Biotechnologies génétiques / Nouveaux OGM
Dérégulation des nouveaux OGM : la fin de l’agriculture biologique ?
Le 5 juillet 2023, la Commission européenne a publié une proposition de règlement qui exonère la majorité des nouveaux OGM de toute obligation d'évaluation des risques, de traçabilité et d’étiquetage. Cette dérégulation pose deux problèmes majeurs : la disparition de l’agriculture biologique et le non-respect de la liberté de choix des agriculteurs et des consommateurs. Car sans garde-fou, les nouveaux OGM pourront s’immiscer partout, même dans les produits issus de l’agriculture biologique.
La Commission européenne proposait en juillet 2023 un règlement pour faciliter la mise sur le marché des nouveaux OGM (organismes génétiquement modifiés). Ces produits issus des nouvelles techniques génomiques (NGT – en anglais) peuvent voir leur génome modifié sans insertion de transgènes« Le principe de la transgénèse est de transférer un gène de n’importe quelle espèce dans n’importe quelle autre espèce en s’affranchissant de la reproduction sexuée »Infogm (15 juillet 2014), et pourraient être disséminés partout dans l’Union européenne sans évaluation des risques, ni traçabilité ou étiquetage. La majorité des plantes issues de NGT serait alors considérées comme équivalentes aux plantes conventionnelles, et ne subirait pas les restrictions qui encadrent les OGM actuellement.
Cette proposition menace directement l’agriculture biologique et paysanne : les plantes OGM peuvent en effet contaminer les autres végétaux via la pollinisation et via des erreurs humaines le long de la chaîne d’approvisionnement. Par exemple, une abeille qui butine dans un champ de plantes obtenues par des NGT pourrait transporter le pollen contaminé à des cultures biologiques aux alentours. Sans régulation stricte, l’agriculture sans OGM disparaîtra.
L’agriculture bio est incompatible avec les OGM, anciens et nouveaux
Historiquement, la filière de l’agriculture biologique a lutté contre l’utilisation des OGM. Il s’agit avant tout d’un mouvement politique pour une agriculture respectueuse de la nature, inscrite dans la lignée de l’agriculture paysanne. Née dans les années 1920, l’agriculture biologique se base sur des principes écologiques : en réaction au développement de l’agriculture productiviste, elle adopte une démarche respectueuse des écosystèmes en restreignant strictement l’usage d’intrants de synthèse, en opérant une rotation des cultures et en conservant des habitats pour la biodiversité.
Les cultures génétiquement modifiées sont contraires à ces principes : l’agriculture conventionnelle qui y a recours participe au développement des monocultures, à la privatisation du vivant et à la déstabilisation des écosystèmes à cause de plantes et d’insectes devenus tolérants aux intrantsFNAB (15 décembre 2023). Ce modèle menace également l’autonomie en semences des agriculteurs puisque quatre firmes de l’agrochimie, Bayer, Syngenta, Corteva et BASF, concentrent 60 % des parts de marchéTristan Gaudiat (15 septembre 2023).
C’est pourquoi lorsque les agriculteurs bio voient apparaître les premiers OGM, ils s’opposent à ces semences produites en laboratoire. Dès les années 1990, des associations écologistes et des agriculteurs demandent ainsi un moratoire sur l’utilisation commerciale des OGM en France Institut français de l’environnement (2002). Puis en 2007, une directive européenne inscrit l’interdiction de l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés dans le cahier des charges de l’agriculture biologique« Les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les produits obtenus à partir d’OGM ou par des OGM sont incompatibles avec le concept de production biologique et avec la perception qu’ont les consommateurs des produits biologiques. Ils ne devraient donc être utilisés ni dans l’agriculture biologique ni dans la transformation des produits biologiques ».Règlement 834/2007.
L’UE définit un OGM comme un « organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle »Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement. Mais avec l’émergence, dans les années 2010, des NGT qui permettent d’augmenter le type de mutations possibles, la Commission européenne se questionne sur leur inclusion dans cette définition.
Dès 2020, elle entame une réforme du statut réglementaire des nouveaux OGM, estimant que « la législation actuelle sur les OGM, qui date de 2001, n’est pas adaptée à ces technologies innovantes » « Pour la Commission européenne, la loi sur les OGM « n’est pas adaptée » aux nouvelles biotechnologies »Le Monde (30 avril 2021). Après deux consultations publiques biaisées en faveur de l’industriePollinis (2022), elle propose finalement de déréguler les plantes issues des NGT le 5 juillet 2023, exonérant ces dernières des mesures d’évaluation des risques, de traçabilité et d’étiquetage applicables aux OGM première génération.
La révision proposée par la rapporteure de la commission Environnement du Parlement européen, Jessica Polfjärd (PPE), veut même autoriser les plantes issues de NGT en agriculture biologiqueProjet de rapport de Jessica Polfjärd (16 octobre 2023). Pour les représentants de la filière, c’est un non-sens. Ils se mobilisent à nouveau et se positionnent contre la proposition en déclarant que « la dérégulation des NTG reste une véritable menace pour le secteur de l’agriculture biologique. En effet, ces techniques OGM sont incompatibles avec les principes de la bio, c’est pourquoi elles sont aujourd’hui explicitement interdites en bio » « Nouveaux OGM: la bio en danger »Synabio (1er aout 2023). Dans une tribune du Monde du 6 décembre 2023 « Avec cette nouvelle loi les français auront d’immenses difficultés à accéder à une alimentation sans OGM »Le Monde (6 décembre 2023), plus de 150 distributeurs de produits biologiques se sont eux aussi opposés à la dérégulation des nouveaux OGM.
Les risques environnementaux des nouveaux OGM
Une étude de l’Agence fédérale allemande de conservation de la nature évoque déjà différents impacts potentiels des plantes issues des NGT sur les écosystèmesBohle, F., Schneider, R., Mundorf, J., Zühl, L., Simon, S., & Engelhard, M. (2023). Where Does the EU-Path on NGTs Lead Us?. Preprints. https://doi.org/10.20944/preprints202311.1897.v1. Elle indique par exemple que développer des plantes résistantes à différents stress (maladies, ravageurs, sécheresse…) pourrait également les rendre invasives, ou qu’améliorer certains traits esthétiques des fruits ou légumes, comme en empêcher le brunissement, pourrait en contrepartie affaiblir leur résistance à des pathogènes. Dans ce dernier cas, cela entraînerait indirectement l’augmentation de la quantité de pesticides à utiliser pour pallier ces faiblesses.
L’incontrôlable contamination par les plantes issues de NGT
Même si les plantes obtenues par des NGT n’étaient pas autorisées en agriculture biologique, ces nouveaux OGM, tout comme les anciens, peuvent contaminer les cultures biologiques et les plantes sauvages. Une dissémination incontrôlable et non circonscrite peut avoir lieu à la fois via la pollinisation et via des incidents humains tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
D’une part, le pollen d’une plante NGT pourra être transporté par des pollinisateurs ou par le vent et rencontrer une plante cultivée ou sauvage sexuellement compatible, qui transmettra les gènes modifiés à sa descendance. Ainsi, un producteur qui réutilise ses propres semences – une pratique courante en bio – ou un semencier inscrit dans une démarche biologique pourrait voir ses cultures contaminées et exprimer les traits génétiques de plantes issues de NGT quand bien même il s’oppose à ce principe. De pareilles contaminations ont déjà eu lieu dans plusieurs pays.
Au Canada, le colza GM est utilisé depuis 1995 et représente 95 % des plants cultivés en 2021M. Shahbandeh (6 octobre 2022). La culture de colza bio y est devenue quasi impossible car les risques de contamination sont trop élevésCBAN (Mars 2019)Mauro, I.J. and McLachlan, S.M. 2008. Farmer Knowledge and Risk Analysis: Postrelease Evaluation of Herbicide-Tolerant Canola in Western Canada. Risk Analysis 28(2), pp. 463–476doi:10.1111/j.1539-6924.2008.01027.x. En effet, le pollen du colza étant très volatil et pouvant voyager sur plusieurs kilomètres via les pollinisateurs, les semenciers GM n’ont pas réussi à endiguer sa contamination même en présence de zones tampon. La résistance aux herbicides, le trait du colza GM, s’est donc étendue à une grande partie des cultures canadiennes. Sauf quelques exceptions, les agriculteurs de colza bio sont maintenant dans l’incapacité de garantir des produits sans OGM notamment car le coût pour prévenir et gérer une contamination leur incombeHoyle, B. Canadian farmers seek compensation for « genetic pollution ». Nat Biotechnol 17, 747 (1999).https://doi.org/10.1038/11674.
Le même cas de figure s’observe en Espagne, le leader des OGM en Union européenne. Depuis une vingtaine d’années, les Espagnols ont vu disparaître le maïs biologique dans les régions de Catalogne et d’Aragon, devenues les eldorados du maïs génétiquement modifié MON810Binimelis, R. Coexistence of Plants and Coexistence of Farmers: Is an Individual Choice Possible?. J Agric Environ Ethics 21, 437–457 (2008).https://doi.org/10.1007/s10806-008-9099-4. Celui-ci représentait 21,1 % de la production nationale en 2021 « Europe statu quo des cultures ogm transgéniques » Infogm (23 novembre 2021). Dans ces deux régions, la coexistence est donc devenue impossible à tenir pour les agriculteurs car la contamination représente une perte économique trop importante quand leur production ne peut être vendue estampillée du label bioGreenpeace Espagne (Mai 2008)Oehen, Bernadette & Quiédeville, Sylvain & Stolze, Matthias. (2018). Socio-economic impacts of GMOs on European Agriculture..
Pour les producteurs européens de semences biologiques, la coexistence avec les OGM est donc quasi impossible : les pays qui, comme la France, en interdisent la culture sont des zones privilégiées pour ces semenciers certifiés. Si l’interdiction était levée sur les plantes issues de NGT, les coûts de production pour se protéger des contaminations et les risques élevés de devoir sacrifier des plants touchés compliqueraient d’autant plus le travail des sélectionneurs de semences.
D’autre part, une contamination par erreur est possible si des semences OGM sont disséminées par accident lors de la production, par la contamination de l’équipement agricole, lors du transport et de l’entreposage et pendant la transformation de denrées humaines et animales. Des contaminations OGM sont déjà observées régulièrement dans le monde et en Europe alors même que les mesures et les contrôles sont stricts« La France numéro 3 pour la contamination OGM des aliments »
Euractiv (5 novembre 2014) Price and Cotter: The GM Contamination Register: a review of recorded contamination incidents associated with genetically modified organisms (GMOs), 1997–2013. International Journal of Food Contamination 2014 1:5.https://doi.org/10.1186/s40550-014-0005-8.
Aux Etats-Unis, l’entreprise Scotts a par exemple conduit des essais en champs entre 1999 et 2005 pour de l’agrostide GM. Lors de ces tests, des graines ont été disséminées en dehors de la zone prévue et l’entreprise n’a pas notifié l’erreur aux autorités. En 2004, celles-ci ont retrouvé cette herbe, modifiée pour être résistante au glyphosate, à plusieurs kilomètres des lieux initiaux du testReichman JR, Watrud LS, Lee EH, et al. Establishment of transgenic herbicide-resistant creeping bentgrass (Agrostis stolonifera L.) in nonagronomic habitats. Molecular Ecology. 2006 Nov;15(13):4243-4255.DOI: 10.1111/j.1365-294x.2006.03072.x. Aujourd’hui, la contamination est encore en cours en Oregon car la nature de la plante rend difficile toute maîtrise de sa diffusion.
Autre exemple, en janvier 2022, des plants de colza OGM interdits en Union européenne ont été identifiés près du port de Rouen « Malgré l’interdiction européenne, du colza OGM a poussé en France en 2022 »Libération (2023). Une usine qui importe légalement du colza GM canadien pour le transformer en huile a laissé échapper des graines lors du transport. L’Agence sanitaire française (Anses), alertée par l’association Inf’OGM, a fait des prélèvements qui ont confirmé la présence de colza génétiquement modifié non autorisé dans la zone ANSES (17 janvier 2023).
Avec la dérégulation, ces contaminations pourraient s’intensifier et concerner de nombreuses cultures biologiques sans qu’elles soient détectées. Dans ce contexte, il sera impossible de garantir une agriculture biologique exempte de produits issus des NGT. Ni l’agriculteur, ni le consommateur ne sauraient s’ils tiennent entre leurs mains un produit génétiquement modifié.
Les droits au choix et à l’information bafoués par l’autorisation des nouveaux OGM
Le 11 décembre 2023, la commission Agriculture du Parlement européen a voté un avis pour supprimer tout étiquetage des semences issues de NGT et l’interdire sur les produits de consommation « It shall be prohibited to label consumer products as containing NGT products or having been developed using NGT. It shall furthermore be prohibited to use ‘negative labelling’ by labelling products as not containing or not having been developed using NGT »Commission Agriculture (12 décembre 2023). Aussi proposée par la rapporteure de la commission Environnement, l’absence d’étiquetage des semences issues de NGT mettrait les agriculteurs bio dans l’incapacité de choisir des graines qui n’ont pas subi de modification génétique. Sans cette liberté de choix, ils pourraient cultiver et vendre des céréales, des fruits et des légumes dont ils ignorent la composition.
Ces propositions vont à l’encontre de l’avis des citoyens qui indiquent vouloir être informés de la présence de nouveaux OGM dans leur alimentation. Dans un récent sondage de Greenpeace, 92 % des français interrogés ont déclaré souhaiter un étiquetage des produits alimentaires contenant des nouveaux OGMGreenpeace (2022).
Si les plantes obtenues par des NGT sont présentées comme des solutions aux effets du réchauffement climatique, elles perpétuent en réalité une agriculture conventionnelle prônant l’utilisation d’intrants de synthèse et la course aux rendements sans considérer les limites planétaires.
Alors que la Commission européenne souhaite qu’un quart des terres agricoles du continent soit converties en biologique en 2030, sa proposition de loi menace directement ce modèle nécessaire pour la transition agricole. Comme l’ont rappelé les scientifiques du réseau Lierre dans une récente tribune, l’agriculture biologique et l’agroécologie doivent être préservées et encouragées car ce sont elles qui représentent des alternatives viables « aux systèmes intensifs » qui menacent les pollinisateurs, la biodiversité et la santé humaine.
La dérégulation des nouveaux OGM met en péril l’agriculture biologique et les droits des consommateurs. Si les plantes obtenues par des NGT sont déversées sur le marché sans protection, la contamination incontrôlable déjà observée en Europe prendra une proportion gigantesque et irréversible. La liberté de choix des consommateurs qui voudraient protéger leur santé et leur environnement sera bafouée.
Face à ces problématiques, POLLINIS appelle au rejet de la proposition de la Commission européenne et demande aux représentants politiques français et européens d’adopter une position ferme contre toute tentative de soustraire les nouveaux OGM aux réglementations européennes existantes sur les OGM, afin de garantir la sécurité de nos aliments, la préservation de la biodiversité et notre liberté de choix.