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Pesticides / Néonicotinoïdes

La protection des pollinisateurs et de la biodiversité dans le viseur de l’agroindustrie

Depuis plusieurs mois, certains syndicats agricoles et élus mènent une offensive coordonnée pour détruire les fragiles outils de protection de la biodiversité qu’ils considèrent freiner le développement de l’agriculture industrielle. Fer de lance de ces attaques : la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb pour « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », déposée au Sénat en novembre 2024.

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Date : 8 janvier 2025

La fin d’année 2024 a été marquée par une série de déclarations, d’actions et de projets politiques qui se sont attaqués à la protection de la biodiversité. La FNSEA, les Jeunes Agriculteurs (JA) et la Coordination rurale ont par exemple visé différents bureaux de l’Office français de la biodiversité, chargé, entre autres, de relever les infractions agricoles aux règles de protection de l’environnement, comme à Guéret (Creuse) ou à Beauvais (Oise). Le 27 novembre, le syndicat majoritaire a dressé un mur devant l’INRAE, institut public de recherche agricole, pour y inscrire « escrolo » en lettres capitales.

En s’attaquant à ceux qu’ils désignent comme « responsables des normes », ces syndicats agricoles ont tenté de reléguer la question de la biodiversité à un ensemble de « règles » inutiles et pesantes. Ils ont préparé le terrain pour des réformes politiques qui pourraient constituer de graves retours en arrière pour la protection de l’environnement et ralentir encore l’indispensable transition agroécologique.

« Les normes » se sont ainsi rapidement retrouvées dans le viseur de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, qui a indiqué vouloir changer par décret certaines règles régissant les procédures d’autorisation des pesticides.

Sur le plan législatif, après une première proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale afin de réautoriser certains néonicotinoïdes en France, c’est une autre proposition, émanant cette fois-ci d’un sénateur, qui va plus loin et préconise un ensemble de changements législatifs qui s’attaquent méthodiquement à la protection de l’environnement. Intitulée « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », elle est portée par le sénateur Laurent Duplomb, ancien président des Jeunes Agriculteurs de la Haute-Loire et membre de la FDSEA locale (division départementale de la FNSEA).

Présentée en commission des affaires économiques le 4 décembre, la proposition a déjà été agrémentée de plusieurs amendements et combine en son sein plusieurs attaques contre les outils de protection du Vivant qui limitent aujourd’hui les dégâts de l’agriculture industrielle. Son décryptage donne à voir ce qu’il se passe quand la loi fait passer les profits avant l’intérêt général.

Photo montage représentant la proposition de loi Duplomb, la ministre de l'agriculture et la FNSEA contre l'anses et la protection de l'environnement

Une série de remises en question venues de l’agrobusiness ont récemment visé les outils de protection de l’environnement. La proposition de loi Duplomb s’attaque notamment à l’Anses, pour lever les freins au développement de l’agriculture industrielle.

L’Anses a Duplomb dans l’aile 

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) est, depuis 2016, chargée d’autoriser ou d’interdire des pesticides en France. Elle base sa décision sur les dossiers d’évaluation remis par les entreprises requérantes et, en théorie, sur la littérature scientifique.

Alors que l’agence sanitaire manque déjà de moyens et d’autonomie pour mener à bien sa mission, et qu’une partie du processus d’autorisation est déjà sous l’influence de l’agrochimie, la proposition de loi aurait pour effet de donner officiellement au politique la possibilité d’autoriser ou de maintenir sur le marché un produit dont la toxicité est démontrée.

Elle suggère en effet dans son article 2, traitant des procédures d’autorisations de mise sur le marché, de donner la possibilité au ministre de suspendre, par arrêté, une décision de l’Agence sanitaire. Un amendement, adopté en commission des affaires économiques le 4 décembre, a renchéri en indiquant que le ministre chargé du dossier aurait la possibilité « d’évoquer le dossier pour pouvoir statuer en lieu et place du directeur général », en plus de pouvoir agir sur les activités de l’Anses en lui demandant d’examiner un dossier en priorité.

Un autre amendement vient quant à lui modifier les missions mêmes de l’agence sanitaire, en insistant sur le fait qu’elle devrait « encourager l’innovation par l’émergence de technologies nouvelles pour répondre aux défis environnementaux », en favorisant notamment les « nouvelles technologies génomiques », alors que celles-ci comportent des risques pointés par la même Anses dans deux rapports publiés fin 2023 et début 2024.

Ces changements risqueraient d’affaiblir encore un peu plus l’indépendance de l’agence alors qu’il faudrait, au contraire, renforcer son autonomie et libérer les processus d’évaluation des risques des pesticides de l’influence de l’agrochimie.

Le retour en France des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles ?

L’utilisation agricole des néonicotinoïdes, insecticides particulièrement toxiques pour les abeilles, ainsi que celle des pesticides au même mode d’action, a été interdite en France grâce à une mobilisation massive des apiculteurs, de multiples ONG et de nombreux citoyens. Une interdiction devenue complète après que les multiples dérogations délivrées jusqu’alors – obtenues par un lobbying forcené de l’agroindustrie – ont été déclarées illégales par une décision du Conseil d’État de mai 2023.

Alors que la bataille paraissait donc gagnée pour les défenseurs des pollinisateurs, la proposition de loi Duplomb souhaite purement et simplement supprimer la partie de l’article L253-8 du Code rural et de la pêche maritime qui interdit les néonicotinoïdes et les substances actives présentant des modes d’action identiques.

Alors que pléthore de preuves scientifiques se sont accumulées pour démontrer la toxicité de ces molécules, cette proposition de loi pourrait signifier le retour sur le marché et l’utilisation en plein champ de l’acétamipride et de la flupyradifurone.

Cette proposition de loi, que la FNSEA et les JA ont déjà appelé à soutenir, devrait être discutée au Sénat en janvier 2025, après quoi elle sera envoyée à l’Assemblée nationale. Bouc-émissaire désigné du mal-être des agriculteurs, la protection de l’environnement n’est pourtant pas la raison des difficultés auxquelles beaucoup d’entre eux font face. La biodiversité est un pilier essentiel des productions agricoles, indispensable à la souveraineté alimentaire et sa protection doit être une priorité collective.