Loi Duplomb : la biodiversité menacée par le retour des pesticides néonicotinoïdes, au mépris de la science

À l’ordre du jour du Parlement ces derniers mois, la proposition de loi Duplomb (ppl Duplomb) vise à réautoriser l’utilisation de néonicotinoïdes interdits en France. Une attaque contre la science, alors que des études démontrent depuis des années les dangers de ces substances pour les êtres humains, les abeilles et l’ensemble des pollinisateurs sauvages.

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Date : 7 mai 2025
Une abeille morte. Représentation du danger que représentes les pesticides néonicotinoïdes pour les pollinisateurs.

Désinformation, déni des réalités scientifiques, attaques contre les agences environnementales… Ces derniers mois, l’actualité politique est marquée par les reculs écologiques. Un texte cristallise bien les inquiétudes en la matière : la proposition de loi Duplomb. Portée par le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb et son collègue centriste Franck Menonville, elle vise notamment à réautoriser l’utilisation de trois insecticides tueurs d’abeilles : l’acétamipride, le flupyradifurone et le sulfoxaflor.

Le 26 mai, pour accélérer son adoption par le Parlement et empêcher le débat sur ses dispositions dangereuses, l’Assemblée nationale a voté le rejet de la proposition de loi. Une manœuvre anti-démocratique dénoncée par POLLINIS et contre laquelle de nombreuses organisations se mobilisent. Le texte doit encore être examiné devant une commission mixte paritaire le 30 juin, il fera ensuite l’objet d’un ultime vote au Sénat et à l’Assemblée.

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Réautoriser les néonicotinoïdes : un non-sens scientifique et démocratique

Plutôt que de s’acharner à tenter de réautoriser ces substances délétères pour les pollinisateurs, la France devrait encourager leur interdiction à l’échelle européenne, a plaidé POLLINIS dès le mois de février, dans une tribune publiée dans Le Monde et signée par une vingtaine d’associations. Une alerte également lancée par plus de 1 000 médecins et scientifiques dans un texte publié au mois d’avril, qui rappelle que « l’impact des néonicotinoïdes sur le Vivant n’est plus à démontrer ».

Pourtant, fin janvier, le jour de l’adoption de son texte au Sénat, Laurent Duplomb martelait dans une interview : « Ces molécules ont été interdites sans raison scientifique ». Il ne pourrait pas avoir plus tort. Si les néonicotinoïdes ont été interdits en France en 2018, grâce au vote de la « loi biodiversité », c’est bien en raison de leur toxicité pour les pollinisateurs. Face au déni de la science qui s’installe, POLLINIS décrypte, études à l’appui, les effets de ces insecticides.

Conçus dans les années 1990, les insecticides de la famille des néonicotinoïdes représentent un quart des ventes de pesticides dans le mondeBarton et al., 2024. Généralement appliqués de façon préventive, sous forme d’enrobage des semences, ils sont qualifiés de substances « systémiques ». L’insecticide est transporté par la sève dans l’ensemble de la plante, au fur et à mesure de sa croissance, jusqu’au pollen des fleurs. La substance est aussi partout dans l’environnement, de l’air aux cours d’eau, puisque seulement 5 % est absorbée par la planteWood et al., 2017. Autant d’éléments qui ont conduit un consortium international de scientifiques, à l’initiative de l’Union internationale pour la conservation de la nature, à pointer la « toxicité très élevée » des néonicotinoïdes pour « presque tous les insectes »Van Lexmond et al., 2014.

Depuis 2019, l’acétamipride est le seul néonicotinoïde encore utilisé en Europe, avec une autorisation renouvelée jusqu’en 2033. Pour contourner les interdictions et continuer à commercialiser des produits aux effets similaires, l’agrochimie a trouvé une parade : le développement de « néonicotinoïdes cachés ». Homologuées au sein d’une autre famille de pesticides, ces substances – parmi lesquelles on retrouve le flupyradifurone et le sulfoxaflor – sont tout aussi toxiques pour les pollinisateurs.

Jusqu’à maintenant, la France est aux avant-postes sur l’interdiction de ces substances. L’acétamipride, au même titre que tous les néonicotinoïdes, a été banni des champs suite au vote de la loi biodiversité en 2016. La mobilisation des ONG environnementales, dont POLLINIS, a permis d’étendre cette mesure aux « néonicotinoïdes cachés ». Sous l’influence des lobbys, l’Etat a bien tenté par la suite de prolonger l’utilisation des néonicotinoïdes, en prenant des arrêtés de dérogation pour la filière de la betterave sucrière en 2021 et 2022. Mais le procédé a été jugé illégal par la Cour de justice de l’Union européenne, puis les dérogations annulées par le Conseil d’Etat.

Une interdiction ferme largement soutenue par les citoyens. D’après un récent sondage IFOP commandé par l’association Générations Futures, 83 % des sondés sont favorables au maintien de ces règles. En face, l’agrochimie crie à la concurrence déloyale avec les Etats où ces substances sont encore utilisées. C’est aussi un argument phare de la proposition de loi Duplomb. Réautoriser les néonicotinoïdes sur notre sol serait pourtant un non-sens historique, au regard des centaines d’études qui documentent leur dangerosité pour les pollinisateurs et l’ensemble de la biodiversité.

Une abeille morte. Représentation du danger que représentes les pesticides néonicotinoïdes pour les pollinisateurs.

Même si elles ne sont pas ciblées, les abeilles mellifères domestiques sont gravement menacées par l’acétamipride.

L’acétamipride : une menace pour la biodiversité toute entière

L’acétamipride est généralement utilisé pour lutter contre les insectes suceurs, notamment les pucerons, dans plusieurs cultures de fruits et légumes ou dans la filière noisette. Comme tous les insecticides de la famille des néonicotinoïdes, c’est un neurotoxique : il s’attaque au système nerveux central des insectesMackei et al., 2024. Même si elles ne sont pas ciblées, les abeilles mellifères domestiques sont gravement menacées par cette substance. L’acétamipride altère, par exemple, leur mémoire, ce qui les empêche de regagner la rucheShi et al., 2019 et affecte leur capacité à butinerShi et al., 2020. Autant de facteurs qui augmentent leur mortalitéShi et al., 2020.

L’acétamipride présente aussi un danger pour les pollinisateurs sauvages. Chez les bourdons, par exemple, il diminue les capacités de reproduction et augmente le taux de mortalité des larvesCamp et al., 2020. Chez les abeilles solitaires, il provoque un état léthargique et perturbe les facultés de locomotionTadei et al., 2024, ce qui affecte la pollinisation et par conséquent la productivité des cultures. Une étude réalisée sur l’osmie rousse (Osmia bicornis), une abeille solitaire répandue en Europe, a ainsi montré que l’exposition à l’acétamipride à proximité de pommiers pouvait réduire de 86 % la production de pommesO'Reilly et al., 2023.

Les oiseaux non plus ne sont pas épargnés. Une méta-analyse rassemblant 50 études sur les néonicotinoïdes pointe que ces substances « sont bien à l’origine du déclin important de nombreuses espèces d’oiseaux »Molenaar et al., 2024. À l’heure où près de 60 % des oiseaux des milieux agricoles ont déjà disparu en Europe, le retour des néonicotinoïdes serait catastrophique.

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Le flupyradifurone et le sulfoxaflor : des “néonicotinoïdes cachés” aux effets dévastateurs

De la même manière que l’acétamipride, le flupyradifurone et le sulfoxaflor sont utilisés dans les cultures, notamment de fruits et légumes, pour lutter contre des insectes ravageurs comme les pucerons. Même si on les surnomme « néonicotinoïdes cachés », leurs effets sur les pollinisateurs sont aujourd’hui bien documentés. Un règlement européen restreint déjà l’usage du sulfoxaflor aux serres, son emploi en plein champ présentant « un risque élevé pour les abeilles mellifères et les bourdons », selon un avis de l’EFSA.

De son côté, le flupyradifurone réduit aussi considérablement la survie des abeilles domestiques, même à des doses 100 fois inférieures à celles utilisées dans les évaluations des risques européennesTosi et al., 2021. L’exposition à cette substance au début de la vie des abeilles mellifères les rend également moins résistantes au NosemaNaggar et al., 2019, un parasite qui attaque leur système digestif et peut causer la mort de colonies entières. La substance perturbe aussi leur motricitéHesselbach et al., 2019.

Ces effets délétères s’observent également chez les pollinisateurs sauvages. Le flupyradifurone réduit, par exemple, les capacités de reproduction des abeilles solitairesBoff et al., 2023.  Chez le bourdon, il affaiblit les performances d’apprentissage et de mémoireSiviter et al., 2022. Chez les coccinelles, il provoque des troubles de motricité pouvant entraîner la mort, à des doses nettement inférieures à celles qui affectent les abeillesScheibli et al., 2024.

Loin des mensonges appuyant la proposition de loi Duplomb, le constat scientifique est clair et sans appel : le retour des néonicotinoïdes dans les champs français accélérerait le déclin des abeilles et des pollinisateurs. Souvent désignées comme responsables du mal-être des agriculteurs, les mesures de protection de la biodiversité sont en réalité essentielles pour leur activité.

À l’échelle mondiale, la valeur du service de pollinisation des cultures est ainsi évaluée entre 235 et 577 milliards de dollars par an, selon l’IPBESIntergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES), 2016https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/publications/rapport_evaluation_pollinisateurs-IPBES.pdf. Cette même évaluation de l’IPBES conclut que « 75 % de nos cultures alimentaires et près de 90 % des plantes sauvages à fleurs dépendent, au moins en partie, de la pollinisation par les animaux et qu’une grande diversité de pollinisateurs sauvages est essentielle pour la pollinisation ». Si la protection des pollinisateurs doit rester au cœur des politiques publiques agricoles et préservée de tout détricotage, c’est donc aussi au nom de la souveraineté alimentaire, que les défenseurs de la loi Duplomb prétendent pourtant renforcer.

Comme tous les pollinisateurs, les bourdons peuvent être affectés par leur exposition aux néonicotinoïdes.

Chez le bourdon, l’exposition au flupyradifurone affaiblit les performances d’apprentissage et de mémoire.

Foire aux questions : La loi Duplomb et la réintroduction des néonicotinoïdes

1 ) QUE PROPOSE EXACTEMENT LA PROPOSITION DE LOI DUPLOMB ?

La proposition de loi Duplomb vise notamment à réautoriser l’utilisation de pesticides de la famille des néonicotinoïdes, interdits en France depuis 2018 mais toujours autorisés au niveau européen. Depuis son inscription à l’ordre du jour des débats au Parlement, ce texte suscite de vives critiques, notamment de la part d’organisations de défense de l’environnement et de scientifiques, qui dénoncent la toxicité de ces substances pour l’ensemble de la biodiversité.2 ) POURQUOI LA PROPOSITION DE LOI DUPLOMB EST-ELLE DANGEREUSE POUR LES ABEILLES ?

La proposition de loi Duplomb est dangereuse pour les abeilles car elle propose de  réintroduire l’usage de certains pesticides néonicotinoïdes, connus pour leur toxicité sur les pollinisateurs. Ces substances chimiques, comme l’acétamipride, agissent sur le système nerveux central des insectes, entraînant leur désorientation, une diminution de la capacité de reproduction, ou encore une altération de la mémoire. Ces substances peuvent également affaiblir les défenses des abeilles face aux maladies et aux parasites. Tous ces facteurs provoquent une augmentation significative de la mortalité.3 ) LE FLUPYRADIFURONE ET LE SULFOXAFLOR SONT-ILS OFFICIELLEMENT INTERDITS EN FRANCE ?

Oui, le flupyradifurone et le sulfoxaflor sont officiellement interdits en France. Au même titre que l’acétamipride, l’utilisation de ces deux substances pourrait être réautorisée dans les champs par la proposition de loi Duplomb. Si le flupyradifurone et le sulfoxaflor ne font pas partie de la famille des néonicotinoïdes, un grand nombre d’études prouvent leur dangerosité pour la biodiversité, avec des effets comparables aux insecticides tueurs d’abeilles. C’est ce qui a conduit la France à interdire ces deux substances au même titre que les néonicotinoïdes.
4 ) COMMENT AGIR POUR PROTEGER LES POLLINISATEURS ?

Il est possible d’agir pour protéger les pollinisateurs à l’échelle individuelle, en soutenant l’agriculture biologique, ou encore en plantant chez soi des espèces végétales favorables aux pollinisateurs. La mobilisation collective permet également d’obtenir des avancées historiques pour la protection de la biodiversité. C’est notamment la mobilisation de près d’un million de citoyens autour de POLLINIS et ses alliés qui a permis l’interdiction des néonicotinoïdes en France. Aujourd’hui, pour empêcher le recul de la loi, POLLINIS met à disposition un outil d’interpellation des députés, pour les appeler à s’opposer au vote de la proposition de loi Duplomb.

JE PRENDS POSITION : J’INTERPELLE LES DÉPUTÉ(E)S