Pesticides / SDHI
Fongicides SDHI : ces pesticides, très utilisés en France, sont un poison pour les abeilles mellifères et sauvages
Massivement utilisés pour tuer les champignons et moisissures dans les cultures, les pesticides de la famille des SDHI ont des effets néfastes sur un grand nombre d’espèces et notamment les pollinisateurs. Malgré les alertes des scientifiques et l’accumulation d’études prouvant leur toxicité, ils sont toujours commercialisés en France et partout en Europe.
Fluopyram, fluxapyroxad, boscalid… Ces noms n’évoquent rien au grand public, mais ils font pourtant partie d’une des familles de pesticides les plus répandues dans les champs français : les fongicides SDHI. En 2023, plus de 500 tonnes de ces produits ont été vendus sur le territoire. Aujourd’hui, ils sont utilisés sur environ 70 % des surfaces de blé tendre et 80 % des cultures d’orge d’hiver.
Si les fongicides de la famille des SDHI sont tant employés en agriculture, c’est parce qu’ils permettent de lutter contre les champignons et les moisissures : ces molécules empêchent la production de la succinate déshydrogénase (SDH, d’où vient l’appellation “SDHI”), une enzyme qui participe à la respiration cellulaire. En bloquant la respiration des cellules des champignons, les fongicides SDHI entraînent ainsi leur mort.
Une évaluation des risques insuffisante, malgré les alertes scientifiques
Problème : comme pour de nombreux pesticides, les SDHI n’agissent pas seulement sur les champignons, mais aussi sur une multitude d’autres organismes. Des chercheurs de l’Inserm ont lancé l’alerte dès 2017, en découvrant que ces fongicides n’empêchent pas seulement la respiration des cellules des champignons, mais aussi celle des cellules humaines et de vers de terre.
Depuis, les études scientifiques s’accumulent pour pointer les effets délétères de ces substances sur un grand nombre d’espèces, du poisson-zèbre à la souris. Des effets que les protocoles européens d’évaluation des risques des pesticides ne permettent pas de détecter, le mode d’action des SDHI n’étant pas correctement testé.
POLLINIS alerte sur ce scandale depuis 2018, avec le lancement d’une pétition européenne pour un retrait immédiat de ces substances partout sur le continent, rassemblant aujourd’hui plus de 450 000 signatures. L’association s’oppose également devant la Cour de justice de l’UE à la prolongation de l’autorisation de mise sur le marché d’un fongicide en particulier, dont on retrouve fréquemment des traces dans les ruches : le boscalid. Depuis son expiration en 2018, l’autorisation de cette substance est systématiquement renouvelée par dérogation chaque année, sans nouvelle évaluation des risques.
Boscalid : POLLINIS remporte une bataille contre l’agrochimie devant le Tribunal de l’UE
En février 2023, POLLINIS avait déposé un recours devant le Tribunal de l’UE, pour dénoncer une prolongation d’autorisation de mise sur le marché accordée au boscalid. Cette procédure permet de maintenir en vente des produits après l’expiration de leur autorisation, en attendant l’étude de leur demande de renouvellement. Mais elle est utilisée de façon abusive par la Commission européenne. Ainsi, le boscalid, dont l’autorisation a expiré en 2018, bénéficie d’une prolongation jusqu’en 2026, sans nouvelle évaluation des risques.
Ce 19 novembre, le Tribunal de l’UE a tranché en faveur de POLLINIS et rappelé la Commission européenne à l’ordre : la prolongation de l’autorisation d’une substance doit rester « provisoire et exceptionnelle », elle « ne peut être appliquée de manière automatique, voire systématique ».
Hausse de la mortalité, troubles du comportement… Des effets délétères pour les pollinisateurs
À l’instar du boscalid, huit autres fongicides SDHI sont toujours commercialisés en France et en Europe, en dépit de la multiplication des alertes scientifiques sur leur toxicité. Aujourd’hui, de nombreuses études démontrent par exemple leurs effets destructeurs pour les pollinisateurs.
En 2023, après la découverte d’une hausse de la mortalité des abeilles mellifères utilisées pour polliniser les amandiers aux Etats-Unis, des chercheurs de l’Ohio se sont intéressés aux effets des SDHI sur ces insectes. Dans leur article, ils pointent la responsabilité du cocktail de substances utilisées par les producteurs d’amandes, incluant le fluopyram et le boscalid. Leurs expériences montrent que ces fongicides, en combinaison avec des adjuvants, entraînent une « mortalité aiguë » des abeilles, à des doses équivalentes à celles appliquées dans les champs.
Le cyflumétofène – un autre fongicide SDHI notamment utilisé dans les cultures de pommes, de café et d’agrumes – est également pointé du doigt pour ses effets sur l’intestin des abeilles mellifères. Une étude, publiée en 2024 par des chercheurs brésiliens, souligne ainsi que l’exposition à la substance peut « compromettre la survie et la recherche de nourriture de ce pollinisateur ».
Les fongicides SDHI montrent également une toxicité sur plusieurs espèces d’abeilles sauvages. En combinaison avec un autre pesticide (le pyraclostrobin), le boscalid affecte ainsi le développement des larves de l’abeille maçonne (Osmia lignaria). Dans une autre étude, réalisée sur l’abeille uruçu (Melipona scutellaris) – une espèce d’abeille sauvage sans dard originaire du Brésil – une autre substance active de la famille des SDHI, le fluxapyroxad, a perturbé la mobilité et troublé le comportement des insectes, causé des lésions dans leurs intestins et provoqué « une mortalité élevée » de l’espèce.
Le boscalid, particulièrement toxique pour les abeilles
Dans les récentes études sur la toxicité des SDHI pour les abeilles, le nom d’une molécule ressort particulièrement : le boscalid, l’un des fongicides le plus fréquemment retrouvé dans les ruches.
Selon une étude française publiée en 2023, l’exposition des reines de colonies d’abeilles mellifères à cette substance, à des doses similaires à celles utilisées dans les cultures, a conduit à « une augmentation spectaculaire de la mortalité », perturbant de fait la reproduction de l’espèce. Les reines qui ont survécu au contact du fongicide ont ensuite fondé des colonies davantage exposées au stress nutritionnel, en raison d’une diminution de l’apport énergétique de la reine aux œufs. Les individus sont également devenus plus vulnérables au Varroa destructor, un acarien parasite de l’abeille.
Le fongicide Pristine, un mélange de boscalid et de pyraclostrobin produit par la firme agrochimique BASF, est également pointé du doigt dans plusieurs études pour ses effets délétères sur les abeilles mellifères. En 2022, des chercheurs américains ont examiné les effets de cette substance sur les abeilles ouvrières dans les ruches et ont remarqué que leur butinage débutait plus tôt en raison de l’exposition au fongicide, ce qui a réduit leur espérance de vie et diminué la taille des colonies. Une autre étude, réalisée avec des concentrations de produit équivalentes à celles utilisées dans les champs, pointe également une incidence négative de ce même pesticide sur les capacités de nutrition des abeilles ouvrières. Enfin, ce produit semble également perturber le mécanisme d’apprentissage des abeilles.
Face à cette accumulation de preuves, POLLINIS se bat pour faire entendre la voix de la science auprès des institutions européennes et exiger une évaluation des risques appropriée et exhaustive des fongicides SDHI. Au nom de la protection des pollinisateurs et de l’ensemble du Vivant, ces substances toxiques doivent immédiatement être retirées du marché.