAD, l’Institut de l’agriculture durable, et ça, c’est plutôt le truc de Konrad. Frédéric Thomas, c’est la revue TCS (Techniques culturales simplifiées) et le réseau Base (Biodiversité, agriculture, sol et environnement). Il y a aussi l’Apad (Association pour la promotion d’une agriculture durable), qui a d’autres formateurs. Lucien Seguy est un ancien du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Ce n’est que du bouche-à-oreille, des connaissances, des échanges, et voilà.

Pour l’accès aux alternatives, que ce soit en termes de connaissances, de pratiques, d’accompagnement, est-ce que c’est facile ou pas ?

Bien sûr que non, c’est très compliqué.

Sur une échelle de 0 à 10, 10 étant le plus facile ?

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Et avez-vous les moyens adéquats pour mettre en place les alternatives, une fois que vous les connaissez ?

Non. C’est l’histoire de la communication. Je commence à faire une page Facebook, à mettre trois ou quatre photos… Et voilà, j’ai gagné le trophée de l’agroécologie. Et là, l’équipe de communication du ministère m’a dit : « ce serait bien que vous créiez une chaîne YouTube ; on va vous former, vous accompagner sur le début. Vous achetez tout le matos et, si ça suit politiquement et ça décolle bien, on pourra peut-être créer un partenariat ». Donc il y a des gens qui sont très, très volontaires pour faire et mettre en place des choses. Et, derrière, des politiques publiques beaucoup plus frileuses. Alors qu’on part tous dans un mur. C’est ça, le problème. Et je n’ai pas le temps de m’en occuper. Et puis cela crée des tensions. Monter une vidéo, ça prend une journée, pour 2 minutes et demie. Pour quelque chose de très moyen. Et puis il y en a qui sont systématiquement dans l’opposition, qui interviennent juste pour râler.

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Pour Félix Noblia, il est important de partir d’abord sur un système alimentaire et pas agricole, de garder en tête que l’agriculture produit d’abord des aliments pour les hommes et pas des denrées marchandes.
© E. Baradat/POLLINIS

L'avenir de l'agriculture

Pour vous, l’avenir de l’agriculture, c’est plutôt high-tech ou low-tech ?

Ni l’un, ni l’autre. Cela dépend ce qu’on considère par high-tech. Pour moi, c’est le génie végétal qui va gagner. Mais ce génie végétal sera accompagné d’un génie mécanique. On ne va pas retourner à l’agriculture d’autrefois, dans le sens où on a une mécanisation qui est arrivée. Cette mécanisation, on va s’en servir mais on va s’en servir bien. Pour favoriser le génie végétal.

Pour vous, quels sont les principaux défis que le système agricole de demain va devoir relever ?

Tout d’abord, partir sur un système alimentaire et pas agricole. C’est vraiment la base, c’est-à-dire qu’il faut qu’on garde en tête que l’agriculture produit d’abord des aliments pour les hommes et pas des denrées marchandes… On produit largement assez de nourriture pour nourrir trois fois le nombre d’habitants qu’il y a sur Terre, sauf qu’on choisit d’affamer une partie de la population pour maintenir les cours et les marchés. Donc, tant que les produits alimentaires ou agricoles seront soumis aux règles des marchés mondiaux et de la finance, et bien on ne pourra pas résoudre les problèmes de fond. Cela commence par là. Ensuite, il faut des politiques publiques qui visent à faire changer les choses à la fois avec de la carotte et du bâton, et qui visent aussi à maîtriser le foncier, parce que c’est quelque chose de très important. Quand on a des fermes de plus de 1 000 hectares, qu’est-ce qu’il se passe ? Ce n’est pas transmissible. Les enfants n’ont pas envie de reprendre ça et ce sont les Chinois qui rachètent. Et où va-t-on ?… Donc, il faut une limite à la taille par exploitation. Et il faut arrêter l’hémorragie du nombre d’agriculteurs. Peut-être qu’il faut redéfinir la territorialisation en disant : « Bon, et bien, dans certaines zones, tant pis, vous allez perdre un peu de productivité mais vous allez produire différemment en sortant »… Mais il faut que cela change. Il faut écrémer tous les parasites qui sont autour de l’agriculture. Il y a beaucoup trop de gens dans les chambres, dans les DDTMDirections départementales des territoires et de la mer.
 ou tous ces organismes déconnectés du terrain et des enjeux.

Pour vous, quels sont les principaux freins au changement ? 

C’est qu’on passe de plus en plus de temps à faire des normes et des règlementations, pour les vérifier et les contrôler, au lieu d’aider le système à changer, avec des choses qui seraient plus facilement vérifiables, contrôlables. Après la question, c’est : vers où veut-on aller ? Est-ce qu’on met des rustines ou est-ce qu’on change de modèle ? Est-ce qu’on continue à mettre 50 milliards d’euros par an juste pour rendre l’eau potable ou est-ce qu’on les met sur la table pour promouvoir une agriculture qui nous permettrait bientôt de boire l’eau de la rivière, comme ça ?… Parce qu’il faut bien comprendre que dès qu’on a un orage et qu’on a de la terre noire, ou marron, c’est de la terre agricole qui vient des champs, pas la terre de la forêt qui s’est barrée.

Et quels seraient les principaux leviers pour le changement ?

Comme c’est un enjeu de santé publique, moi, je serais carrément communiste sur ce truc-là : la terre n’a plus aucune valeur marchande, c’est terminé. Il faudrait qu’on attribue des droits à exploiter, des droits emphytéotiques qui seraient renouvelés quand l’exploitant s’arrête. Et avec ces droits à exploiter, des moyens de production qui seraient contrôlés. Donc plus d’élevages complètement débiles, hors sol. Il faut contrôler les moyens de production et mettre en place des quotas, fermer les marchés. On ne travaille plus les sols. En 20 ans, en récupérant 2 points de matière organique sur l’ensemble du territoire, avec l’obligation de faire des couverts et tout ça, on peut avoir 10 % de la surface qui va servir uniquement à produire des semences de couvert. Mais le reste, en pourcentages, va commencer à exploser en productivité. Derrière, quand on a des sols qui fonctionnent même avec de très faibles doses d’herbicides, on n’en a plus rien à faire car on a des produits qui ne sont plus pollués. Qu’est-ce qu’on en a à faire que l’agriculteur mette un litre ou un demi-litre de glyphosate avant de semer son blé s’il y a zéro résidu dans votre blé, si tout le glyphosate est dégradé dans le sol et qu’on trouve zéro résidu, au final ? Il n’y a que l’agriculteur qui prend des risques et les gens qui sont autour. Et ça, on ne peut pas le faire s’il n’y a pas à la fois un énorme bâton et une carotte. Après, bien sûr, ce sera la guerre, mais il faut trouver les moyens de faire passer un truc comme ça.

Ce serait presque un enjeu politique de campagne présidentielle. Mais je doute que les agriculteurs eux-mêmes soient conscients de cet enjeu. Quand on voit par exemple sur l’écotaxe, les agriculteurs bretons qui sont allés se battre contre un truc qui était censé les protéger… Il y en a un qui a perdu son œil, l’autre qui a perdu sa main sur les autoroutes à faire les cons, à aller démonter les portiques, tout ça parce que les grands patrons de l’industrie bretonne ont réussi, avec la FNSEA, à les envoyer se battre… Il y a vraiment un souci.