Transparence et démocratie / Opacité de l'UE
Au SCoPAFF, le sort des abeilles se décide une nouvelle fois à huis clos
Alors que la Commission européenne pourrait être définitivement contrainte par la justice à la transparence sur le scandale du blocage des « tests abeilles », les négociations sur ces protocoles scientifiques évaluant la toxicité des pesticides sur les pollinisateurs ont de nouveau repris les 2 et 3 octobre au sein du SCoPAFF, dans la plus grande opacité. Une condamnation de l’exécutif européen dans le cadre du recours mené par POLLINIS pourrait forcer la réforme de ce comité technique.
La même histoire se répète, 11 ans plus tard. Depuis le 2 octobre, les « tests abeilles » sont de nouveau débattus par les représentants des États membres de l’Union européenne. La précédente version de ces protocoles d’évaluation des risques des pesticides sur les abeilles, présentée en 2013 par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), avait fait l’objet d’âpres négociations menées à huis clos, d’un blocage inexpliqué, puis d’un abandon pur et simple du document en 2019.
Pourtant, c’est de nouveau à huis clos, au sein du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale (SCoPAFF ou Paff committee en anglais), composé d’experts désignés par les États membres de l’UE et présidé par la Commission européenne, que se déroulent les discussions sur une version mise à jour des « tests abeilles » (EFSA Bee Guidance Document), élaborée après ce premier échec. Malgré l’importance majeure de ces discussions pour la préservation de la biodiversité, les positions et les votes des membres du comité ne font pas l’objet de comptes rendus publics.
Pour comprendre les raisons du blocage des protocoles de 2013, POLLINIS avait demandé l’accès aux divers documents portant sur les positions et les votes au sein du comité, puis lancé une action en justice en juin 2020 après avoir essuyé plusieurs refus de la Commission européenne. Condamnée en première instance en septembre 2022 par le tribunal de l’UE, la Commission a fait appel de la décision, mais pourrait bien voir le jugement confirmé par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).
Une telle décision obligerait l’institution à davantage de transparence sur le contenu des négociations du SCoPAFF. Un scénario d’autant plus probable que les conclusions rendues en juin 2024 par l’avocat général de la CJUE ont confirmé le raisonnement du tribunal de l’Union européenne, et proposent à la Cour de condamner la Commission. L’avocat général est chargé de formuler un avis non contraignant, mais celui-ci est souvent suivi par les juges.
Tenue à l’exécution du jugement de première instance malgré l’appel en cours, la Commission a transmis les documents demandés à POLLINIS, qui les a analysés dans le cadre d’une enquête sur le rôle de l’agrochimie dans le scandale des tests abeilles. Les révélations de l’ONG démontrent ainsi que les arguments utilisés par plusieurs membres du comité se sont étroitement alignés sur ceux de l’industrie des pesticides. Ainsi, les critiques des représentants des États membres se sont notamment concentrées sur la portée trop contraignante de l’objectif de protection des abeilles mellifères. Cette critique initialement portée par l’agrochimie a été l’un des changements majeurs opérés dans le nouveau document-guide, discuté au SCoPAFF en ce moment-même.
Le taux de mortalité – lié à l’exposition à un pesticide – considéré comme acceptable pour une colonie d’abeilles mellifères est en effet passé de 7 % à 10 %. Cet affaiblissement, ainsi que d’autres reculs significatifs consécutifs au blocage, font de la version publiée en 2023 une mouture moins protectrice que la précédente. Un cas très concret qui illustre l’importance de renforcer la transparence des institutions, pour obtenir des décisions réellement protectrices de la biodiversité.
Exigez la transparence pour sauvegarder la biodiversité
Une victoire finale devant les juridictions européennes pourrait obliger la Commission à lever le voile sur les décisions du SCoPAFF, et mettre les Etats membres face à leurs responsabilités.