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Pesticides

PESTICIDES : LE SYSTÈME DE PROLONGATIONS SANS FIN DE L’UE MENACE LA BIODIVERSITÉ

Plus de 450 substances actives utilisées dans les pesticides sont aujourd'hui homologuées dans l'Union européenne. Autorisées une première fois pour 10 ans, environ un tiers d'entre elles bénéficient pourtant d'une mise sur le marché beaucoup plus longue, sans aucune prise en compte de leurs risques pour la santé ou l'environnement. POLLINIS conteste cette pratique de prolongation automatique au regard du principe de précaution.

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Date : 13 juillet 2023

453 substances activesEU Pesticide Database – site consulté en février 2023 utilisées dans les fongicides, les herbicides, les insecticides ou encore les bactéricides sont aujourd’hui homologuées au sein de l’Union européenne. Autorisées pour une durée initiale maximale de 10 ans, environ un tiers de ces substances bénéficient pourtant d’une durée de commercialisation beaucoup plus longue, sans respecter l’obligation de réévaluation de leurs risques prévue par la réglementation européenne.

Ainsi, POLLINIS a identifié 119 pesticides de synthèse – dont certains comportent des risques importants pour la santé humaine et l’environnement – faisant l’objet, à ce jour, d’une prolongation administrative (sans réexamen) de leur homologation. Depuis 2011, 35 substances, finalement interdites à cause de leur toxicité, ont par ailleurs été prolongées jusqu’à sept ans.

Ces substances sont donc maintenues sur le marché malgré l’expiration de leur approbation initiale et sans aucune prise en compte de leurs risques pour la santé ou l’environnement. La légalité de cette pratique de prolongation automatique est contestée – au regard notamment du principe de précaution – par POLLINIS qui a déposé un recours devant le Tribunal de l’Union européenne afin de faire annuler la prolongation d’autorisation d’un fongicide SDHI, le boscalid.

Les failles de la réglementation européenne : prolongations automatiques et délais de grâce

L’Union européenne représente un des principaux marchés pour les pesticides dans le monde : chaque année, environ 350 000 tonnes y sont vendues, soit près d’un quart des ventes mondialesEurostat.

Pour être autorisées, les substances actives qui composent les pesticidesUne formulation de pesticide est composée d’une ou plusieurs substances actives associées à des coformulants, adjuvants, phytoprotecteurs et synergistesfont l’objet d’une évaluation censée assurer que leur usage et leurs résidus n’aient pas d’effets nocifs sur la santé humaine et animale, ni d’effets inacceptables sur l’environnement – comme prévu par le règlement relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiquesRèglement (CE) N° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil..

Leur approbation est « valable pour une période n’excédant pas dix ans » (Art. 5) et peut être renouvelée si le fabricant en fait la demande, au plus tard trois ans avant l’expiration de l’homologation initiale. Un délai nécessaire pour réévaluer les risques de la substance pour la santé humaine et pour l’environnement. Si l’évaluation ne peut être réalisée dans les temps, l’article 17 du règlement prévoit alors que l’autorisation puisse être prolongée « pendant une période suffisante pour permettre l’examen », si ce retard est dû à « des raisons indépendantes de la volonté du demandeur ».

Enfin, à l’issue de ces périodes de prolongation, la substance non renouvelée ne sera pas pour autant immédiatement retirée du marché. Afin de ne pas pénaliser ni les firmes qui les commercialisent ni ses utilisateurs, la substance bénéficie ainsi systématiquement de mesures transitoires et d’un « délai de grâce » qui permettent de la maintenir sur le marché pendant six mois au plus, ce à quoi peut s’ajouter un délai maximal d’un an pour son stockage et son usage.

Prolongations_Sans_Fin

Des prolongations systématisées qui bénéficient aux firmes de l’agrochimie

Censé être limité à des cas exceptionnels, le recours aux prolongations prévues par la loi européenne est toutefois devenu massif et systématique, sur fond de retards chroniques dans la procédure de renouvellement des substances.

Dans les décisions successives de prolongation des autorisations, la Commission européenne n’étudie pas les causes de non-respect des délais, et semblent octroyer de manière automatique les prolongations en cas de retard dans la procédure de réévaluation des risques.

Le Parlement européen l’a d’ailleurs pointé du doigt dans une résolution de 2020, concernant les prolongations accordées à 26 substances actives, parmi lesquelles le boscalid. Les eurodéputés y considèrent en effet « que la Commission n’a pas justifié [leur] prolongation, se contentant d’affirmer que “L’évaluation de toutes ces substances ayant été retardée pour des raisons indépendantes de la volonté des demandeurs, il apparaît que les approbations de ces substances actives expireront avant l’adoption d’une décision de renouvellement” »Résolution du Parlement européen - 10 juillet 2020.

En recherchant, sur la plateforme d’accès à la législation de l’Union européenne EUR-Lex, les règlements en vigueur pour les 453 substances actives autorisées en Europe, POLLINIS a identifié 180 substances – dont 119 pesticides de synthèse – bénéficiant à ce jour de prolongationsCe chiffre n’inclut pas les substances encore autorisées au titre de leur approbation initiale, et qui bénéficient d’ores et déjà d’une prolongation..

34 d’entre elles ont vu leur approbation prolongée à plusieurs reprises depuis au moins 5 ans.

Des pesticides potentiellement nocifs maintenus le plus longtemps possible sur le marché

Ce système de prolongation permet d’étendre l’utilisation de substances sans aucune prise en compte des risques pour la santé humaine et l’environnement, en violation du principe de précaution pourtant prévu dans l’article 4 du règlementLa considération (24) du règlement prévoit également que « lors de la délivrance d’autorisations pour des produits phytopharmaceutiques, l’objectif de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, en particulier, devrait primer l’objectif d’amélioration de la production végétale ». et par les traités européens.

De fait, des substances ayant bénéficié de cette pratique de prolongation systématique se sont avérées, à l’issue du processus de réévaluation, présenter des risques importants pour la santé et/ou l’environnement. Ainsi, 35 substances actives autorisées après les années 2000 et finalement interdites en raison de risques avérés et/ou du manque de données dans l’évaluation, ont bénéficié de prolongation(s) s’étendant sur un à sept ans après l’expiration de leur autorisation initialePour 6 de ces substances, des extensions ont été accordées par un amendement à la directive 91/414/EEC, qui régissait la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dans l’UE avant l’entrée en vigueur et l’application par les États-membres du nouveau règlement CE N° 1007/2009..

POLLINIS_Substances_toxiques_interdites_apres_prolongations
*Ces substances ont bénéficié de prolongations dans le cadre d’un amendement de la directive 91/4141/EEC, qui régissait la mise sur le marché des pesticides dans l’Union avant le règlement 1107/2009. ** L’autorisation initiale du famoxadone s’étendait sur treize ans.

La béta-cyfluthrine a ainsi été utilisée pendant plus de 17 ans – dont plus de sept ans d’extensions et de période de grâce – avant d’être interditeRèglement d’exécution (UE) 2020/892 de la Commission du 29 juin 2020 en raison de :

• Risques inacceptables pour les travailleurs chargeant et semant les graines enrobées avec cette substance ;
• Hauts risques pour les résidents, les arthropodes non-ciblés et les organismes aquatiques autour des champs de patate et de blé où elle était appliquée ;
• Risques inacceptables pour les opérateurs et les travailleurs lorsque la substance était utilisée pour des cultures de tomates en serre, et pour les arthropodes non-ciblés pour des cultures de tomates en serre non-permanente.

En cumulant les périodes de prolongation et de grâce, les 35 substances finalement interdites ont été commercialisées et utilisées pendant plus de cinq ans en moyenne après l’expiration de leur approbation.

32 de ces substances ont été finalement interdites pour les risques qu’elles posaient sur la santé et/ou l’environnement. Pour 19 d’entre elles (54 %), le rejet de la demande de renouvellement était motivé par des risques pour la santé humaine, dont trois cas en raison de risques inacceptables. Quatre substances
sont également classées comme cancérigènes, trois comme perturbateurs endocriniens et six comme reprotoxiques.

POLLINIS_Motifs_Interdiction_Pesticides
Raisons invoquées pour refuser le renouvellement de l’approbation d’une substance active, en pourcentage parmi les 35 substances actives ayant bénéficié de prolongations avant d’être interdites. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour un même refus.

Faire interdire les prolongations automatiques des pesticides : POLLINIS dépose un recours à la CJUE contre le boscalid

Commercialisé par la firme BASF, le boscalid fait partie des pesticides de synthèses bénéficiant de ce système illégal. Au 31 juillet 2023Règlement d’exécution (UE) 2022/708 de la Commission du 5 mai 2022., ce fongicide SDHI aura déjà bénéficié de 5 ans de commercialisation sans réexamen des risques.

Depuis sa première approbation, des recherches scientifiques ont pourtant montré les dangers liés à l’usage de cette substance. En novembre 2018, le rapport préliminaire de réévaluation du boscalid avait notamment identifié une zone d’inquiétude critique concernant les risques de la substance pour les enfants résidant aux abords des cultures de raisin, de petits pois et d’haricots où elle est appliquée, ainsi qu’un risque pour le développement des abeillesNov. 2018, Draft Renewal Assessment Report prepared according to the Commission Regulation (EU) N° 1107/2009. BOSCALID Volume 1. RMS: Slovakia. Co-RMS: France..

Face à ces risques, et compte tenu du fonctionnement des pesticides SDHI qui bloquent la respiration cellulaire, 450 scientifiques ont signé un appel en janvier 2020Le Monde. Pesticides SDHI : 450 scientifiques appellent à appliquer le principe de précaution au plus vite. 21 janvier 2020. demandant la fin de l’utilisation de ces pesticides en plein air.

Les prolongations systématiquement accordées au boscalid sont contraires au principe de précaution et menacent directement la santé humaine, la santé animale et l’environnement. Après avoir soumis une demande de réexamen interne à la Commission européenne, POLLINIS a déposé le 16 février 2023 un recours contre son refus de revoir sa décision de prolonger l’autorisation du boscalid devant le Tribunal de l’Union européenne.

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