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Restaurer les paysages

Terres de pollinisateurs : rencontre avec Jérôme Dehondt de la ferme des petits pas

Ex-officier dans la Marine, Jérôme Dehondt est devenu paysan en 2012, il s'inspire des principes de la permaculture. Sa ferme s’étend aujourd'hui sur une petite douzaine d’hectares dans la commune de Durtal, dans le Maine-et-Loire, des terres sur lesquelles poussent légumes, arbres fruitiers, baies et céréales.

Date : 9 mars 2020

Jérôme Dehondt « pioche » dans les outils de l’agroécologie L’agroécologie utilise les connaissances et les méthodes écologiques au service de l’agronomie., non seulement sur le plan des techniques agronomiques mais aussi pour donner à son projet une dimension humaine et sociale qui permet de l’intégrer au territoire. Son mot d’ordre : l’autonomie. Il ne dépend ni des intrants chimiques ni de la surmécanisation. La ferme s’appuie sur des sols et des écosystèmes « vivants » pour favoriser une régulation naturelle des pressions sur les plantes.

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Créée en 2012, la ferme de Jérôme Dehondt produit 60 espèces potagères et 200 variétés ainsi que des céréales, plantes aromatiques et médicinales, fruits, œufs…
© P. Besnard/POLLINIS

Toutes ses productions sont vendues en circuits courts – avec au maximum un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur – et surtout localement, grâce à la vente à la ferme et aux paniers de l’AMAP locale. Ce rapprochement avec les citoyens-consommateurs permet d’échanger sur les modes de production, de recréer du lien à la terre et aux aliments. Il génère aussi une reconnaissance pour le métier de paysan et une satisfaction du travail bien fait pour celui qui l’exerce.

Entretien réalisé en mars 2017 par Lorine Azoulai, ingénieure spécialisée en sciences-politiques et alimentation durable et Matthieu Lacour-Veyranne, ingénieur agronome, commandé par POLLINIS.

Les débuts

Comment a commencé votre parcours d’agriculteur ?

Par un engagement dans le mouvement des AMAP, il y a une dizaine d’années. Au début, c’était comme simple consommateur, et puis j’ai été amené à travailler sur les questions d’installation en tant que bénévole. Cela a donné lieu à la création d’une structure qui s’appelle Le champ des possibles. C’est un projet que j’ai porté au départ et, du coup, ça m’a donné envie de m’installer moi-même comme paysan.

Vous avez dû suivre une formation ?

Oui, je me suis formé à la permaculture d’abord, et puis j’ai passé un brevet professionnel d’exploitant agricole (BPREA). À cette occasion, j’ai fait mon stage à la ferme du Bec Hellouin puisqu’il était évident pour moi que j’allais chercher à appliquer les principes de la permaculture à ma ferme, en essayant tant que faire se peut de ne pas mécaniser mes pratiques. Attention : je n’ai rien contre la mécanique, en cinq ans de pratique j’ai déjà eu deux lumbagos donc je sais l’intérêt qu’il y a à mécaniser certaines étapes… Et puis dans une vie précédente, j’étais ingénieur mécanicien dans la Marine, ça marque ! Mais je veux juste que la mécanique soit utilisée à bon escient.

Comment s’est faite votre installation ?

Après avoir passé le BPREA, je me suis mis à chercher des terrains dans la région parce que ma femme est originaire du coin. On a trouvé ce terrain-ci et j’ai créé mon entreprise en 2012, ça va faire cinq ans au mois d’avril.

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La ferme s’appuie sur des sols et des écosystèmes « vivants » pour favoriser une régulation naturelle des pressions sur les plantes. Toutes ses productions sont vendues en circuits courts. © P. Besnard/POLLINIS

La permaculture

Pouvez-vous revenir sur votre rencontre avec la permaculture ?

Elle s’est faite via un stage d’initiation organisé par l’association Terre et humanisme. J’en étais reparti d’ailleurs en me disant que la permaculture, c’était très bien pour un jardin mais que ce n’était pas applicable à l’échelle d’une ferme. Et puis j’ai donc entendu parler de la ferme du Bec Hellouin, il y a sept ans environ. Je me suis rendu sur place avec ma femme et on s’est tout de suite liés d’amitié avec Charles et Perrine Charles et Perrine Hervé-Gruyer, créateurs de la ferme du Bec Hellouin, on a fait pas mal de choses ensemble et cela a renforcé mon intérêt pour la permaculture. Après, j’ai participé aussi à la création du réseau Maraîchage sol vivant, pour convaincre de ce qu’il était possible de faire. C’est avant tout un réseau de praticiens, essentiellement des maraîchers avec lesquels la dimension de recherche n’est pas négligeable. On a affaire à des gens qui ont un bon bagage scientifique, la plupart du temps, et qui expérimentent sur leur ferme. Ça tourne beaucoup autour des questions d’engrais verts, d’agroforesterie, de non-travail du sol…

Est-ce que ce terme de « permaculture » qualifie vraiment votre système de production ?

Bonne question, pas évident de répondre. Je parle plutôt d’agro-écologie, parce que je pioche dans toutes les techniques qui sont dans l’AE, et puis ce terme donne en plus une dimension d’insertion dans le territoire, une dimension sociale et humaine aussi. Dans le terme « permaculture », il y a une dimension éthique, mais elle m’est propre, c’est personnel, ce n’est pas un truc que je vais forcement afficher. Je commence aussi par dire que je suis en AB, parce que les gens connaissent et que je respecte le cahier des charges.

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Jérôme Dehondt a planté des jardins saisonniers : jardin des cultures d’été, jardin des cultures d’automne et jardin des cultures d’hiver, et installé des serres mobiles.
© P. Besnard/POLLINIS

Labels : rêve et réalité

Toutes vos productions sont labellisées AB ?

La certification, il faut d’abord regarder à quoi ça peut servir. Les œufs par exemple, ça ne me servirait à rien de les labelliser parce que mes clients en vente directe s’en fichent, ils le savent que mes œufs sont bio. Ce qui les intéresse, ce sont des œufs de ferme avant tout. Alors que la mention Nature et Progrès, dont je bénéficie sur tout ce qui est végétal, cela permet de souligner toutes les autres dimensions qui me manquent dans le label AB et qui reflètent les motivations initiales de mon implication dans le mouvement des AMAP, notamment toutes les dimensions sociétales, et pas seulement environnementales. Ça apporte aussi autre chose : la démarche participative. On ne s’appuie pas uniquement sur un organisme certificateur tiers, mais sur un « système participatif de garantie » : on réalise des enquêtes sur les fermes, avec à chaque fois au minimum un binôme avec un producteur et un consommateur – moi-même je suis enquêteur. On ne va pas juger, on va acter de certaines pratiques. C’est une démarche de progrès.

Vous n’êtes pas satisfait du label AB ?

Non. Soyons honnête : c’est intéressant sur le plan financier. Sur la valeur du label, sur la procédure de certification ; je suis beaucoup plus réservé. On n’a pas vraiment affaire à des spécialistes, il n’y a aucun aspect de conseil. Plus généralement, je pense qu’on ne peut pas uniquement se réfugier derrière des labels. Dans mon cas, l’AB c’était un minimum mais c’est juste une démarche administrative. La certification n’a qu’un intérêt limité, il faut regarder ce qu’il y a derrière. Le discours qui voudrait que les agriculteurs bio travaillent avec la nature, je ne suis pas du tout d’accord. Au mieux, ils ne travaillent pas contre mais cela ne me dit rien des actions qu’ils mènent pour favoriser la biodiversité. Pareil pour la santé des sols.

Et sur le cahier des charges AB ?

Il se détériore d’année en année, quasiment. Heureusement, pour l’instant, on arrive à garder le fait qu’il y ait un lien au sol, mais pour combien de temps encore ? Je connais trop les mécaniques institutionnelles qu’il y a derrière pour accorder toute ma confiance à un label. Enfin, ponctuellement, il y a bien sûr des contre-exemples, des choses intéressantes. Je pense notamment à l’Appellation d’origine protégée comme le Comté, où, derrière il y a non seulement un cahier des charges intéressant, mais aussi une démarche sociale et économique avec les fruitières qui est super. Mais, là encore, c’est trop souvent dévoyé. Quand je vois que les AOP du fromage se retrouvent pour la plupart trustées par Lactalis et compagnie…

Plus généralement, ce qu’il faut dénoncer fortement, c’est la légende dorée du consommateur averti, c’est le fait qu’à travers ce qu’on met dans nos petits paniers on va changer le monde. C’est faux ! Même quand on va dans un magasin Biocoop, on n’a pas le choix de ce qu’on achète, de ce qui a été mis dans les rayons.  D’un point de vue social, ça a moins d’impact que les AMAP, par exemple, ça ne change pas la donne.

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Jérôme Dehondt n’est pas satisfait du label AB. Selon lui, la certification n’a qu’un intérêt limité, il faut regarder ce qu’il y a derrière. © P. Besnard/POLLINIS

La vie de la ferme

Comment organisez-vous votre système de rotation ?

C’est très complexe. Là, nous avons six jardins, plus un autre en bas qui est expérimental. Sur ces six jardins, nous avons trois jardins avec des familles particulières, par exemple des courges, des pommes de terre. Ce sont plutôt des jardins saisonniers : jardin des cultures d’été, jardin des cultures d’automne et jardin des cultures d’hiver. Nous avons également maintenant des serres mobiles. Donc pour l’instant je suis encore sur un système de rotation, mais en étant convaincu par ailleurs qu’il ne faut pas faire de rotations systématiques. La rotation, c’est un outil parmi d’autres, pour gérer les ravageurs ou les maladies telluriques notamment. Mais en faisant cela, on se tire aussi une balle dans le pied parce qu’on ne retire pas les bénéfices de ce que vont développer les cultures au niveau de la vie du sol.
Ce sont des considérations un peu complexes sur le plan agronomique, sur la rhizodépositionInjections de carbone dans les plantes, directement dans le substrat, via les racines vivantes, sur des mécanismes qui ne sont pas forcément évidents. Pour moi, ce dogme de la rotation, je trouve ça complètement bidon. Il n’y a qu’à voir comment ça se passe dans une prairie ou une forêt, il n’y a pas de rotation et c’est hyper riche, il y a des mycorhizes, des bactéries, des champignons… Il y a toute une rhizosphère et ces symbioses-là, il y a toutes les chances qu’elles ne puissent pas se mettre en place quand on change la famille végétale. Bien sûr, c’est plus vrai encore quand on travaille le sol ou qu’on lui envoie des produits chimiques. Mais même quand ce n’est pas le cas, quand on fait des rotations systématiques et qu’on change de famille pour la culture suivante, ça modifie les équilibres et je ne pense pas que ce soit dans le bon sens.

Combien de variété cultivez-vous à la ferme ?

Juste en potagères, il y a 60 espèces et 200 variétés. Après il y a les céréales, les PAM Plantes aromatiques et médicinales, les fruits, les engrais verts…

Vous cultivez aussi des légumineuses ?

Oui. Cette année ce sont des fèveroles d’hiver essentiellement. Sinon après, du pois, du mange-tout, de la fève, du haricot, et, dans les engrais verts, on en retrouve d’autres comme le trèfle.

Faites-vous des associations de cultures ?

Oui, essentiellement dans les engrais verts. Mais moi, je suis maraîcher et il faut que je récolte, si tout est mélangé, ça peut compliquer la tâche… Néanmoins ça peut être intéressant d’avoir, par exemple, des carottes sur chaque côté et des échalotes au milieu, donc on fait quand même assez régulièrement des associations sur les planches de cultures, fèveroles d’hiver et blé d’hiver par exemple.

La diversité génétique est-elle importante ?

Très, mais sans dogme non plus. Je vais cultiver de temps en temps des hybrides parce que, par moment, j’ai une impasse sur le plan technique. Je pense notamment au chou-fleur, au brocoli etc. ça peut être intéressant pour moi dans le cadre de mon outil maraîcher d’avoir des hybrides, mais sinon, je travaille presque systématiquement avec plusieurs variétés de populations et une diversité importante.

Utilisez-vous des semences paysannes, des variétés ?

Ce qui m’intéresse, à terme, c’est de pouvoir produire mes propres semences à partir de semences paysannes. Mais quand j’en achète chez mes distributeurs, je n’ai aucune information sur leur provenance, je ne connais pas le gars qui a produit ça, c’est peut-être un paysan, c’est peut-être une grosse boite…

Et le réseau Semences paysannes ?

Oui, ça traduit au moins une volonté de faire ça sur le territoire. Je sais qu’il y a aussi des maisons de semences paysannes qui existent, en Midi-Pyrénées par exemple. Là-bas il y a eu cette volonté, et puis un acteur de la filière AB s’y est opposé parce qu’il voulait capter les subsides de la région pour développer son propre programme.  Et pourtant c’est un GIEE Groupement d’intérêt économique et environnemental, constitué d’agriculteurs bio… Donc le jour où ça se mettra en place, j’y participerai avec grand plaisir, mais je pense que d’ici là je produirai mes propres semences.

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À terme, Jérôme Dehondt souhaite produire ses propres semences à partir de semences paysannes.
© P. Besnard/POLLINIS

Quelles sont vos stratégies de lutte contre les ravageurs ?

Favoriser une biodiversité maximale, complexifier l’agroécosystème, donc faire en sorte que les régulations naturelles puissent se mettre en place. Après, ça ne m’empêche pas de faire de la prévention, la première protection étant de produire mes plants et d’avoir des plants en bonne santé. Et puis après, ponctuellement, d’avoir des actions de prophylaxie type filet anti-insectes, même si souvent il s’avère que c’est contre-productif parce que quand on piège le ravageur à l’intérieur, du coup, après, il n’y a plus de prédateurs, ce qui n’est pas terrible… Donc sur les choux, je pense que je vais arrêter de mettre des filets et puis les piérides se feront ainsi plus facilement phagocyter par des jeunes guêpes qui viendront pondre à l’intérieur, par exemple. Et puis très ponctuellement, contre les gastéropodes sur des jeunes plants, par exemple, je vais utiliser du Ferramol. C’est le seul produit de ce type que je me permets.

Avez-vous recours à des produits de biocontrôle ?

Non, là, pour moi, on est encore sur une démarche industrielle, l’idée étant de vendre des trucs, qui doivent être rachetés chaque année, aussi bien pour le biocontrôle des ravageurs que pour les services de pollinisation avec l’installation de ruches à bourdons. Moi, mes bourdons, ils viennent parce que je fais pousser de l’agastache anisée, un peu comme de la menthe, il y a des inflorescence Disposition des fleurs sur la tige d’une plante à fleurs superbes et très attirantes, il suffit que j’en mette à côté des melons et les bourdons viennent tous seuls.

Quelles pratiques mettez-vous en place pour favoriser les auxiliaires de culture ?

Premièrement le non travail du sol, ensuite la diversité végétale et, là-dedans, la flore spontanée trouve naturellement sa place. Cela suppose de mettre des arbres, de laisser pousser spontanément des fleurs…

Quels amendements Matériau apporté à un sol pour améliorer sa qualité agricole utilisez-vous pour les sols ?

Le paillage avec mes céréales, des engrais verts et un peu de compost végétal et de lombricompost. Après, la vraie problématique dans mon cas, pour l’atelier maraîchage, c’est le carbone, c’est ça qui va manquer. D’où l’utilisation de paillage. Après les autres amendements comme le lombricompost ou le compost végétal, ça va être un peu comme un levain, un truc qui va dynamiser le tout.

Avez-vous réalisé des tests de qualité de l’eau ?

Non, c’est l’eau de pluie qui est filtrée par la réserve etc… Je ne vais pas m’amuser à contrôler la qualité de l’eau en sachant qu’il y a une petite partie qui vient du forage à 16 mètres, mais je sais que l’essentiel vient de l’eau de pluie filtrée par le sol. Je ne suis pas spécialement inquiet là-dessus.

Et à l’échelle territoriale ?

Pas à ma connaissance. En revanche, je sais que la qualité de l’eau pose des problèmes, notamment pour l’eau potable, problèmes qui sont évidemment liés aux pesticides… Le jour où quelqu’un s’intéressera à ça particulièrement on verra…

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La ferme des petits pas emploie plutôt des techniques de mulch qui consistent à faire un couvert végétal, broyer et planter dedans, sur des sols vivants. © P. Besnard/POLLINIS

Comment réduisez-vous vos prélèvements en eau ?

Toujours pareil : d’abord le faible travail du sol. Ça permet d’améliorer la porosité et la capacité de stockage du sol, le paillage en limitant l’évapotranspiration. Par ailleurs, j’évite de trop arroser aussi, même si c’est une pratique assez facile pour avoir des légumes de bon calibre : on arrose beaucoup et on a des légumes qui sont gorgés de flotte après !

Connaissez-vous votre taux d’érosion ?

Non, pas du tout mais ça doit être proche de zéro. Je n’ai quasiment jamais de sols nus, sauf au moment de la mise en culture et au printemps, parce que le paillage, c’est trop humide et ça ne permet pas au sol de se réchauffer rapidement. Et puis ça attire énormément les gastéropodes à une période où ils ne demandent que ça. Donc voilà, sur l’année, il y a quand même un petit pourcentage de surfaces non couvertes.

Utilisez-vous aussi des techniques de semis sous couvertForme d’agriculture sans labour qui consiste à poser une couche de culture intermédiaire entre la récolte de la culture précédente et le semis de la suivante, sans intervention mécanique de travail du sol. pour limiter le travail du sol ?

Oui, on avait notamment lancé des essais avec les collègues sur le trèfle souterrain. C’est une variété de trèfle qui fait ses graines en plongeant la tête dans la terre, un peu comme la cacahuète, et qui a un développement assez faible, 15 centimètres grand max. Il va plonger son inflorescence dans la terre et la graine va ressortir. C’est moins envahissant que la plupart des trèfles, notamment parce que le développement foliaire est moins important. Et ça peut être très bien pour avoir une culture importante de poireaux d’hiver sans nuire à la culture elle-même. Mais en maraîchage, ce n’est vraiment pas évident, là où, en grandes céréales, les techniques sont plus développées maintenant. Donc, pour l’instant, je serais plutôt sur des techniques de mulch : faire un couvert végétal, broyer et puis planter dedans, sur des sols vivants.

Pouvez-vous estimer vos dépenses en énergies fossiles, sur une échelle de 1 à 10 ?

Je dirais 1, ça se limite au peu de carburant que je mets dans la débroussailleuse ou le motoculteur.

Avez-vous des déchets sur la ferme ?

Oui, du plastique mais ce n’est vraiment pas énorme, surtout depuis qu’on se passe des bâches à ensilage. Après ce seront les bâches des serres que j’aurai à remplacer, des sacs de terreau… Pour l’instant c’est à un niveau tellement bas que ça part avec les déchets de la maison. Et en complément on diminue les déchets à la maison.

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Jérôme Dehondt laisse s’exprimer la flore spontanée, les apiacées, qui vont pouvoir héberger les pollinisateurs tout au long de l’année, et leur fournir une source permanente de nourriture.
© P. Besnard/POLLINIS

Vivre avec les pollinisateurs et la faune auxiliaire

Sur une échelle de 1 à 10, quelle importance accordez-vous à la santé des pollinisateurs ?

Je dirais 8/10.

Comment prenez-vous en compte cet élément dans vos pratiques ?

Surtout en laissant s’exprimer la flore spontanée, les apiacées Plantes ombellifères qui vont pouvoir héberger les pollinisateurs tout au long de l’année, pour qu’ils aient toujours de quoi se nourrir. Le fait de laisser sortir des fleurs et des arbres spontanément – les soucis dans les serres par exemple – participe aussi à cette démarche. J’ai également fait des bandes fleuries qui, maintenant, se ressèment assez spontanément. J’ai pris des mélanges tout faits en vérifiant la composition, et là, j’ai un bon bouquin sur les plantes compagnes qui me permet de comprendre un peu qui va héberger quoi. Je travaille un peu plus précisément à avoir des choses qui fleurissent tout au long de l’année maintenant qu’il va y avoir une ruche.

Avez-vous déjà pu identifier des exemples de plantes mellifères particulièrement probantes ?

Je vais encore vous parler de l’agastache anisée ! C’est une lamiacée, qui ressemble pas mal à la menthe au départ, et que j’ai fait pousser sur une suggestion du restaurateur avec lequel je travaille. Lui l’utilise pour faire un sirop en accompagnement des desserts mais on peut également la mettre dans les tisanes, aussi bien la feuille que la fleur parce qu’elle garde son goût une fois chauffée, donc un petit goût anisé mais pas aussi fort que le fenouil par exemple. Et elle a une inflorescence, une houppe florale vraiment très chouette qui attire beaucoup, les bourdons notamment mais pas seulement. Ça se ressème plutôt bien ; j’ai eu la surprise d’en trouver dans les planches de cultures, bien plus loin. J’en avais aussi planté en serre, ça avait bien attiré les bourdons.

Quelles infrastructures d’intérêt écologique trouve-t-on sur la ferme ?

Il y a les mares et les fossés, et puis après toutes les haies constituées notamment de petits arbres fruitiers. J’ai conservé certains talus, dont celui qui date des précédents propriétaires, ils y entassaient des souches dont l’objectif était d’attirer le gibier. Ça, je l’ai conservé exprès parce que c’est un super gîte à mustélidés, insectes, orvets, etc.

Pourquoi avoir décidé d’installer des ruches ?

Le projet n’a pas de vocation réelle de production si ce n’est vivrière. Je me suis quand même posé la question de l’impact sur l’entomofaune présente. Il s’avère qu’en gros, selon la richesse du milieu, entre cinq et dix ruches, il n’y a pas d’impacts négatifs, voire au contraire il y a plutôt un impact positif. Donc là, l’idée, c’est d’avoir en effet entre cinq et dix ruches horizontales, avec une combinaison entre plusieurs variétés.

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Des exemples de plantes mellifères particulièrement probantes ont été identifiées à la ferme. © P. Besnard/POLLINIS

Quel type d’abeilles allez-vous mettre ?

Ça dépendra de ce qu’on m’indiquera comme essaim à récupérer, parce que là je suis parti pour ne pas en acheter. Sinon je serais bien sûr allé vers de l’abeille noire, mais là, pour l’instant, mon idée c’est plutôt d’attendre le printemps et, dès que les ruches sont prêtes, si quelqu’un m’indique un essaim je vais le récupérer.

Les ruches seront-elles sédentaires ?

Oui, je vais les mettre chez les poules. Je tente la protection contre les frelons, on verra bien ! Il y a cet aspect-là et puis il se trouve que le parcours des poules pondeuses s’y prête bien, il peut y avoir une bonne orientation, c’est bien protégé aussi des vents dominants, ça peut être pas mal. Mais en tout cas ce sera sédentaire, oui.

Avez-vous des stratégies spécifiques de conservation de la faune et de la flore sauvage ?

Pas vraiment, si ce n’est que j’évite de tout dézinguer à coup d’épareuse et compagnie. Et j’avais fait venir mon frangin pour qu’il me fasse un inventaire. Donc, déjà, rien que d’avoir conscience de ce qu’il y a, c’est un premier pas. Et en tout cas, là où je laisse la flore spontanée s’exprimer, j’évite de tout tondre ou tout broyer si ce n’est pas nécessaire.

Utilisez-vous des PNPPPréparations naturelles peu préoccupantes ?

Oui tout à fait, essentiellement prêles, consoudes, orties, de manière à pouvoir améliorer les défenses immunitaires des végétaux que je cultive, et puis après, des choses comme le bicarbonate de soude contre les acariens des aubergines, des macérations d’ail comme insectifuge voir comme fongicide,…

Vous assurez-vous de leur innocuité pour la faune auxiliaire ?

Oui et non, c’est vrai que c’est piégeant. Par exemple, j’avais un problème avec les taupinsInsectes coléoptères, je m’étais dit que je pouvais éventuellement utiliser du purin de fougère. Sauf qu’apparemment, le purin de fougère, c’est très puissant et pas du tout spécifique au taupin donc je vais devoir y renoncer. Sinon, j’ai dans ma trousse à pharmacie des petites compositions d’huiles essentielles que je n’ai jamais utilisées mais, au cas où, si j’avais un gros problème de mildiou sur la tomate par exemple, je ne m’empêcherais pas de l’utiliser, en ayant bien conscience que ce n’est pas de l’homéopathie.

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L’on trouve plusieurs infrastructures d’intérêt écologique sur la ferme des petits pas : des mares et des fossés, des haies constituées notamment de petits arbres fruitiers, certains talus… © P. Besnard/POLLINIS

Des comptes serrés

Votre ferme est-elle financièrement autonome ?

Ce serait difficile de dire ça : mon bénéfice brut d’exploitation est dramatiquement bas, même s’il ne me reste plus qu’un emprunt, pour lequel mes traites sont de moins de 500€ par mois. Mais, avec ce que je peux générer comme produit, j’arrive  à payer mes traites -ce qui est déjà pas mal- et j’arrive à couvrir mes charges opérationnelles. Après, l’objectif suivant, ce serait de générer un salaire, ce qui n’était pas forcément dans mes objectifs de départ.

Votre ferme est-elle viable économiquement ?

Pour moi : oui. La preuve : je continue mon activité, en accord avec ce que je m’étais fixé comme objectif. Au départ, je ne comptais pas me verser de salaire mais je ne voulais pas non plus peser sur le ménage sur le plan économique. Maintenant, j’arrive à un stade où, ça y est, tous les indicateurs sont au vert pour pouvoir me verser un salaire. Donc c’est vrai que cette question de la viabilité économique dépend du projet de départ. Il se trouve que j’ai une femme qui a un bon job, un salaire correct,  c’est elle qui s’occupe de faire bouillir la marmite et moi, j’apporte ce qu’il y a dedans. Voilà, ça c’est notre économie, l’économie du ménage est basée là-dessus. Donc, les gens qui me disent maintenant « il faut que tu arrives à te sortir un SMIC », je réponds « pour quoi faire ? ». Quand des gens viennent ici, je leur présente la ferme, je leur montre le mode de vie qui va avec et puis après OK, on peut parler de chiffres. Moi, au départ, ma démarche est avant tout nourricière : fournir aux gens, à commencer par ma famille mais aussi les gens de ma communauté, de quoi se nourrir. Ce qui m’intéresse, c’est « est-ce que mes légumes vont participer à la bonne nutrition des gens ? », et ce ne sont pas des indicateurs verts, jaunes ou rouges qui vont m’aider à répondre à cette question.

Êtes-vous satisfait du rendement de la ferme ?

En terme de productivité, je suis content, oui, dans le sens où, d’année en année, elle s’améliore. C’est déjà un grand truc parce que, la plupart du temps, c’est l’inverse, on a des productivités qui diminuent. Là, moi, au fur et à mesure, elle devient plus importante. Et par rapport aux objectifs que je me fixe, elle est suffisante, c’est à dire que je n’ai pas besoin d’avoir des choux de 3 kg, ma clientèle ne saurait pas quoi en faire. De temps en temps j’ai d’ailleurs des choux de 3 kg, du coup c’est pour ma pomme parce que personne n’en veut ! Donc je suis plutôt satisfait de ma productivité, et je suis plus que satisfait de mon rendement. Que ce soit par rapport au temps de travail, à l’argent que je gagne ou à l’énergie que j’y consacre, le rendement est super. Mais pour moi, cette notion, ce n’est pas un bon indicateur de la bonne santé d’une ferme. À la rigueur, c’est un indicateur pour la mauvaise santé d’une ferme, parce que, le plus souvent, les fermes qui sont au plus mal sont hyper productives mais, du coup, hyper dépendantes, zéro autonomie et des sols dans une santé exécrable…

Tournons la question autrement : êtes-vous satisfait de la rémunération de vos productions?

Alors oui et non, c’est à dire que là où j’en suis pour l’instant, ça me convient parce que cela me permet de continuer mon activité, et même de la développer. En revanche je ne suis pas encore arrivé à mon but, qui est de pouvoir en vivre suffisamment  pour que, par exemple, à un moment donné, ma femme puisse se dire « OK, j’arrête mon boulot parce que ça ne me plaît plus, et je fais autre chose ». Heureusement, il se trouve qu’elle aime son boulot…

Touchez-vous des aides?

La PAC principalement, c’est plusieurs milliers d’euros, ça représente probablement un tiers de mon chiffre d’affaires total.

Êtes-vous inséré dans un circuit de vente locale ?

C’est du 100% très local puisque tout est sur ma commune. Mes débouchés, c’est l’AMAP et les personnes qui viennent à la ferme.

Transformez-vous des produits sur la ferme ?

Pas encore, mais j’ai presque fini le four à pain et puis l’idée, c’est d’avoir un atelier de transformation, pour faire des choses simples au début, du style choucroute, et puis peut-être plus complexes après, style conserves et compagnie. Le but, ce n’est pas forcément de tout faire moi-même, mais d’avoir l’outil pour que les personnes de l’AMAP puissent le faire ici.

Répondez-vous à des commandes publiques ?

C’est compliqué… Là, j’ai été sollicité par le collège de Durtal mais sur des volumes tels que ça me parait difficile de suivre. Et il n’y aurait concrètement pas vraiment d’intérêt pour moi, parce que ça m’étonnerait que j’arrive à valoriser aussi bien auprès du collège qu’en vente directe.

Les prix de vos produits restent-ils quand même accessibles ?

C’est une préoccupation. Bien sûr, je considère que mes produits ne sont pas trop chers vu leur qualité nutritionnelle et le fait qu’ils soient en bio. Mais bon, en effet, c’est une préoccupation.

Combien d’heures travaillez-vous par semaine ?

35-40 h. Tout ça annualisé, bien sûr, au printemps et à l’automne c’est vraiment plus intense, c’est du 45 h. Ça me convient parce que ça me permet de pouvoir conduire mes enfants à l’école le matin, de les récupérer le soir, de faire la cuisine etc.

Parvenez-vous à prendre des congés ?

Pour l’instant, c’est le seul motif d’insatisfaction, mais il est tout relatif. Là, par exemple, cette année, on n’est pas parti au mois de février mais globalement, j’essaye de partir une semaine au mois de février et une semaine à la Toussaint en famille et puis les deux semaines des fêtes de fin d’année. Mais l’été, clairement, pour l’instant, c’est compliqué.

Quand vous partez, vous avez quelqu’un pour vous remplacer ?

Oui, souvent j’ai des gens qui s’occupent de la ferme à ma place, des voisins, des stagiaires… Ce n’est pas forcément un souci, même si j’ai plus de mal à lâcher prise là-dessus alors que tout l’intérêt des vacances, c’est quand même de s’éloigner.

La ferme serait-elle facilement transmissible ?

Alors j’ai une petite idée mais je ne l’ai jamais calculée. Parce que l’une des clés de ma stratégie d’installation, c’était de limiter les investissements. Le capital investi est vraiment très faible. Je dirais qu’après, la plus grande difficulté, ce serait surtout de trouver quelqu’un qui ait la compétence de reprendre.

Ferme des Petits pas

« Ma démarche est avant tout nourricière : fournir de quoi se nourrir à ma famille mais aussi aux gens de ma communauté. Ce qui m’intéresse, c’est « en quoi mes légumes participent à la bonne nutrition des gens ? », et ce ne sont pas des indicateurs verts, jaunes ou rouges qui vont m’aider à répondre à cette question. » 
© P. Besnard/POLLINIS

Point d'étape

En termes de pénibilité, quelle note sur 10 donneriez-vous à votre travail ?

Je dirais 2. Bien sûr, il y a des contraintes physiques, mais il suffit d’adapter son outil et de se connaître soi-même pour ne pas aller au bout de ses limites. Mais  je considère que les efforts physiques, c’est appréciable, ça fait du bien. Quand je m’endors le soir, je m’endors bien.

Pouvez-vous évaluer votre bonheur sur une échelle de 0 à 10 ?

On peut toujours faire mieux et le bonheur c’est quelque chose de très relatif. On va dire 9. Après, entre la satisfaction au travail pour moi et pour mes proches et puis la reconnaissance professionnelle, il y a plein de chose qui y participent. Je sais qu’il y a des gens pour qui le bonheur, c’est s’éclater à bosser 70 h par semaine, être tout le temps à fond, produire plein de légumes et tout, avoir les mains dans la mécanique, et l’huile et la graisse, etc. Pour moi, typiquement, plutôt qu’un plaisir, je vivrais cela comme une contrainte.

Et la motivation ?

Là, je suis clairement à 10. Je le mesure facilement au fait de venir tous les matins voir mes jardins, c’est vraiment hyper rare les jours où je n’ai pas envie d’y aller…

Votre projet de vie est-il satisfaisant par rapport à ce que vous attendiez ?

Ouais, je dirais 9/10 parce que, probablement, il y a certaines parties qui étaient de la dimension du rêve que je n’ai pas pu réaliser. Moi, mon rêve, ça aurait été de reprendre un potager dans un lieu historique style château ou abbaye que j’aurais pu faire revivre… Ça ne s’est pas présenté, c’est comme ça, ce n’est pas pour autant que ce que j’ai réalisé ne me satisfait pas. Mais en effet, j’ai visité des endroits où ça aurait été génial de faire revivre la dimension productive des lieux.

Votre projet intègre-t-il une dimension sociétale ?

Oui, j’en suis convaincu, et l’AMAP est là pour le rappeler. L’AMAP et la vente sur place, les gens qui viennent sont hyper attachés à la ferme. A chaque fois, ils ne viennent pas seulement acheter les légumes, ils vont voir les jardins, les poules…  C’est une des dimensions leur tient  à cœur parce qu’ils ne peuvent pas l’avoir dans leur vie quotidienne.

Ferme des Petits pas
La ferme des petits pas favorise une biodiversité maximale pour faire en sorte que les régulations naturelles puissent se mettent en place. © P. Besnard/POLLINIS

Êtes-vous satisfait de votre insertion dans un réseau d’entraide, qu’il soit familial, amical, local ou professionnel ?

Sur les deux premiers oui, et même plus que satisfait, au-delà de ce que j’avais pu envisager. Je bénéficie du fait que dorénavant, en tout cas dans les milieux que je fréquente et dans ma famille, le fait d’être paysan est perçu de manière très positive. Après, en revanche, sur le plan pro, c’est  mitigé. Autant dans certaines structures, comme la Chambre d’agriculture, je suis très bien perçu par les conseillers, qui trouvent le projet intéressant, et m’envoient des visiteurs etc.… mais chez les pros eux-mêmes, y compris dans le milieu de la bio, je vois bien qu’ils ne me prennent pas suffisamment au sérieux pour l’instant.

Et vous sentez-vous bien inséré dans le territoire ?

Oui, ça commence. Pour moi le plus important c’est par rapport aux citoyens, le fait d’être reconnu comme le maraîcher de Durtal, le fait que les gens apprécient mes légumes, apprécient la ferme etc. Et puis après, on bénéficie d’un début de reconnaissance auprès des institutions. Là je travaille notamment avec la communauté de communes pour développer un magasin de producteurs sur Durtal.

Ferme des Petits pas

Jérôme Dehondt souhaiterait que des sujets comme la diversité, l’écologie des systèmes, la botanique soient introduits dans l’enseignement agricole, ainsi que les pratiques alternatives comme la permaculture.
© P. Besnard/POLLINIS

L'agriculteur et le citoyen

Avez-vous d’autres activités en dehors de votre activité agricole ?

Non, mais j’accueille parfois quelques groupes, notamment des handicapés parce qu’il y a plusieurs centres d’accueil aux alentours. L’accueil de groupes, c’était dans l’idée de la ferme au départ mais j’attends quand même d’être plus tranquille sur la production…

Votre ferme participe-t-elle à un programme de sciences participatives ?

J’aimerais, mais ce n’est pas évident non plus. Je participe quand même au programme SMART, mais là encore, il y a quand même beaucoup de protocoles, tout ça demande trop de temps.

Y a-t-il des formations sur la ferme ?

J’en accueille, oui, mais c’est organisé par le GAB du 72 (Groupement des Agriculteurs Biologiques) ou le GABBAnjou. Les participants sont souvent des porteurs de projets, jeunes ou moins jeunes, et parfois des gens déjà installés.

Selon vous, l’avenir de l’agriculture, c’est plutôt high-tech ou low-tech ?

Résolument low-tech. Pour moi, la high-tech est dans la nature ! C’est elle qui est vraiment d’une très très haute technologie, et j’ai l’impression qu’on essaye de copier et de s’inspirer mais qu’on reste toujours en dessous. Tant mieux, c’est très bien ainsi. Je pense que dès qu’on passe dans un certain niveau de technologie, on n’est plus autonome, on devient dépendant, en terme de fourniture de pièces, en terme d’intervention etc. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas ponctuellement s’appuyer sur de la high-tech, mais il faut qu’on puisse ne pas en dépendre. Il faut toujours pouvoir garder une alternative en cas de défaillance. Là, ma débroussailleuse, le jour où elle tombe en panne, je me mets à la faux !

Quels sont selon vous les principaux défis de l’agriculture de demain ?

Je ne voudrais pas sortir des trucs bateau comme « la capacité d’adaptation au changement climatique » ou des trucs comme ça parce que, pour moi, le principal défi c’est « qui, demain, cultivera les fermes ? ». Dans 10 ans, quand il y aura pas loin de la moitié des agriculteurs d’aujourd’hui qui auront pris leur retraite ; qui cultivera leur ferme et produira la nourriture dont on a besoin ? Ça, c’est le problème principal, après y en a plein d’autres choses. La perte de la biodiversité en est une : j’aurai beau faire tout mon possible en créant une oasis de biodiversité chez moi, si ça ne suit pas autour, ça sert à quoi ? Il y aura un effondrement et puis basta.

Selon vous, quels sont les principaux freins à un changement de système agricole ?

Alors, il se trouve que j’y ai pas mal réfléchi ces derniers temps, avec d’autres, et je pense que c’est surtout un frein cognitif. Les gens ont été formatés et mis dans un système où, du coup, ils n’ont plus la capacité cognitive d’imaginer autre chose. Donc, quand bien même on arriverait avec un truc alternatif, même servi « sur un plateau », ça ne passerait pas. Parce qu’il manque des outils cognitifs pour pouvoir aborder ces sujets-là et surtout pour pouvoir les prendre en main.

Quels seraient les leviers qui permettraient d’envisager ce changement de système ?

Pour moi, le levier principal est au niveau de l’enseignement agricole. Même si ce n’est pas un passage obligé, il y a quand même pas mal de monde qui passe par là, ne serait-ce que pour avoir une reconnaissance, un diplôme. Et c’est là qu’on a aussi un effet levier fort en terme d’échelle. Il faut d’abord convaincre sur le plan politique, et puis après convaincre l’enseignement agricole et ceux qui y interviennent. Pour ce faire, je pense que le mieux, ce serait d’introduire de la diversité, des enseignements qui portent sur l’écologie des systèmes, sur la botanique, des choses très variées, en laissant une place aux pratiques alternatives comme la permaculture, par exemple.

Pensez-vous que les PAT (Projet alimentaire territorial) constituent un levier politique intéressant ?

Même si je pense que ça se joue surtout au niveau des mouvements citoyens, les PAT, c’est vrai que c’est un bel outil. Il faut que les collectivités territoriales s’en emparent, à commencer par les communautés de communes.

Voyez-vous d’autres façons de faire peser la voix des citoyens ?

Dans une réflexion avec l’AMAP est venue l’idée de ce que l’on pourrait appeler des « conseils alimentaires territoriaux » ou quelque chose comme ça. L’idée, ce serait justement de faire participer les citoyens à la gouvernance alimentaire. Cela reprend un peu le concept des Food Councils que l’on trouve en Amérique du nord. Cela permettrait de relier la dimension alimentaire à la dimension agricole et, du coup, les politiques se retrouveraient là-dedans et joueraient le rôle de facilitateur pour que les citoyens, intéressés par leur alimentation, puissent avoir leur mot à dire sur le modèle agricole de leur territoire. Mais bon, ça nécessite de former les citoyens sur les questions agricoles et puis il faut que la profession accepte aussi que les citoyens aient leur mot à dire. Donc là, en effet, pour aboutir à cela, le politique a un rôle énorme à jouer…