fbpx

Pesticides / Justice pour le vivant

Justice pour le vivant : un procès historique contre l’État français

Alors que la sixième extinction de masse se déroule dans l’indifférence totale des pouvoirs publics, POLLINIS, Notre Affaire à Tous, ASPAS, Anper-Tos et Biodiversité sous nos pieds, ont attaqué en justice l’État français pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité. Les procédures défaillantes d’homologation des pesticides sont au cœur de ce combat judiciaire inédit.

CATÉGORIES :
Date : 22 avril 2022
AEL- N°14

Sur les autoroutes des vacances, la multitude d’insectes venant consteller les pare-brises des voitures au fil des kilomètres n’est plus qu’un lointain souvenir. Ce que les entomologistes qualifient de « syndrome du pare-brise » raconte un drame silencieux : celui de l’effondrement des populations d’insectes volants, dont la biomasse a décliné de 76 % dans les zones protégées d’Allemagne en trois décennies. Des taux qui sont généralisables à l’ensemble de l’Europe.

Dans le sillage des insectes volants, c’est en réalité l’ensemble de la biodiversité ordinaire qui connaît une érosion dramatique. Reptiles, batraciens, faune du sol comme les vers de terre, mais aussi oiseaux des champs ou encore petits mammifères : tous disparaissent à un rythme sans précédent, révélateur du niveau de dégradation de leurs habitats, les sols, l’eau ou l’air. Car depuis les années 60 et l’avènement d’une agriculture industrielle qui utilise massivement pesticides et engrais de synthèse, l’ensemble des écosystèmes a été progressivement contaminé par ces molécules chimiques, entraînant le dépérissement généralisé de la faune et de la flore.

Pollinis au congrès de l'UICN

Le dépôt des injonctions lors du congrès mondial de la nature de l’UICN à Marseille le 9 septembre 2021 ( première étape ). ©Philippe Besnard / POLLINIS

Face à ce que les études scientifiques s’accordent aujourd’hui à qualifier de sixième extinction de masse, POLLINIS s’est alliée à quatre associations engagées dans la défense de l’environnement, avec des expertises complémentaires : Notre Affaire à tous ( NAAT ), association de juristes à l’origine de l’Affaire du siècle, le procès sur le volet climat, l’Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel ( ASPAS ), l’Association nationale pour la protection des eaux & rivières ( ANPER-TOS ) et Biodiversité sous nos pieds. Ensemble, le 10 janvier 2022, ces associations ont saisi le tribunal administratif de Paris. Leur recours en carence fautive, Justice pour le Vivant, met directement en cause la responsabilité de l’État dans l’érosion de la biodiversité.

Un recours inédit

Ce recours cible la question de la mise sur le marché de pesticides dangereux pour l’environnement. Défaillant et obsolète, le système d’évaluation des risques des pesticides permet en effet l’homologation de produits toxiques pour le vivant. Et les preuves versées au dossier sont accablantes. En s’appuyant principalement sur la mesure de la toxicité aiguë, par exemple, c’est-à-dire l’impact de fortes doses sur une courte période, ces procédures négligent les effets chroniques et sublétaux, qui peuvent pourtant réduire drastiquement les chances de survie des pollinisateurs et jouer un rôle déterminant dans le déclin des populations.

Pour les abeilles, cette exposition diffuse aux pesticides entraîne des impacts dramatiques sur le développement larvaire, la reproduction, l’activité neuronale (olfaction, goût), la mobilité, le comportement alimentaire ou encore la longévité. De la même façon, les « effets cocktail », ces synergies entre les différents produits utilisés qui peuvent parfois décupler la toxicité des substances, ne sont pas étudiés. Par ailleurs, les effets indirects, qui découlent des relations d’inter- dépendance entre les espèces et les écosystèmes, restent totalement ignorés. Finalement, ces procédures n’évaluent qu’une infime partie des risques réels des pesticides. Et les espèces testées ne sont pas représentatives des espèces plus vulnérables…

Conséquence de ce système déficient, la pollution diffuse et généralisée de l’environnement est la cause majeure de la disparition de la biodiversité ordinaire. C’est le consensus qui se dégage d’un nombre toujours croissant de publications scientifiques. Moins visible que celle des grands fauves ou des ours polaires, cette disparition n’en est pas moins vertigineuse. Selon la liste rouge des espèces menacées de l’UICN, 41 % des amphibiens recensés sont menacés d’extinction.

En France, le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) estime qu’un tiers des oiseaux communs a disparu de l’hexagone en moins de 15 ans, dans le sillage de l’érosion des populations d’insectes, l’une de leurs sources de nourriture avec les graines et les baies, dont la formation se fait grâce aux pollinisateurs. Les résultats du programme de sciences participatives « Suivi temporel des oiseaux communs (STOC) » en 2019, ont montré que la chute la plus importante concerne les oiseaux spécialistes des milieux agricoles ( -29,5 % ), victimes directes de « l’intensification des pratiques agricoles ces dernières décennies, plus particulièrement depuis 2008-2009. Une période qui correspond entre autres à la généralisation des néonicotinoïdes, insecticides neurotoxiques très persistants ».

L’inaction coupable de l’État français

Le recours Justice pour le Vivant demande donc une révision complète de ce processus, ainsi que des mesures d’urgence pour faire retirer du marché les substances les plus dangereuses pour l’environnement, telles que les néonicotinoïdes, le glyphosate et les fongicides SDHI. Alors que POLLINIS lutte depuis des années pour obtenir des engagements contraignants en faveur d’une agriculture respectueuse des pollinisateurs et du vivant, le choix de l’outil judiciaire est motivé par le constat d’échec des politiques publiques.

En effet, malgré la multiplication des lois nationales et européennes pour la protection des écosystèmes et la réduction de l’usage des pesticides de synthèse, malgré la ratification de nombreux engagements internationaux tels que la Convention pour la diversité biologique de Rio ou les Objectifs d’Aichi, et même avec l’élévation par l’ONU, en octobre 2021, du droit à disposer d’un environnement propre au rang de droit humain fondamental, le statu quo perdure. Les promesses d’Emmanuel Macron et de ses prédécesseurs de réduire l’usage des pesticides, — tous les plans Écophyto —, sont restées lettre morte. Ces produits continuent d’être déversés dans les champs, chaque année, en toute connaissance de cause.

C’est donc un sentiment d’urgence qui a poussé les associations à agir en justice. Car si la tendance ne s’inverse pas rapidement, les conséquences seront catastrophiques pour l’ensemble des espèces, mais aussi pour l’humanité. Outre la perte de la beauté et de la diversité de la nature, l’effondrement de la biodiversité engendrera celle de services inestimables rendus par les pollinisateurs — abeilles, papillons ou bourdons — responsables de la fécondation des plantes à fleurs et de plus de 80% des cultures alimentaires en Europe, ou par les vers de terre dont l’activité assure la fertilité des sols.

Comme dans l’Affaire du siècle, dans laquelle les juges ont qualifié de « faute » l’incapacité de l’État français à tenir ses engagements sur la réduction des gaz à effet de serre entre 2015 et 2018, Justice pour le Vivant espère obtenir un jugement à la hauteur des enjeux. Ce recours permettrait alors d’obliger, dès à présent, les représentants politiques à amorcer un changement radical dans la manière de produire notre nourriture. Une transition de notre modèle agricole pour laquelle les plans de transition existent déjà. La seule alternative viable si l’on ne veut pas transmettre aux générations futures un monde devenu silencieux.

 

AEL- N°14→ Cet article a été rédigé par POLLINIS pour le magazine Abeilles en liberté, une revue consacrée aux abeilles et pollinisateurs, pour initier et accompagner des solutions nouvelles et alternatives. CLIQUEZ ICI POUR DÉCOUVRIR CETTE REVUE.