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Restaurer les paysages

Terres de pollinisateurs : rencontre avec
Jean Lefaucheux des vergers de Mothois

Après une carrière dans le secteur pétrolier, Jean Lefaucheux change de cap et reprend la ferme familiale de 120 ha. Installé en pays de Bray, il cultive pommes à cidre et pommes de table. Ses moutons s'ébattent en extérieur toute l'année, un modèle inspiré des Highlands en Ecosse. Un exemple réussi d'association culture-élevage.

Date : 9 mars 2020

Jean Lefaucheux a planté de nombreuses haies lors de son installation, pour créer des réservoirs à insectes et protéger les vergers. Avec 15 variétés de pommiers différentes, et des haies avec diverses essences (saules, sureau…), la floraison et la récolte sont étalées sur l’année, ainsi que les ressources mises à disposition des pollinisateurs. L’agriculteur atteint presque les 100 % d’autonomie alimentaire pour les moutons, grâce au pâturage, au foin et à l’herbe, et complète cette ration par quelques betteraves qu’il achète localement, chez un voisin agriculteur.

Les vergers de Mothois

Jean Lefaucheux est salarié permanent, et son épouse, Marie-Hélène, est officiellement à mi-temps mais occupée quasiment à plein temps.
© P. Besnard/POLLINIS

Pour limiter la pression des maladies comme la tavelure et la carpocapse, Jean Lefaucheux choisit des variétés résistantes et veille à l’espacement de ses pommiers. Il observe avec attention l’état de ses arbres et la santé de ses animaux, surveille la présence d’insectes ravageurs, et a parfois recours au biocontrôle, avec des pièges à phéromones.

Entretien réalisé pour POLLINIS en janvier 2018 par Lorine Azoulai, ingénieure spécialisée en sciences-politiques et alimentation durable, et Matthieu Lacour-Veyranne, ingénieur agronome.

L'installation

Comment vous êtes-vous installé dans cette ferme ?

Mes parents étaient agriculteurs ici. C’était une ferme familiale, ça facilite les choses pour une installation. Mais à l’origine, je ne voulais pas être agriculteur… Mon rêve de gamin c’était d’être inventeur. Ensuite j’ai fait des études d’ingénieur en mécanique et je suis parti travailler dans la prospection pétrolière au Moyen-Orient pendant 2 ans. Quand je suis revenu, il y avait une crise de l’emploi dans ce secteur, et je me suis intéressé à la ferme. Mon père s’était lancé dans la culture de la pomme à cidre à l’époque, mais il avait des problèmes de santé. Mes frères et sœurs, qui avaient envisagé plus jeunes de reprendre l’exploitation, étaient finalement partis dans des secteurs complètement différents. J’avais la possibilité de m’installer ici et voilà, je me suis lancé. C’était lié à un changement de vie complet, avec un mariage, une envie de voir les choses différemment…

À quoi ressemblait la ferme quand vous vous êtes installés ?

Mon père avait déjà planté ses premiers vergers de pommes à cidre, et, pour le reste, il était en grandes cultures et élevage ovin. L’élevage ovin, cela remonte à la génération d’avant : mes grands-parents étaient agriculteurs ici, il y a toujours eu des moutons. Quand je me suis installé en 1995 en association avec mon père, on a planté de nouveaux vergers, on s’est spécialisé dans la pomme. Puis mon père s’est retiré progressivement de l’entreprise et maintenant je travaille sans lui, avec mon épouse, un salarié et des saisonniers.

Jean Lefaucheux a repris la ferme familiale en pays de Bray en 1995. © P. Besnard/POLLINIS

L'évolution de la ferme

Pouvez-vous décrire la ferme aujourd’hui ?

On a 55 hectares de pommes à cidre et 65 hectares de prairies, donc un total de 120 hectares. Ce sont deux activités très complémentaires au niveau des chantiers sur l’année. Le troupeau d’ovins est géré en extensif avec pâturage pour produire des agneaux de boucherie, avec une coopérative. Les bêtes sont dehors toute l’année, il n’y a pas de bergerie. Et pour la partie « pommes », il y a un hectare de pommes de table, que gère mon épouse, et le reste, ce sont des pommes à cidre. Il y a une quinzaine de variétés différentes et on produit plus de 1 000 tonnes de pommes par an, ça part en camion depuis la ferme directement vers les cidreries.

Comment a évolué la partie « élevage » ?

Dans la génération de mes grands-parents, c’était un élevage texelRace ovine originaire de l’île de Texel aux Pays-Bas de sélection, avec vente de reproducteurs, concours agri ; il y a toutes les plaques dans la cour, elles sont toujours là ! Mon père a été très marqué par son stage en Ecosse où il a découvert l’élevage extensif dans les Highlands. Il a ensuite monté une ferme dans les Corbières avec un associé écossais quelques années après et puis ça n’a pas marché. Donc il s’est recentré ici. Le principe du pâturage extensif, avec les moutons dehors toute l’année, date de cette époque-là. A priori, on considère souvent qu’il ne faut pas laisser les moutons pâturer dans les vergers parce qu’ils bouffent les écorces. Ça me démangeait quand même d’essayer mais j’ai mis 10 ans à peu près à passer le pas. Maintenant, les moutons pâturent dans les vergers. Ils font le boulot de désherbage que je faisais avant, il n’y a plus besoin de broyer l’herbe. Ils éliminent les feuilles, ils participent à la diminution de maladies comme la tavelure, ils mangent les pommes qui tombent précocement et sont attaquées par le carpocapse, qui est un vers du fruit, donc ça limite aussi cette pression du « carpo ». Tout ça fait une synergie très intéressante entre les deux productions et, en plus, ça permet d’avoir un troupeau plus important mais une densité moins forte sur les pâtures, donc que des avantages.

Avez-vous d’autres productions sur la ferme ?

Il y a une centrale photovoltaïque sur un des bâtiments, qui me permet de vendre de l’électricité. Et un peu de miel produit à la ferme, que nous vendons sur place, avec les « pommes de tables ». On a tout pensé dès le départ pour faire uniquement de la vente directe ; 1 ha c’est la bonne dimension, pour ça. On a une chambre froide, qui permet à mon épouse de travailler dans de bonnes conditions sans se casser le dos : on a plus de 50 ans tous les deux…

Les vergers de Mothois

Jean et Marie-Hélène cultivent leurs pommes sur 55 hectares, dont 1 consacré à la culture de pommes de table, le reste étant dédié aux pommes à cidre.
© P. Besnard/POLLINIS

Les pommes

Quelles sont les variétés de pommes que vous cultivez ?

En-dehors des pommes de table, il y a trois groupes de variétés. Il y a les pommes à jus, qui sont en général les plus précoces ; les pommes acidulées et les douces-amères. Les acidulées et les douces-amères sont utilisées pour la fabrication du cidre, et les pommes à jus pour les jus de pommes, les pétillants type Champomy… Il y a 17 variétés en tout, ce qui permet des pollinisations croisées entre les variétés, parce que le pommier ne peut pas se polliniser lui-même. Et puis ça permet aussi d’étaler la récolte, qui dure de fin septembre à début décembre. Parce qu’il faut bien voir que cela prend du temps de ramasser les pommes ! On récolte à peu près 1 hectare en une journée. Donc quand il y a 55 hectares, ça commence à faire du chantier sur une longue durée.

Avez-vous dû changer de variétés pour le passage en bio ?

Effectivement, j’ai dû choisir les variétés les moins sensibles à la tavelure, au chancre. Mais c’était déjà le cas en raisonné. Ensuite, pour limiter la pression des maladies et des ravageurs, il faut choisir des variétés résistantes et planter moins dense, moins intensif.

Vos variétés sont-elles plutôt locales ?

Il y en a quelques-unes qui sont locales mais ce sont plus souvent des variétés bretonnes, c’est amusant : la Kermerrien, la Dous Moën, il y a aussi la Marie Ménard (c’est une normande), la Bisquet… Il y en a quelques-unes dont je ne connais pas vraiment l’origine mais qui n’ont pas été créées pour faire de la pomme à cidre et viennent de variétés anciennes. Pour les pommes à jus, ce sont des variétés hybrides, des pommes de table, spécifiques pour les jus. Là, il y a quelques arbres qui viennent de pépins, de croisements, qui donnent des choses intéressantes, qu’on greffe, qu’on surgreffe, pour multiplier les variétés, mais dans mon cas c’est quelque chose que je ne fais pas sur l’exploitation.

Où achetez-vous vos pieds?

Quand on fait des plantations sur plusieurs hectares à la fois, il faut de grosses pépinières. Il y en a deux avec qui on travaille, qui sont les pépinières Vallois et Ogereau.

Les moutons

Quelles sont les races présentes dans l’élevage ?

C’est un croisement à partir de 2 races de plein air : texel et suffolk. Suffolk, c’est une espèce anglaise ; texel, c’est une île hollandaise, je crois. Voilà pour l’origine mais ce sont des espèces qui sont élevées ici depuis très longtemps. La texel, ce sont mes grands-parents qui en faisaient la sélection. En race locale, il y a l’Île-de-France, que tout le monde connait. C’est une race de bergerie ; c’était un peu plus le système dominant historiquement, il y avait peu d’élevage de plein air dans le Nord de la France. Et puis après il y a aussi les espèces du Sud, où il y a une tradition d’élevage ovin et de pastoralisme beaucoup mieux implantée.

Et pour la reproduction ?

J’achète des béliers de race pure, et ensuite je fais des croisements. C’est à dire que dans mon troupeau, j’ai des bêtes qui sont toutes croisées, mais plutôt typées texel ou suffolk. Et tous les ans à l’automne, à la mise au bélier, je mets le bélier texel avec les brebis typées suffolk pour entretenir le croisement et assurer une homogénéité dans le troupeau, éviter la consanguinité… Donc ça se fait par lot, les saillies. Dans la traçabilité, c’est pas « telle brebis a été saillie par tel bélier », c’est « tel groupe de brebis a été sailli par tel groupe de béliers » en fonction de leur race. Donc c’est très simple aussi comme gestion : pendant que je récolte mes pommes, ils sont tranquillement dans les herbages, on met le bélier au 1er octobre et l’agnelage est fin février.

L’alimentation des moutons, c’est 100 % pâturé ou il y a des compléments ?

Je produis du foin et je fais l’enrubannage d’herbe sur l’exploitation. J’achète aussi des betteraves à un voisin à qui mon père achetait déjà. C’est un très bon aliment surtout pour les brebis en lactation. Bien sûr, ce n’est pas indispensable, je pourrais aussi avoir un peu moins de moutons, plus de parcelles pour le foin, et ne faire que du foin et de l’enrubannage, ça pourrait marcher. Mais la betterave est intéressante et ça me permet de démarrer les agneaux au printemps. Je commence en janvier, et jusqu’au mois d’avril. Normalement c’est moitié betterave, moitié enrubannage. Tous les quinze jours, je vais chercher une remorque de betteraves, et j’en distribue à peu près une tonne par jour.

Les moutons pâturent dans les vergers. Ils éliminent les feuilles, ils participent à la diminution de maladies comme la tavelure. Tout ça fait une synergie très intéressante entre les deux productions. © P. Besnard/POLLINIS

Surveiller les pressions

Comment veillez-vous à la « bonne santé » de vos pommes et de vos bêtes ? 

Il faut être présent dans ses vergers, pareil pour le troupeau. Je le visite tous les jours, et j’observe « tiens, celle-ci est boiteuse, celle-là traîne dans le troupeau », je repère les problèmes. Pareil pour les vergers : j’y passe au moins une fois par semaine. Pour les ravageurs et les maladies, là, je pratique des comptages, je mets en place des pièges, avec des phéromones pour le carpocapse, par exemple. Cela me permet d’estimer la pression du ravageur et, s’il y a besoin d’intervenir, de calculer la date à laquelle c’est le plus intéressant et d’utiliser le produit à bon escient.

Pour la tavelure, j’utilise un réseau qui s’appelle RIMpro, qui permet de gérer les maladies à partir des prévisions météo, d’observations en labo qui sont croisées pour ensuite recevoir de l’info. Cela me permet de décider d’un traitement préventif ou curatif, avec des produits homologués bio.

C’est un service payant ?

On travaille en groupe par l’intermédiaire de la coopérative et d’un CETAComité d’études et de techniques agricoles. On finance un technicien qui nous conseille sur la lutte phytosanitaire pour la protection des vergers, et c’est par ce CETA qu’on a mis en place la station météo. La coopérative a monté une organisation de production avec un financement collectif. Donc je n’ai pas de facture liée au réseau RIMpro, c’est ma coopérative qui le prend en charge.

Utilisez-vous des PNPPPréparations naturelles peu préoccupantes ?

Oui. Dans le catalogue des produits homologués bio en fongicides, c’est essentiellement basé sur le cuivre et le soufre, qui sont très polyvalents, ont une rémanence limitée et aussi des doses d’utilisation limitées. Je crois que la limite légale pour le cuivre, c’est 5 kg par an et par hectare. Dans mon cas, je suis très en dessous mais voilà, ce sont des produits qui ne sont pas inoffensifs non plus. Donc s’il y a une année à forte pression, on en met un peu plus et l’année suivante un peu moins ; il faut regarder la moyenne sur plusieurs années. L’un dans l’autre, je dois être à 2 ou 3 kg par an et par hectare.

Au niveau des insecticides, il y a des plantes comme le pyrèthre, bio, homologuées, mais qui sont à utiliser avec précaution car elles peuvent être toxiques pour la faune auxiliaire. Et on a des insecticides spécifiques comme la carpovirusine, qui est biologique dans son fonctionnement : c’est un produit vivant, qui contient le virus de la granulose et qui perturbe la reproduction du carpocapse. Donc c’est vraiment spécifique à l’espèce et on est certain de ne pas toucher d’autres espèces.

Ces traitements sont-ils préventifs ou curatifs ?

En bio, on n’a presque que du préventif. En curatif, il n’existe pas de produits bio connus efficaces. Il y a bien la bouillie sulfocalcique qui serait très intéressante pour la bio mais qui n’est pas encore homologuée. C’est à base de soufre et de calcium. Cela aurait une efficacité en curatif sur la tavelure par exemple. C’est un produit qui est aussi utilisé pour l’éclaircissage par exemple : quand il y a trop de fleurs, il faut limiter la fécondation des fleurs sinon ça peut être une cata. Une surproduction de fruits ; ça abîme les arbres et ça induit une alternance difficile à gérer ensuite. Donc ça c’est un produit intéressant mais c’est un produit qu’on peut utiliser uniquement par dérogation. On essaye d’obtenir l’homologation permanente du produit mais pour l’instant, c’est une dérogation à renouveler tous les ans…

Et pour les moutons ? 

On utilise des produits classiques du commerce. L’élevage ovin n’est pas en bio. J’en suis pourtant très proche, mais le marché n’est pas demandeur. Donc si je n’ai pas de débouchés pour ça, je n’aurais que les contraintes sans la valeur ajoutée. Mais si je le voulais vraiment, j’aurais très peu de choses à changer dans mon système pour être en bio. Il faudrait juste que j’achète des betteraves bio à des voisins et, pour le reste, les produits que j’utilise sont autorisés en bio à condition de pas faire plus de trois traitements par an sur un animal et je suis déjà dans les clous.

Les vergers de Mothois

Les races présentes dans l’élevage sont un croisement à partir de 2 races de plein air : texel et suffolk.
© P. Besnard/POLLINIS

Infrastructures agro-écologiques

Quelles sont les IAEInfrastructures agroécologiques que l’on trouve sur la ferme ?

Haies, bosquets, pré-vergersAssociation d’arbre fruitiers de haute tige et de prairie., prairies extensives, bandes enherbéesBandes végétales permanentes établies en bordure d’un champ ou d’un cours d’eau.… Tout est enherbé sur l’exploitation.

Avez-vous des jachères fleuriesPartie non cultivée, composée de fleurs annuelles. ?

Pas de zones fleuries particulièrement mais j’aimerais bien, pour les abeilles. J’ai une parcelle où je pense planter un jour de la phacélie, des plantes mellifères en été. Parce que c’est là qu’il y a un problème, quand il fait un peu sec, en été.

Des haies, en revanche, j’en ai pas mal plantées, parce que quand je suis arrivé, j’avais déjà le souci de l’environnement et la volonté de créer pour les vergers des réservoirs à entomofauneEnsemble des insectes propres à un milieu donné. pour la faune auxiliairePar opposition aux espèces dites « nuisibles », la faune auxiliaire désigne l’ensemble des animaux dont la présence concourt au bon déroulement des activités agricoles. . Avec les conseils de notre technicien, j’ai implanté des haies autour des vergers, avec des réservoirs à coccinelles qui sont prêtes à intervenir sur les pucerons par exemple.

Quelle est la taille moyenne des parcelles ? 

La taille des parcelles, c’est une dizaine d’hectares en moyenne sur l’exploitation. Et donc il y a des clôtures, beaucoup de clôtures à moutons. Dans le verger aussi : quand on a systématisé le pâturage dans les vergers, on a implanté 4 kilomètres de clôtures pour les pâturages. Les haies sont le long des clôtures, en limite des parcelles. Mais implanter une haie quand il y a de l’élevage, ce n’est pas évident ! Les bêtes – et spécialement les moutons – adorent les arbustes, donc il faut bien  les protéger.

La disparition du bocage

Comment évolue le paysage dans cette région ?

Sur la commune, vous êtes venus par Gournay, mais si vous étiez venus par l’autre côté, vous auriez vu qu’il y a vraiment deux parties ; une partie complètement cultivée, et quand on arrive vers ici, c’est du bocage. Et là on voit vraiment bien la différence. Un peu partout, le bocage a tendance à se restreindre autour des habitations et des surfaces agricoles. Il y a de moins en moins de prairies, c’est cultivé partout. Ce n’est pas ma façon de voir l’agriculture mais quand on fait du blé ou du maïs, les haies sont plutôt une gêne qu’autre chose. Celles que j’ai en bordure d’exploitation, mes voisins qui cultivent de l’autre côté n’aiment pas trop. Il y a même une vraie hostilité de mes voisins qui passent le pulvérisateur pour essayer de les faire crever. C’est vrai aussi pour les chemins communaux où l’on enlève toutes les haies en bordure, et les charrues  vont de plus en plus près pour grapiller un peu de terrain…

Les vergers de Mothois
Grâce aux 17 variétés de pommes, la récolte dure de fin septembre à début décembre. © P. Besnard/POLLINIS

Gestion de l’eau

Avez-vous fait des analyses de l’eau ?

Non. Au niveau de l’eau, il y a eu un net progrès, on a refait tout le réseau d’assainissement de la commune il y a une quinzaine d’années. C’était pas le tout-à-l’égout, c’était le tout-à-la-rivière ! Bon après la qualité des eaux s’est améliorée, d’autant que le forage de Songeon, à 10 kilomètres d’ici, qui était utilisé comme source pour le système de distribution d’eau public, a été abandonné car il était contaminé par l’atrazine.

Et pour l’irrigation ?

J’ai un forage et un système de goutte à goutte sur 20 hectares de vergers, sur les parcelles les plus séchantes.

Le goutte à goutte, c’est faible en quantité de pompage. Au niveau qualitatif, comme je n’ai pas d’animaux dans des bergeries, je n’ai pas de problème de retraitement d’eaux usées. Je lave les pommes à cidres avant de les charger dans les camions, et l’eau usée de lavage est stockée, pompée et épandue avec une tonne à lisier dans les vergers et les cultures, ça ne part pas à la rivière. Donc c’est une façon de protéger, oui.

Gestion des sols

Faites-vous une analyse des sols ?

Je la fais parfois, mais de moins en moins. Cette année, je sais qu’il faut que j’en fasse une pour avoir une idée, mais j’avoue que je regarde plus l’activité biologique que la teneur en éléments fertilisants.

Y a-t-il eu une évolution ?

Non, je ne vois pas trop d’évolution. On a des sols sains dans le sens où il y a pas mal de matière organique, ce ne sont pas des sols dégradés, il y a partout une activité biologique intéressante, on voit les vers de terre qui bossent. Du temps où je désherbais sous les pommiers, les sols étaient plaqués, damés, c’était des endroits où ça pouvait se dégrader. Mais là avec l’enherbement total, je n’ai plus ce souci.

Utilisez-vous des engrais ?

Alors dans les vergers, il faut apporter entre 50 et 100 unités d’azote par an. Là, je l’apporte sous forme de fiente de poules homologuée bio, qui amène 80 unités d’azote à l’hectare, en sachant que la fiente de poule titre à peu près à 4 % d’azote par tonne, donc ça fait 2,5 tonnes par hectare. Mais ce n’est pas que l’azote, il y a à peu près 3 % de potasse, phosphore, il y a de la magnésie…

Et les prairies ?

Et sur les prairies, zéro, rien.

Avez-vous des pratiques spécifiques pour préserver la vie des sols ?

Oui, l’enherbement et puis la présence d’arbres. L’idée, c’est de garder un maillage de haies. Le pâturage est en système tournant, avec fauchage des refusPlantes laissées par le bétail au terme du pâturage.. Fauchage qui n’est pas systématique, mais juste pour garder une qualité d’herbe adaptée au mouton qui ne pâture pas de la grande herbe. Ça peut avoir un impact sur les fleurs, de faucher trop souvent. On a beaucoup de trèfle dans les pâtures. On est en pays de Bray, une région de tradition herbagère, et avec la ligne de train Paris-Dieppe, c’est devenu le fournisseur de beurre de Paris. À 3 kilomètres d’ici, vous avez Ferrières-en-Bray, c’est le fief historique de Gervais. C’est là qu’a été inventé le petit-suisse !

Énergies et gestion des déchets

Quelle est votre dépendance aux énergies fossiles ?

Le jour où l’on vendra des tracteurs électriques, je serai candidat ! Mais en attendant,  je suis dépendant, ça c’est certain ! Je n’ai pas de gros tracteur ici, mais en conso de fioul je dois être entre 6 000 et 7 000 litres par an pour l’exploitation. Toute la récolte de pommes à cidre est mécanisée, ça, je ne pourrais pas me passer de gasoil à cette époque-là. Pour les moutons, j’apporte le fourrage tous les jours avec un tracteur. Et puis il y a le plastique même si, pour l’enrubannage, ça pourrait être remplacé par de la cellulose.

Utilisez-vous des énergies renouvelables ?

Oui, pour l’électricité. Il y a une installation photovoltaïque de 40 kW qui date de 2010, et une autre plus petite de 9 kW qui date de 2016. L’électricité, on en consomme pour la chambre froide qui reste branchée 24 h sur 24 mais consomme de façon intermittente. L’électricité est vendue à EDF à un tarif subventionné plus cher que le tarif de conso, surtout pour l’installation de 2010 où c’était 60 centimes du kW alors qu’on l’achetait 15 centimes à peu près. Donc ça part sur le réseau, et je rachète… C’est comme ça que ça a été pensé et ça a été efficace pour lancer le marché photovoltaïque. Pour l’installation de 2016, le tarif a été divisé par deux mais les panneaux ont coûté moitié moins cher. Ça reste équilibré et ça permet de développer la filière, donc ça a été plutôt réussi comme politique.

Quels déchets non recyclables génère l’activité de la ferme ?

Alors, en non recyclable, on a les enrubannages ; en poids ça doit être quelques centaines de kilos par an… Ensuite les emballages de produits phytos mais il y en a de moins en moins, je dirais que ça a été divisé par 4 ou 5. Ensuite les huiles de vidange et il n’y a pas grand chose d’autre. Pour les enrubannages, la coopérative les récupère et c’est recyclé, il y a une filière. Et tout ce que je jette, c’est recyclé, les bidons sont recyclés aussi, ils sont collectés par une coopérative avec laquelle je travaillais du temps où je cultivais du blé et du colza, sur des champs qui ont été convertis en prairies et vergers depuis.

Les vergers de Mothois

« On voit tout le panel des pollinisateurs. On voit notamment des mouches noires avec des grandes pattes, qui travaillent même quand il fait froid et que les abeilles ne bossent pas. Après, il y a des abeilles maçonnes, des bourdons, toute la panoplie… »
© P. Besnard/POLLINIS

La place des pollinisateurs

Quelle part de vos cultures dépend des pollinisateurs ?

100 %.

Et les pollinisateurs sauvages?

On fait du piégeage pour un insecte qui s’appelle l’hoplocampeHyménoptère dont les larves se nourrissent de fruits pendant la floraison. On voit se poser sur les fleurs tout le panel des pollinisateurs, comme des mouches noires avec de grandes pattes, qui travaillent même quand il fait froid et que les abeilles ne bossent pas. Après, il y a des abeilles maçonnes, des bourdons, toute la panoplie…

Avez-vous développé des pratiques particulières vis-à-vis de ces pollinisateurs ?

Oui : un rucher et des haies réservoirs pour la faune auxiliaire. Le rucher est constitué de 9 ruches, au centre de l’exploitation, ce qui permet d’avoir tous les vergers qui fleurissent sur un mois dans un rayon d’1 km. J’ai repris un rucher qui existait il y a 10 ans à peu près, et qui a été entièrement renouvelé l’année dernière, suite à la loque américaine que j’ai déclarée comme il faut à mon vétérinaire local, qui est venu constater et a ordonné la destruction du rucher. Et j’ai renouvelé moitié en abeille noire, moitié en buckfast.

Ces ruches vous demandent-elles une gestion particulière ? 

Je traite le varroa et c’est tout. Et je remplace la cire régulièrement.

Y a-t-il suffisamment de ressources florales pour assurer l’alimentation du rucher ?

Alors je fais gaffe en été, quand il fait très sec comme l’été dernier. Quand il fait très sec, il n’y a plus de fleurs nulle part. Le trèfle est gris, les prairies jaunissent, et les arbres font la gueule… Et puis même quand il y a des fleurs, si une plante souffre, elle s’arrête de produire du miellat. Malheureusement, l’abeille est dépendante de ça. Donc, l’été dernier, j’ai apporté du sirop après la récolte de début août pour que les abeilles refassent leurs réserves.

Messicoles et flore spontanée

Est-ce que les plantes messicolesPlantes présentes dans les cultures destinée à la moisson. et la flore spontanée sont gardées ?

Oui. Quand on installe un verger, on sème un mélange de trèfles et de graminées qui reste 2 ou 3 ans et après, c’est la flore de graminées locales, du pâturin, un mélange pérenne, donc je ne fais rien pour favoriser une fleur par rapport à une autre. En revanche, je lutte contre les orties et les chardons, que je passe à la faux, mais voilà, c’est tout.

À quelle période se fait la fauche ?

Alors pour le foin, c’est la floraison qui donne l’optimum de qualité. Malheureusement, pour les moutons, il faut un fourrage qui ne soit pas trop en tiges, plutôt en feuilles. Donc ça demande de faucher plutôt fin mai que mi-juin donc là, pas au bon moment pour les fleurs. Mais avant les foins, il y a toute la période des pissenlits par exemple, avec le trèfle qui refleurit après… Ce n’est pas 100 % de la floraison qu’on zigouille.

La floraison est étalée sur l’année ?

Oui, du fait de la variété d’espèces, ça s’étale. Le trèfle, s’il ne fait pas trop sec, il fleurit tout l’été, c’est bon. Mais dès qu’il y a un coup de sécheresse ou de canicule, ça grille. Là c’est plus compliqué… Ensuite, il y a du noisetier qui fleurit en février, du saule, du sureau qui fleurit en mai-juin. Ça c’est très bon pour les abeilles.

Et pour les prairies ?

Au départ, c’est un mélange. Les moutons pâturent assez ras du sol, donc au niveau fleurs, il y a du trèfle… Quand on a arrêté d’apporter de l’engrais et de l’azote, le trèfle est revenu et comme fixateur d’azote, c’est idéal et ça s’est rééquilibré, on n’a pas perdu d’utilité, de matière sèche à l’hectare. On ne retourne pas, on ne sème pas, ce n’est pas nécessaire. À la grande surprise des autres éleveurs ovins que je rencontre dans le pays de Bray, je n’ai jamais touché mes prairies et elles ne s’appauvrissent pas.

Les vergers de Mothois
La ferme dépend des aides de la PAC qui représentent environ 10 % du chiffre d’affaires. Les aides à la conversion bio permettent de faire face aux années creuses. © P. Besnard/POLLINIS

Indicateurs économiques

La ferme est-elle viable économiquement ?

Oui.

Combien de personnes y travaillent ? 

On est à un équivalent de 3 temps pleins. J’ai un salarié permanent, mon épouse est officiellement à mi-temps mais elle est occupée quasiment à plein temps, entre les pommes de table, la comptabilité et le reste. J’ai aussi deux à trois saisonniers  pendant l’automne, cela dépend de la quantité de pommes à récolter. Et puis il faut pouvoir réduire la voilure quand il y a un coup dur. J’avais deux saisonniers l’année dernière, je n’en ai plus qu’un à cause de l’épisode de gel, l’autre est parti de lui-même et je ne l’ai pas remplacé.

Employez-vous des stagiaires ?

Alors oui, pour l’agnelage. Ce n’est pas évident de fournir du travail intéressant pour les stagiaires quand ils veulent venir toute l’année pour l’apprentissage. Les moutons sont dehors, il n’y a rien à faire à part une visite par jour… Et puis le travail sur les vergers au printemps, ce sont surtout des traitements, sur lesquels les stagiaires ne peuvent pas intervenir. L’hiver, c’est la taille, c’est pas marrant comme boulot. Je n’ai vraiment pas une ferme facile pour recevoir des stagiaires. Par contre pour l’agnelage, l’année dernière, j’ai eu deux personnes venues d’horizons qui n’avaient rien à voir avec l’agriculture, et qui se reconvertissaient dans l’élevage. Ils ont passé 15 jours à me regarder travailler et à m’aider. Je crois que tout le monde en a profité, je suis toujours en contact avec eux ; il y en a un qui est installé, l’autre qui est toujours à la recherche d’une exploitation.

Êtes-vous satisfait de votre revenu?

On ne se plaint pas. On a élevé 3 enfants, on a financé leurs études supérieures mais par contre, on ne part pas en vacances aux sports d’hiver, on dépense très peu. On a de quoi s’occuper ici !

Êtes-vous autonomes financièrement ?

Je dépends des aides de la PAC. Ça, malheureusement, surtout en années creuses comme on a eu dernièrement, la part d’aides PAC prend de l’importance et on est soulagés d’avoir ça comme amortisseur. Sur un CA d’à peu près 300 000 euros, les aides PAC c’est 30 000 euros, soit 10 %. Mais la conversion bio change la donne : là, pendant 5 ans je touche 37 000 euros supplémentaires par an d’aides à la conversion. C’est spécifique aux vergers ; c’est 900 euros par ha et par an, sur 42 ha. Sans ça, j’avoue qu’avec l’épisode de gel qu’on a eu, ça aurait été très compliqué.

Combien d’heures travaillez-vous par semaine ? 

C’est très variable ! En moyenne, je dirais 8 h par jour. En période d’agnelage, c’est 7 jours sur 7 et entre 10h et 12h par jour.

Prenez-vous des congés?

Depuis que je n’ai plus de cultures, et que des moutons et des vergers, les mois de juillet et août sont les moins chargés. Mon salarié prend le mois d’août, et moi j’arrive à prendre 2 semaines au mois de juillet.

Quel est votre point de vue sur la pénibilité de votre travail ?

Ça reste très manuel quand même, ça oblige à bien réfléchir à l’organisation du travail une fois qu’on a passé les 50 ans. Mais je ne souffre pas de mon métier au niveau physique. Par contre je sais que Marie-Hélène a des problèmes de dos. Les pommes, c’est beaucoup de manutention, de gestes répétitifs. On envisage de continuer encore comme ça deux ans et puis on verra ensuite…

Que représentent la mécanisation et les achats d’intrants sur les coûts totaux ?

Je n’ai pas de chiffres à vous donner comme ça. En ovin c’est un tracteur, une faucheuse, une faneuse, c’est assez léger. Mais le matériel spécifique aux vergers est relativement important. Mon matériel de récolte est fabriqué sur place, grâce à  mes études d’ingénieur. La récolteuse, le secoueurConstitué d’une pince à commande hydraulique et animé d’un mouvement vibratoire, cet appareil permet de faire tomber les fruits et l’andaineur Machine agricole qui sert à mettre le foin ou la paille en rangées sont faits maison, donc je limite au maximum les coûts. Je fais beaucoup d’entretien moi-même, mais pour vous donner un chiffre, la mécanisation, ça doit être 30% des charges à peu près.

Y a t-il eu une diminution des charges liée à la conversion ?

Oui ! En mettant les moutons dans les vergers, j’ai diminué le nombre d’heures de tracteur et de faucheuse broyeuse pour l’entretien du verger, c’est une vraie économie. Je n’ai plus cette phase de désherbage sous les arbres et je réalise aussi une économie d’intrants. J’achète moins de phytos mais les phytos vergers sont chers. Par exemple, remplacer les engrais chimiques par de la fiente c’est un surcoût ! Et un surcoût en mécanisation aussi, parce qu’entre épandre 200 kg d’engrais chimiques ou 2.5 tonnes de fiente à l’épandeur par hectare, ce n’est pas pareil. C’est beaucoup plus long et coûteux. Les aides bio sont là pour compenser ces surcharges.

Êtes-vous satisfaits de votre rendement ?

Oui et non. J’ai un système en équilibre, une rentabilité avec la production que j’ai actuellement, sauf quand il gèle évidemment, comme l’année dernière. C’est une production risquée la pomme à cidre, il peut y avoir des accidents, des risques techniques. Par rapport à mes voisins, je suis en dessous au niveau production mais sur les rendements, ça devrait bien se passer. Au niveau engrais, j’ai cette solution des fientes qui fournit à peu près le même niveau de fertilisation sur le verger. En revanche, l’enherbement total crée une concurrence racinaire qui est pénalisante, surtout en année sèche.

Êtes-vous satisfait de la rémunération de vos productions ?

En conventionnel, en moutons : oui. On n’a pas à se plaindre par rapport à la viande bovine, on a un cours qui se maintient et il y a une bonne différenciation entre la viande française et le mouton d’importation, donc ça c’est très bien. Pour les pommes à cidre, c’est un prix fixé dans le contrat, donc on sait où on va. Par contre il y a des quotas qui sont en train de se mettre en place donc on va être limités dans la production, ça c’est économiquement pénalisant. Mais le bio va permettre de se dégager de cette contrainte de quotas. Là j’ai encore une dernière récolte en non bio, et après je serai libéré du quota.

Le rendement est-il un indicateur utile ?

Non, moi je pense plutôt marge. Le rendement le plus élevé n’est pas celui qui sera le plus rémunérateur, donc pour moi ce n’est pas un critère de performance. Dans le groupe, on fait des analyses de charges, et je sais que je suis très très bas en charges verger, notamment en charges de mécanisation, pression, traitements etc. J’ai des charges très inférieures à celles de mes voisins, donc je produis moins mais je sais que j’ai des marges supérieures ou au moins équivalentes. En élevage ovin, c’est encore plus amusant parce que les agneaux sont finis à l’herbe, donc je n’achète pas de concentrés, alors que tous mes collègues éleveurs dépensent beaucoup en aliments riches en protéines. Du coup, en marge brute, je suis toujours le mieux placé sans être le plus performant techniquement par rapport au nombre d’agneaux par brebis. C’est vraiment sur les charges que j’arrive à me démarquer.

Quels sont les autres critères de performance ?

En dehors de la marge, je dirais qu’il y a la satisfaction de l’éleveur. S’il passe son temps à gérer les problèmes, à courir après les maladies… Moi, je cherche un équilibre et une satisfaction par rapport à ce que je fais. Par exemple, quand j’avais des cultures de plein champ, du blé, du colza, je n’ai jamais aimé ça et j’avais des résultats nuls. Je montais sur mon tracteur pour aller pulvériser des insecticides, des fongicides, c’était vraiment quelque chose que je n’aimais pas. Et mes résultats étaient risibles : j’avais la production d’un bio en y mettant le prix du conventionnel !

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Pour les ovins, la ferme est 100 % label rouge. En pommes, Jean et Marie-Hélène vendent le label IGP (indication géographique protégée) et bientôt en bio.
© P. Besnard/POLLINIS

Satisfaction personnelle

Pouvez-vous évaluer votre bonheur sur une échelle de 1 à 10 ?

Alors là, de ce côté, je dirais 8. Ce qui vient un peu gâcher le tableau, c’est qu’on est très coincés sur l’exploitation, on a du mal à sortir. Il y a toujours un problème, surtout avec l’élevage. Ça limite les vacances et les sorties, il y a toujours une raison qui nous empêche de partir ! C’est le point noir mais sinon on aime notre métier.

Marie-Hélène : On s’occupe aussi de tout ce qui est extérieur. Avant, il y avait beaucoup de main d’oeuvre mais maintenant, tout coûte cher et on fait tout nous-mêmes. Donc en fait on bosse beaucoup, et en même temps, c’est aussi un plaisir, ici en plus c’est beau.

Jean : Oui, dès qu’il y a  un rayon de soleil, si on va se balader et faire un petit tour, c’est magnifique.

Marie-Hélène : C’est sûr que tout n’est pas magnifique tout le temps. L’hiver, voyez la grisaille, tout est gadoue, et encore on a de la chance par rapport à d’autres fermes parce qu’on a quand même de l’espace… Après, on a des conditions de vie où on fait ce qu’on veut !

Jean : En sachant qu’on ne peut pas faire grand chose ! On a la liberté mais on se met des chaines.

Marie-Hélène : Ce qui est difficile, c’est d’être en permanence sur son lieu de travail, et il n’y a qu’en partant qu’on peut déconnecter et oublier vraiment le boulot, les soucis… Mais j’ai travaillé 11 ans à Paris, et je sais ce que c’est les transports, les aléas avec des chefs plus ou moins agréables…  Ici, quand je travaille dans les vergers en hauteur, la vue est incroyable. Ça compense les jours où il fait froid, où il y a du vent et où il pleut. Là, c’est moins drôle.

Jean : On ne subit pas. Même si, bien sûr, on est soumis à la météo, à la pression de la floraison qui arrive, de l’agnelage, il faut être prêt au bon moment, ça ne pardonne pas…

Marie-Hélène :  Après, nous sommes un peu atypiques. Il y a des fermiers qui font cela depuis toujours, qui n’ont connu que ça, leurs parents n’ont connu que ça, alors que nous, on aime bien autre chose aussi. Certaines personnes sont tellement ancrées là-dedans, elles ne partent jamais – encore moins que nous –, elles mettent tout dans leur ferme, elles ont des maisons beaucoup plus sobres…

Les vergers de Mothois
Marie-Hélène : « Avant, il y avait beaucoup de main d’oeuvre mais maintenant, tout coûte cher et on fait tout nous-mêmes, donc en fait on bosse beaucoup. Mais en même temps, c’est aussi un plaisir, ici en plus c’est beau. » © P. Besnard/POLLINIS

Êtes-vous satisfait par rapport à votre projet ?

Oui. Oui parce que la vente de pommes de table, c’est un succès, c’est une voie de qualité, les gens sont super contents de venir à la ferme, il y a une relation avec les clients qui est chouette, c’est très satisfaisant.

Que faites-vous en transformation ?

On fait du cidre, pour la vente directe au magasin. On n’a pas le droit de vendre à des intermédiaires, c’est une clause de non concurrence du contrat avec la coopérative. Donc on produit 2000-2500 bouteilles à peu près pour la vente en magasin, du cidre fermier transformé sur place, et un peu de jus de pomme aussi, du vinaigre de cidre…

Labels et distribution

Êtes-vous affilié à des labels ?

Pour les ovins, c’est 100 % label rouge. Pour les pommes, je vends en label IGPIndication géographique protégée et bientôt en bio.

Êtes-vous satisfaits du label AB ?

Alors sur le label bio, on ne voit que du positif. L’engagement, c’est un engagement volontaire, j’adhère à 100 % sur le cahier des charges donc il n’y a pas de problème.

Où vendez-vous votre production ? 

Coopérative pour les ovins et les pommes à cidre et vente directe pour les pommes de table et les produits transformés. La vente directe, c’est entre 5 % et 10 % de notre chiffre d’affaire, ça dépend des années.

Quels sont les débouchés de la coopérative ?

C’est plutôt le nord de la France pour la viande comme pour le cidre, on ne boit pas beaucoup de cidre dans le sud.

Avez-vous une maîtrise sur ces débouchés ? 

Je suis actionnaire de la coopérative, c’est déjà pas mal, d’autant plus qu’elle ne fonctionne pas comme ces grandes coops qui ressemblent plutôt à des Lactalis… Moi c’est Agrial, une très grosse coopérative basse-normande, qui a racheté son concurrent, qui a racheté une cidrerie aux Etats-Unis, où ils font du vinaigre de cidre bio et ça marche du feu de dieu là-bas. C’est d’ailleurs en partie pour alimenter ce marché-là qu’Agrial nous a demandé de produire du bio, donc il y a de l’export en même temps. Alors qu’en France, le cidre a déjà une image « bio », le cidre bio ne se vend pas mieux que le cidre classique…

Les vergers de Mothois
Le pays de Bray, une région de tradition herbagère, où Jean Lefaucheux possède 120 hectares.© P. Besnard/POLLINIS

Réseau et communauté

Bénéficiez-vous d’un soutien de la part des acteurs du réseau pro ?

Le CETACentre d’études techniques agricoles, association créée et gérée par des exploitants, qui fournit une aide technique afin d’améliorer les pratiques et la production cidricole, et la Direction Départementale des Territoires quand on a un sinistre, la Chambre d’agriculture pas tellement.

Et pour le passage au bio?

C’est toujours le CETA, avec une personne qui est producteur bio et qui a les deux casquettes…

Et en dehors du réseau professionnel ?

Marie-Hélène : Nos enfants sont intéressés par ce qu’on fait, même s’ils n’ont pas envie de se lancer dans l’agriculture. Ils sont partis ailleurs, on verra bien.

Jean : Mes frères et soeurs qui ont baigné là-dedans jeunes n’ont pas particulièrement d’intérêt pour l’exploitation. Quant à mes parents, ils  n’interviennent plus ici.

Participez-vous à des programmes de recherche ?

Alors oui, avec le CETA cidricole, le groupe 30 000Collectif d’agriculteurs engagés dans une transition vers des systèmes à bas niveau d’utilisation de produits phytopharmaceutiques .
, je ne sais pas si vous en avez entendu parler. C’est sur le bio, ça commence par un diagnostic d’exploitation que j’ai fait avec notre technicien il n’y a pas très longtemps, sous forme d’un questionnaire informatique très chiffré, très codé. Et après on va se retrouver la semaine prochaine pour choisir une thématique sur laquelle on a envie de progresser par rapport au bio dans le cidre.

Organisez-vous des formations sur la ferme?

J’ai reçu deux personnes l’année dernière qui voulaient se lancer dans l’élevage de moutons, ce sont des échanges de coup de main contre un apprentissage sur le tas. On reçoit des stagiaires, oui, même si c’est pas très évident.

Et le tourisme?

Alors pour l’instant pas beaucoup mais on va développer ça, c’est notre prochain objectif. Nous allons essayer d’aménager un bâtiment en gîte, on propose depuis un an la location de vélos électriques. On tâte le terrain. Au magasin, nous avons distribué des flyers, il y a pas mal de gens qui nous ont dit « ha oui c’est bien », donc on espère les revoir au printemps. On propose aussi des visites d’exploitations mais pour l’instant, nous n’avons pas beaucoup de demandes.

Marie-Hélène : On ne fait pas vraiment de pub pour l’instant, on est assez pris, mais c’est vrai que quand on voit le gel, tout ça, on aurait envie d’avoir d’autres activités qui ne dépendent pas complètement de la météo.

Jean : Il y a du potentiel. Dans le projet de gîte, il y a deux logements à l’étage et une salle de réunion pour recevoir des groupes au rez-de-chaussée.

Les alternatives au conventionnel sont-elles accessibles dans votre région ?

Il y a des associations qui militent pour le bio comme Agriculture Biologique en Picardie. On en parle dans les campagnes, entre voisins, ça bouge. Et puis dans les coopératives aussi, il y a des filières qui se mettent en place. Bon, en ovin, chez moi, ça coince parce que je suis lié avec les bergers du nord-est qui commercialisent très bien ma viande, je n’ai pas envie de changer de filière. On est quasiment au niveau du prix du bio, donc je n’ai pas intérêt à changer. Il y a peu de scandales sanitaires sur le mouton, contrairement à la viande bovine, où le bio a du coup été mis en avant.

Les vergers de Mothois

Jean et Marie-Hélène Lefaucheux font du cidre pour la vente directe au magasin. Ils produisent à peu près 2000-2500 bouteilles, du cidre fermier transformé sur place, un peu de jus de pomme aussi et du vinaigre de cidre.
© P. Besnard/POLLINIS

L'agriculture de demain

Vous vous sentez plutôt high tech ou low tech ?

Un mélange des deux. Dans le verger, il y a de la high tech : le réseau tavelure, la station météo, le piégeage aux phéromones… Nous avons besoin de la technique. Pas forcément pour aller vers une production maximum mais pour les économies de charges. Le pâturage extensif par contre, c’est de la low tech et ça va dans le sens de l’optimisation des coûts de l’élevage.

Quels sont pour vous les principaux défis de l’agriculture ?

D’abord se désintensifier. Parce que là, on est trop intensif en production. Aussi regagner la confiance des consommateurs, je crois qu’il y a quand même un sacré problème d’image et de ressenti du consommateur par rapport à l’agriculture. L’autre défi, c’est d’être plus à l’aise dans nos métiers, qu’on puisse augmenter nos marges pour avoir plus facilement recours à la main d’oeuvre et se décharger d’une partie du travail. Si on retrouvait de la valeur ajoutée, on pourrait embaucher plus et diversifier. Aujourd’hui, dans nos secteurs, tous les jeunes qui ont la pêche, ils partent.

Quels leviers faut-il mettre en place pour relever ces défis ?

Déjà le prix. Par exemple, dans le lait, si on passait au dessus des fameux 340 € les mille litres, ça donnerait de l’oxygène aux éleveurs et ça donnerait envie aux enfants de s’installer, ça permettrait de se diversifier et de retrouver une dynamique. Là tout le monde tire la langue, et il y en a qui vont jusqu’au suicide, ce n’est pas un mythe. Il y a de la souffrance dans les campagnes. Moi je me sens un peu privilégié mais il y a des fermes où ça ne va pas bien.

Les vergers de Mothois
Selon Jean Lefaucheux, il y a une grande méconnaissance de l’agriculture de la part du grand public, il parle d’une rupture avec le monde citadin, une perte de contact. © P. Besnard/POLLINIS

Quels sont les freins au changement ?

En premier lieu l’organisation des marchés agricoles : il faut tout changer parce que là ça ne va pas. Tout part de là.

Les critiques citoyennes vis-à-vis de l’agriculture vous semblent-elles légitimes ?

Il y a une grande méconnaissance de l’agriculture de la part du grand public. Autrefois, les gens avaient passé leur jeunesse à la campagne, ou ils avaient un membre de leur famille dans une ferme ; ils savaient à peu près de quoi il s’agissait. Maintenant, il y a la télévision, les médias, les crises sanitaires… Cela génère une grande méfiance mais aussi une vraie curiosité, il n’y a qu’à voir le monde qui se déplace au Salon de l’agriculture. La vogue du tourisme à la campagne va aussi dans ce sens-là… Mais il reste quand même une rupture avec le monde citadin, une perte de contact. Je vois ça comme quelque chose de dommage dans la société.