Proposition de loi Duplomb : le retour des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles, au mépris de la science
À partir du 26 mai, les députés examinent la proposition de loi Duplomb, qui vise à réautoriser l’utilisation de néonicotinoïdes interdits en France. Une attaque contre la science, alors que des études démontrent depuis des années les dangers de ces substances pour les abeilles et l’ensemble des pollinisateurs sauvages.

Désinformation, déni des réalités scientifiques, attaques contre les agences environnementales… Ces derniers mois, l’actualité politique est marquée par les reculs écologiques. Un texte cristallise bien les inquiétudes en la matière : la proposition de loi Duplomb. Portée par le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb et son collègue centriste Franck Menonville, elle vise notamment à réautoriser l’utilisation de trois insecticides tueurs d’abeilles : l’acétamipride, le flupyradifurone et le sulfoxaflor. Le texte est examiné à l’Assemblée en ce moment, depuis le 6 mai en commission, puis à partir du 26 mai dans l’hémicycle.
Fin janvier, le jour de l’adoption de son texte au Sénat, Laurent Duplomb martelait dans une interview : « Ces molécules ont été interdites sans raison scientifique ». Il ne pourrait pas avoir plus tort. Si les néonicotinoïdes ont été interdits en France en 2018, grâce au vote de la « loi biodiversité », c’est bien en raison de leur toxicité pour les pollinisateurs. Face au déni de la science qui s’installe, POLLINIS décrypte, études à l’appui, les effets de ces insecticides.
Réautoriser les néonicotinoïdes : un non-sens scientifique et démocratique
Conçus dans les années 1990, les insecticides de la famille des néonicotinoïdes représentent un quart des ventes de pesticides dans le mondeBarton et al., 2024. Généralement appliqués de façon préventive, sous forme d’enrobage des semences, ils sont qualifiés de substances « systémiques ». L’insecticide est transporté par la sève dans l’ensemble de la plante, au fur et à mesure de sa croissance, jusqu’au pollen des fleurs. La substance est aussi partout dans l’environnement, de l’air aux cours d’eau, puisque seulement 5 % est absorbée par la planteWood et al., 2017. Autant d’éléments qui ont conduit un consortium international de scientifiques, à l’initiative de l’Union internationale pour la conservation de la nature, à pointer la « toxicité très élevée » des néonicotinoïdes pour « presque tous les insectes »Van Lexmond et al., 2014.
Depuis 2019, l’acétamipride est le seul néonicotinoïde encore utilisé en Europe, avec une autorisation renouvelée jusqu’en 2033. Pour contourner les interdictions et continuer à commercialiser des produits aux effets similaires, l’agrochimie a trouvé une parade : le développement de « néonicotinoïdes cachés ». Homologuées au sein d’une autre famille de pesticides, ces substances – parmi lesquelles on retrouve le flupyradifurone et le sulfoxaflor – sont tout aussi toxiques pour les pollinisateurs.
Jusqu’à maintenant, la France est aux avant-postes sur l’interdiction de ces substances. L’acétamipride, au même titre que tous les néonicotinoïdes, a été banni des champs suite au vote de la loi biodiversité en 2016. La mobilisation des ONG environnementales, dont POLLINIS, a permis d’étendre cette mesure aux « néonicotinoïdes cachés ». Sous l’influence des lobbys, l’Etat a bien tenté par la suite de prolonger l’utilisation des néonicotinoïdes, en prenant des arrêtés de dérogation pour la filière de la betterave sucrière en 2021 et 2022. Mais le procédé a été jugé illégal par la Cour de justice de l’Union européenne, puis les dérogations annulées par le Conseil d’Etat.
Une interdiction ferme largement soutenue par les citoyens. D’après un récent sondage IFOP commandé par l’association Générations Futures, 83 % des sondés sont favorables au maintien de ces règles. En face, l’agrochimie crie à la concurrence déloyale avec les Etats où ces substances sont encore utilisées. C’est aussi un argument phare de la proposition de loi Duplomb. Réautoriser les néonicotinoïdes sur notre sol serait pourtant un non-sens historique, au regard des centaines d’études qui documentent leur dangerosité pour les pollinisateurs et l’ensemble de la biodiversité.

Même si elles ne sont pas ciblées, les abeilles mellifères domestiques sont gravement menacées par l’acétamipride.
L’acétamipride : une menace pour la biodiversité toute entière
L’acétamipride est généralement utilisé pour lutter contre les insectes suceurs, notamment les pucerons, dans plusieurs cultures de fruits et légumes ou dans la filière noisette. Comme tous les insecticides de la famille des néonicotinoïdes, c’est un neurotoxique : il s’attaque au système nerveux central des insectesMackei et al., 2024. Même si elles ne sont pas ciblées, les abeilles mellifères domestiques sont gravement menacées par cette substance. L’acétamipride altère, par exemple, leur mémoire, ce qui les empêche de regagner la rucheShi et al., 2019 et affecte leur capacité à butinerShi et al., 2020. Autant de facteurs qui augmentent leur mortalitéShi et al., 2020.
L’acétamipride présente aussi un danger pour les pollinisateurs sauvages. Chez les bourdons, par exemple, il diminue les capacités de reproduction et augmente le taux de mortalité des larvesCamp et al., 2020. Chez les abeilles solitaires, il provoque un état léthargique et perturbe les facultés de locomotionTadei et al., 2024, ce qui affecte la pollinisation et par conséquent la productivité des cultures. Une étude réalisée sur l’osmie rousse (Osmia bicornis), une abeille solitaire répandue en Europe, a ainsi montré que l’exposition à l’acétamipride à proximité de pommiers pouvait réduire de 86 % la production de pommesO'Reilly et al., 2023.
Les oiseaux non plus ne sont pas épargnés. Une méta-analyse rassemblant 50 études sur les néonicotinoïdes pointe que ces substances « sont bien à l’origine du déclin important de nombreuses espèces d’oiseaux »Molenaar et al., 2024. À l’heure où près de 60 % des oiseaux des milieux agricoles ont déjà disparu en Europe, le retour des néonicotinoïdes serait catastrophique.
Le flupyradifurone et le sulfoxaflor : des “néonicotinoïdes cachés” aux effets dévastateurs
De la même manière que l’acétamipride, le flupyradifurone et le sulfoxaflor sont utilisés dans les cultures, notamment de fruits et légumes, pour lutter contre des insectes ravageurs comme les pucerons. Même si on les surnomme « néonicotinoïdes cachés », leurs effets sur les pollinisateurs sont aujourd’hui bien documentés. Un règlement européen restreint déjà l’usage du sulfoxaflor aux serres, son emploi en plein champ présentant « un risque élevé pour les abeilles mellifères et les bourdons », selon un avis de l’EFSA.
De son côté, le flupyradifurone réduit aussi considérablement la survie des abeilles domestiques, même à des doses 100 fois inférieures à celles utilisées dans les évaluations des risques européennesTosi et al., 2021. L’exposition à cette substance au début de la vie des abeilles mellifères les rend également moins résistantes au NosemaNaggar et al., 2019, un parasite qui attaque leur système digestif et peut causer la mort de colonies entières. La substance perturbe aussi leur motricitéHesselbach et al., 2019.
Ces effets délétères s’observent également chez les pollinisateurs sauvages. Le flupyradifurone réduit, par exemple, les capacités de reproduction des abeilles solitairesBoff et al., 2023. Chez le bourdon, il affaiblit les performances d’apprentissage et de mémoireSiviter et al., 2022. Chez les coccinelles, il provoque des troubles de motricité pouvant entraîner la mort, à des doses nettement inférieures à celles qui affectent les abeillesScheibli et al., 2024.
Loin des mensonges appuyant la proposition de loi Duplomb, le constat scientifique est clair et sans appel : le retour des néonicotinoïdes dans les champs français accélérerait le déclin des abeilles et des pollinisateurs. Souvent désignées comme responsables du mal-être des agriculteurs, les mesures de protection de la biodiversité sont en réalité essentielles pour leur activité. Elles doivent rester au cœur des politiques agricoles, préservées de tout détricotage.
Empêchez le retour des néonicotinoïdes en France
Sept ans après leur interdiction, les néonicotinoïdes pourraient faire leur retour dans les champs. À partir du 26 mai, l’Assemblée nationale examinera la proposition de loi Duplomb, qui vise à réautoriser trois de ces tueurs d’abeilles, malgré l’accumulation d’études scientifiques pour prouver leur toxicité.
Avec POLLINIS, vous pouvez encore empêcher ce nouveau sacrifice du Vivant. Envoyez un message à votre député pour lui demander de s’opposer à cette loi mortifère lors de son passage dans l’hémicycle. Suivez ce lien pour interpeller directement les députés.