POLLINIS DEMANDE AU GOUVERNEMENT DE PROTÉGER L'ILE DE GROIX ET SES POLLINISATEURS
Les populations d’abeilles domestiques et sauvages de Groix fascinent les scientifiques du monde entier. Plusieurs travaux, achevés et en cours, démontrent leurs qualités exceptionnelles et l’urgence de les protéger de toute menace.
C’est ainsi que le chercheur au CNRS Lionel Garnery a conduit une étude, publiée en 20181, portant sur 208 colonies, réparties sur l’ensemble du territoire de l’île. Il y conclut, suite à une analyse génétique de son ADN, que l’abeille noire locale, Apis mellifera mellifera, dispose d’un patrimoine génétique intact et n’a pas subi d’hybridation significative avec d’autres sous-espèces d’abeilles.
« La population d’abeille de l’île de Groix est actuellement la plus pure en abeilles noires de notre base de données. Compte tenu de l’augmentation importante des niveaux d’hybridation observée ces dernières années dans un grand nombre de populations continentales, il est essentiel de conserver des populations d’abeilles noires afin de préserver cette sous-espèce patrimoniale en voie de disparition », préconise son rapport.
Par ailleurs, les abeilles domestiques et sauvages de Groix ont appris à cohabiter avec le parasite Varroa destructor, un acarien d’Asie du sud-est qui décime les colonies d’abeilles presque partout dans le monde. Il est arrivé en Europe dans les années 1970 et en France en 1982 (en 1989 à Groix). Ce parasite s’attaque aux abeilles, à leurs larves et aux nymphes en se nourrissant de leurs tissus adipeux. Alors que partout ailleurs les apiculteurs ont recours à des produits chimiques de synthèse ou à des produits organiques comme les acides oxalique et formique afin d’exterminer le varroa, les apiculteurs de Groix ne traitent pas leurs colonies.
Et pourtant, les abeilles groisillonnes ne connaissent pas de mortalité particulière. Mieux, l’entomologiste et biologiste américain mondialement reconnu Jeffery Pettis a démontré, suite à plusieurs études de terrain menées à la demande de POLLINIS, que les abeilles domestiques de l’île ont appris à coexister avec le parasite.
Les pratiques apicoles locales expliquent en grande partie les raisons du bien-être des abeilles domestiques : les apiculteurs ne sont pas soumis à des impératifs économiques de rendement et n’interviennent que très peu dans la vie de leurs colonies. Ils ne sélectionnent pas les abeilles et surtout, ils ne maintiennent pas en vie artificiellement des colonies trop faibles en les nourrissant ou en les traitant contre le varroa. La récupération d’un maximum d’essaims naturels au printemps fait partie de l’apiculture traditionnelle îlienne.
En cela, les apiculteurs groisillons s’approchent de l’apiculture darwinienne, un principe théorisé par l’entomologiste américain Thomas Seeley2. Ainsi, les abeilles s’adaptent peu à peu aux transformations de leur environnement.
L’île compte ailleurs une population dynamique de pollinisateurs sauvages : étant donné que les apiculteurs de Groix laissent leurs colonies domestiques librement essaimer dans la nature – une pratique généralement empêchée par les apiculteurs professionnels – de nombreux essaims sauvages d’abeilles noires sont recensés chaque année sur l’île.
L’association Asan.Gx recense depuis plus de dix ans les colonies d’abeilles mellifères sauvages de l’île, elles aussi appartenant à la sous-espèce Apis mellifera mellifera. Leur nombre connaît une augmentation continue, signe que l’environnement de Groix leur est favorable. Entre 30 et 50 colonies sauvages sont comptabilisées chaque année. Nichant dans des anfractuosités, dans des cheminées, dans des interstices de murs en pierre, et même sous des dolmens, ces colonies sauvages affichent une bonne santé qui ne se dément pas, année après année.
Ce dynamisme des populations sauvages d’abeilles à miel est dû à l’environnement préservé que leur offre l’île. Depuis 2011, les services techniques de la commune de Groix n’utilisent plus aucun produit phytosanitaire et seuls quelques agriculteurs locaux y ont sporadiquement recours. En 2019, l’analyse d’échantillons de cire des ruches locales pour détecter la présence potentielle de résidus de 170 pesticides a confirmé que l’île est un havre pour les butineuses, quasiment exempt de ces molécules3.
Les populations de pollinisateurs sauvages de l’île drainent elles aussi un fort intérêt chez les scientifiques : Jeffery Pettis étend son étude sur la coexistence entre abeilles domestiques et varroa au suivi des essaims sauvages d’abeilles mellifères, et la biologiste Violette Le Féon, spécialiste des insectes pollinisateurs, a démarré en 2021 un recensement des pollinisateurs sauvages de Groix.
Cet équilibre entre les abeilles domestiques, les pollinisateurs sauvages et leur environnement est fragile. Sans une protection juridique forte, l’écosystème groisillon pourrait être définitivement bouleversé, et la survie de ses pollinisateurs menacée. Il est donc vital de préserver ces insectes de tout risque lié à l’importation de colonies ou de matériel apicole usagé, et de réguler les pratiques apicoles sur place.
Dans les années 1980, l’apparition du Varroa destructor et la mise sur le marché des insecticides néonicotinoïdes ont accéléré la mortalité des abeilles domestiques4. Pour parer à cette situation de crise, les apiculteurs se sont mis à développer l’élevage d’abeilles en parallèle de leur production de miel pour tenter de reconstituer leurs ruchers mais aussi à en importer du monde entier, via Internet et La Poste.
Ces abeilles venues de l’étranger ne sont pas adaptées à nos conditions climatiques locales : déjà affaiblies par leur voyage pour arriver en France, elles ont en général un taux de mortalité hivernal élevé. Pire, elles se croisent avec les abeilles endémiques, notamment notre abeille noire locale, créant ainsi des abeilles hybrides. L’exceptionnel patrimoine génétique de l’abeille noire se dissout peu à peu, laissant la place à de nouvelles abeilles moins robustes. L’abeille noire de Groix, unique par sa pureté, doit absolument être préservée de ce risque d’hybridation.
De plus, il est essentiel de protéger les abeilles de Groix des maladies qui pourraient être amenées du continent et qui déciment leurs congénères partout ailleurs, à commencer par la loque américaine. Elle est due à une bactérie, Paenibacillus larvae, qui attaque le couvain et contamine peu à peu l’ensemble de la colonie qui finit par mourir.
L’importation sur l’île de Groix de colonies d’abeilles en provenance du continent, de même que le transport de matériel apicole usagé, sont susceptibles d’activer la loque américaine sur ce territoire préservé, ce qui constituerait un véritable risque pour la survie des abeilles mellifères domestiques et sauvages de l’île.
Les apiculteurs de l’île, tous amateurs, pratiquent une apiculture naturelle, n’intervenant que très rarement sur leurs colonies, ne cherchant pas à les maintenir à tout prix en vie par le nourrissage ou les traitements. C’est ce qui a permis aux abeilles de Groix de constituer une population forte et résistante, à même de cohabiter avec le parasite Varroa destructor. Tout bouleversement de ces pratiques, au profit d’une apiculture tournée vers les rendements de miel, compromettraient l’incroyable résistance des abeilles groisillonnes.
De même, une trop forte concentration de ruchers domestiques perturberait l’équilibre qui existe actuellement entre les populations d’abeilles domestiques et d’abeilles sauvages, contraintes de se concurrencer pour accéder aux ressources florales de l’île.
Les pratiques apicoles de l’île doivent impérativement être strictement encadrées afin de maintenir les équilibres écosystémiques naturels de Groix.
Créée en 1982, la réserve naturelle nationale François Le Bail ne couvre que 98 hectares de l’île : une surface bien trop maigre pour que l’ensemble des pollinisateurs de l’île soient protégés.
En 2008, un arrêté municipal5 a été publié pour contrôler l’introduction de ruches et d’abeilles sur l’île. Il interdit l’importation d’abeilles non noires de même que de matériel apicole usagé et stipule que « toute nouvelle implantation de ruches sur le territoire de l’île de Groix devra faire l’objet d’une déclaration en mairie ».
POLLINIS estime que cet arrêté municipal n’est pas suffisamment protecteur des abeilles locales, ni assez dissuasif pour quiconque y contreviendrait (une quarantaine d’euros d’amende). Il est impératif que soit mise en place une législation forte qui encadre fermement toute importation d’abeilles (y compris d’abeilles noires) et de matériel apicole ainsi que les pratiques apicoles sur place. Les peines encourues pour ceux qui ne respecteraient pas ces règles doivent à tout prix être dissuasives. De plus, des moyens doivent être alloués aux autorités locales pour faire respecter cette législation à la lettre.
Afin de prévenir le risque de perdre définitivement l’un des meilleurs exemples d’abeilles mellifères naturellement résistantes au varroa sur Groix, POLLINIS demande au ministre de l’Agriculture de prendre un arrêté ministériel comprenant les mesures suivantes :
- Interdire toute introduction d’abeilles exogènes (reines, mâles, colonies ou essaims), de matériel biologique utilisé en apiculture (cellules, larves, cadres bâtis, cire, oeufs, sperme), ainsi que de tout matériel apicole usagé (cadres, bâtisses, hausses, ruches, tenues et outils utilisés en apiculture);
- Ordonner la destruction de tout matériel apicole usagé et de tout matériel biologique introduit sur l’île ainsi que la réexpédition des reines, colonies et essaims exogènes sans délai sur la France continentale aux frais du contrevenant ;
- Renforcer les contrôles effectués et augmenter le montant de l’amende en cas de non-respect ;
Ces demandes sont soutenues par une vingtaine de scientifiques de renommée mondiale, qui ont signé l’Appel de Groix au gouvernement français pour demander la création d’un sanctuaire protégé par la loi pour les insectes pollinisateurs de l’île de Groix.
Il en va de la survie de l’abeille noire, ainsi que de la survie des écosystèmes et de la biodiversité de l’île de Groix.