Pesticides / Néonicotinoïdes
Exportation de néonicotinoïdes interdits en Europe : un business légal mais hypocrite
L’Union européenne continue d'autoriser l’exportation de pesticides à base de néonicotinoïdes, pourtant interdits d'utilisation à cause de leur dangerosité avérée pour la biodiversité et la santé humaine. Un business à l’ampleur insoupçonnée qui vient de faire l’objet d’une enquête commune de Public Eye et Unearthed.

3 ans après leur interdiction sur le sol européen, des milliers de tonnes d’insecticides néonicotinoïdes continuent d’être massivement exportées à l’étranger. C’est ce que révèle l’enquête conjointe des ONG Public Eye et Unearthed, la cellule d’enquête britannique de Greenpeace. Sur le banc des accusés, 9 pays membres de l’Union européenne, dont la France, la Belgique et l’Allemagne. Mais aussi une poignée d’industries agrochimiques – Syngenta en tête – qui profitent de la législation peu protectrice de pays à faibles revenus, comme l’Azerbaïdjan ou le Soudan, pour écouler des produits à la toxicité avérée pour la biodiversité.
Des pesticides dangereux mais lucratifs
Depuis l’introduction des néonicotinoïdes dans les années 90, 75 % de la biomasse des insectes volants a disparu des campagnes d’Europe occidentaleHallmann CA, Sorg M, Jongejans E, Siepel H, Hofland N, et al. (2017)More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. Même à faible dose, ces puissants insecticides détruisent le système nerveux central des abeilles et affaiblissent leurs fonctions vitales Clara Stuligross and Neal M. Williams, PNAS, November 30, 2021Past insecticide exposure reduces bee reproduction and population growth rate, . Des risques solidement documentés par les scientifiques de la Task force on systemic pesticidesBibliographie réunie par la Taskforce on Systemic Pesticides qui passe en revue 1 121 études scientifiques :Worldwide Integrated Assessment (WIA) of the Impact of Systemic Pesticides on Biodiversity and Ecosystems, et valables pour l’ensemble de la biodiversité, qui ont conduit la France à interdire l’utilisation des produits à base de néonicotinoïdes le 1er septembre 2018, puis l’Europe à interdire trois molécules néonicotinoïdes : l’imidaclopride, le thiaméthoxame et la clothianidine.
Malgré cette interdiction, la Commission européenne continue de tolérer la production et l’exportation de néonicotinoïdes car ils génèrent un marché très profitable pour les multinationales de l’agrochimie, estimé à 3 milliards de dollars en 2018 par la société d’analyse de marché Phillips McDougall.
Des milliers de tonnes expédiés à l’étranger
Pour évaluer l’implication de l’Europe dans ce business lucratif, les deux ONG se sont fondées sur les notifications d’exportations qui doivent être obligatoirement communiquées aux autorités européennes avant d’exporter un produit interdit par l’UE. Selon ces documents, une seule société est responsable des trois quarts des exportations provenant d’Europe : le géant Syngenta, qui assure sa domination grâce à son produit phare, l’Engeo Pleno S.
En 4 mois seulement, au moins 3 900 tonnes d’insecticides à base de néonicotinoïdes ont été vendus à des pays à faible ou moyen revenu. C’est assez de produits chimiques pour traiter 20 millions d’hectares de cultures, soit l’ensemble des terres arables en France ou l’équivalent de trois fois la Belgique. Quasiment tous les continents sont concernés par ces exportations massives, de l’Europe (Ukraine) à l’Asie (Indonésie), en passant par l’Afrique (Kenya, Afrique du Sud), et l’Amérique du Sud (Brésil). Un business d’autant plus hypocrite que les produits de ces cultures intensives étrangères, moins réglementées, reviennent bien-souvent à l’envoyeur.
Une indispensable interdiction
Pour convaincre la Commission européenne d’agir face aux substances néonicotinoïdes, notre association continue son travail de contre-lobbying à Bruxelles. Le 5 novembre 2020, POLLINIS et 75 organisations environnementales, ont interpellé les commissaires européens et le vice-président de la Commission afin de bannir le commerce des pesticides interdits en Europe. La réponse n’a pas tardé : dans un courrier envoyé un mois plus tard, la Commission européenne promet une nouvelle législation pour réglementer l’exportation des insecticides incriminés.
Malgré cet engagement, le combat est loin d’être gagné et les négociations peinent à aboutir. Les industriels et quelques États membres voient d’un mauvais œil une interdiction qui les priveraient d’une manne financière de plusieurs milliards.