Pesticides / SDHI
Les études scientifiques s’accumulent sur les effets néfastes des fongicides SDHI
Alors que les fongicides SDHI sont toujours commercialisés depuis l’alerte de scientifiques en 2017, les nouvelles études sur leur toxicité s’accumulent, révélant l'incapacité des tests règlementaires à détecter leurs effets néfastes. Abeilles, poisson zèbre, vers de terre… les données récentes montrent que ces substances, censées tuer uniquement les champignons, affectent en réalité l'ensemble du vivant.
Les fongicides SDHI, produits phare de l’agrochimie pour éliminer champignons et moisissures, sont toujours déversés en quantité industrielle dans les champs, en dépit de l’alerte scientifique sur les risques liés à ces pesticides donnée dès 2018.
Alors que le statu quo persiste au niveau des agences françaises et européennes en charge de l’évaluation de ces substances, la recherche poursuit ses travaux sur la toxicité de ces produits. Depuis 2019 et la publication de l’article de Paule Bénit, ingénieure de recherche à l’INSERM, démontrant in vitro l’effet toxique très inquiétant de ces pesticides sur des cellules humaines et animales, plusieurs dizaines d’études scientifiques ont été publiées sur les SDHI, apportant de nouvelles preuves irréfutables de leur dangerosité.ule
En 2017, Paule Bénit et Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS/INSERM, tous deux spécialistes des maladies mitochondriales, avaient lancé une alerte sur le mode d’action des SDHI, qui consiste à bloquer la respiration des cellules, et potentiellement agir sur les cellules de quasiment tous les organismes vivants. Or, perturber les mécanismes respiratoires vitaux des cellules, au sein des mitochondries, peut déclencher divers impacts dramatiques dans un organisme.
Lors du processus d’homologation des SDHI, les risques potentiels de ces molécules sont passés sous le radar des agences règlementaires, dont les tests sont incomplets et inadaptés au mode d’action de ces substances. En se fondant principalement sur ces évaluations officielles, et sans prendre en compte le mécanisme d’action très particulier des SDHI sur les cellules, l’ANSES, l’agence sanitaire française, avait conclu en 2019 à « l’absence d’éléments » pour appliquer le principe de précaution et retirer du marché ces pesticides. POLLINIS s’est alors associée aux chercheurs Paule Bénit et Pierre Rustin pour déposer une pétition au Parlement européen, ce qui a permis au dossier des SDHI de garder une place sur l’agenda politique.
Aujourd’hui, une nouvelle salve d’études scientifiques viennent documenter les effets toxiques des SDHI sur les cellules humaines et sur l’environnement, rappelant l’urgence de leur interdiction. Dans le domaine de la santé humaine, la chercheuse Donatienne d’Hose, de l’Université catholique de Louvain à Bruxelles, a, par exemple, mis en évidence qu’une exposition à court terme au boscalid et au bixafen, les deux SDHI les plus utilisés, provoquait des dysfonctionnement des mitochondries dans les cellules humaines1. Wanda van der Stel, chercheuse de l’université de Leiden aux Pays-bas, a également observé que les molécules SDHI carboxin, thifluzamide, mepronil, fenfuram et flutolanil affectaient in vitro la fonction respiratoire mitochondriale dans les cellules humaines2.
Toxiques pour le poisson zèbre
Concernant les effets sur le milieu aquatique, les chercheurs Constantin Yanicostas (INSERM ) et Nadia Soussi-Yanicostas (CNRS) ont mené une revue des connaissances de la toxicité pour le poisson zèbre (Brachydanio rerio) de neuf fongicides SDHIbixafen, boscalid, fluxapyroxad, flutolanil, isoflucypram, isopyrazam, penthiopyrad, sedaxane et thifluzamide couramment utilisés3. Ces scientifiques ont répertorié, dans leur synthèse publiée en 2021, de multiples effets indésirables « chez les embryons, les larves/juvéniles et/ou les adultes, parfois à des concentrations pertinentes » pour l’environnement.
Les effets indésirables comprennent notamment la toxicité pour le développement, les anomalies cardiovasculaires, les lésions hépatiques et rénales, le stress oxydatif, les déficits énergétiques, les modifications du métabolisme, la microcéphalie, les défauts de croissance des axones – la fibre nerveuse des neurones – ou encore l’apoptose, c’est-à-dire la mort cellulaire programmée.
Par ailleurs, « d’autres voies d’effets indésirables, impliquant peut-être des cibles moléculaires insoupçonnées, sont également suggérées. » Les chercheurs estiment que « le manque de spécificité d’espèce de ces fongicides soulève des inquiétudes quant à leur toxicité envers les organismes non ciblés et, plus généralement, envers l’environnement. »
Vers de terre et abeilles impactés
La vie des sols peut aussi être dégradée par ces substances. Ainsi les nématodes, petits vers minuscules des sols, sont affectés par les SDHI. Selon les analyses de Fabien Schmitt, de l’université de Giessen en Allemagne, l’exposition au SDHI fluopyram, utilisé notamment pour lutter contre l’oïdium, diminue la résistance au stress thermique de Caenorhabditis elegans. Elle affecte l’expression des gènes de la longévité et le métabolisme énergétique4, et provoque un stress oxydatif, des dommages intestinaux ainsi qu’une apoptose5. La molécule, en combinaison avec le tébuconazole, se montre aussi extrêmement toxique pour les vers de terre non ciblés E. Andrei, selon Mirna Velki, de l’université d’Osijek en Croatie6.
Les pollinisateurs, maillon essentiel des écosystèmes, ne sont pas épargnés par ces molécules. En effet, le boscalid, l’un des SDHI les plus étudiés, se montre toxique pour les abeilles domestiques et sauvages. En combinaison avec un autre fongicide, la pyraclostrobine, il affecte le développement larvaire de l’abeille maçonne, Osmia lignaria 7. Le boscalid réduit significativement le taux d’alimentation en pollen et réduit la survie chez les abeilles mellifères en fonction des quantités absorbées8.
Le produit Pristine, qui se compose de boscalid et de pyraclostrobin, a des effets sublétaux importants sur les performances d’apprentissage des abeilles 9. Sa consommation par les colonies d’abeilles a un impact sur la taille de la colonie et sur le comportement de butinage, en affectant à la fois les larves et les adultes. Elle réduit de manière significative la durée de vie des ouvrières et la taille de la colonie, avec des effets négatifs sur la santé observés même aux doses les plus faibles. «Les effets négatifs de l’exposition aux fongicides se produisent pendant de courtes durées d’exposition, ce qui indique la nécessité de réévaluer ces pesticides », conclut Adrian Fisher, auteur de ces études 10.
Face à ces impacts négatifs potentiels pour la santé et avérés pour la biodiversité, étayés par la science, POLLINIS demande aux autorités publiques de prendre des mesures d’urgence, en imposant un moratoire sur les SDHI et une réévaluation de ces molécules. Après un premier examen de sa requête devant la commission des pétitions du Parlement européen en 2020, POLLINIS défendra de nouveau ces demandes devant les eurodéputés de cette même commission en mars 2022, et espère susciter un débat plus large au sein du Parlement européen sur les failles du système d’homologation des pesticides.
Liste des études citées dans l’article
1. D’hose et al. 2021. The Short-Term Exposure to SDHI Fungicides Boscalid and Bixafen Induces a Mitochondrial Dysfunction in Selective Human Cell Lines, Molecules.
2. van der Stel et al. 2020. Multiparametric assessment of mitochondrial respiratory inhibition in HepG2 and RPTEC/TERT1 cells using a panel of mitochondrial targeting agrochemicals, Archives of Toxicology.
3. Yanicostas, C., & Soussi‐Yanicostas, N. 2021. SDHI Fungicide Toxicity and Associated Adverse Outcome Pathways: What Can Zebrafish Tell Us? International Journal of Molecular Sciences.
4. Schmitt et al. 2021. Effects of Pesticides on Longevity and Bioenergetics in Invertebrates—The Impact of Polyphenolic Metabolites. International Journal of Molecular Sciences.
5. Liu, Y., Zhang, W., Wang, Y., Liu, H., Zhang, S., Ji, X., & Qiao, K. (2022). Oxidative stress, intestinal damage, and cell apoptosis: Toxicity induced by fluopyram in Caenorhabditis elegans. Chemosphere, 286 (Pt 3).
6. Velki, M. et al. 2019. Acute toxicities and effects on multixenobiotic resistance activity of eight pesticides to the earthworm Eisenia andrei. Environmental Science and Pollution Research International.
7. Kopit et al. 2021. Effects of Provision Type and Pesticide Exposure on the Larval Development of Osmia lignaria (Hymenoptera: Megachilidae). Environmental Entomology.
8. Fisher, A. et al. 2021. The active ingredients of a mitotoxic fungicide negatively affect pollen consumption and worker survival in laboratory-reared honey bees (Apis mellifera). Ecotoxicology and Environmental Safety.
9. DesJardins et al. 2021. A common fungicide, Pristine®, impairs olfactory associative learning performance in honey bees (Apis mellifera), Environmental Pollution.
10. Fisher, A. et al. 2021. Field cross-fostering and in vitro rearing demonstrate negative effects of both larval and adult exposure to a widely used fungicide in honey bees (Apis mellifera), Ecotoxicology and Environmental Safety.
Cet article vous a intéressé ? Pour aider POLLINIS dans son combat contre les pesticides SDHI, vous pouvez :
RESTER INFORMÉ ET PARTICIPER À NOS ACTIONS SUR CE THÈME