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Pesticides / SDHI

Prolongations d’autorisation du boscalid : POLLINIS affronte Goliath à la CJUE

Ce jeudi 13 février, POLLINIS était à la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’un recours l’opposant à la Commission européenne, soutenue pour l'occasion par le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne, BASF et CropLife Europe, le lobby de l’agrochimie à Bruxelles. En juillet 2022, l’association avait attaqué la prolongation d’autorisation d’un pesticide SDHI fréquemment retrouvé dans les ruches, le boscalid.

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Date : 20 février 2025

Le boscalid fait partie des onze fongicides SDHI encore autorisés dans l’Union européenne. Comme toutes les molécules de cette famille, il cible une enzyme commune à tous les êtres vivants et nécessaire à la respiration des cellules, la succinate déshydrogénase (SDHLa SDH, pour succinate déshydrogénase, est présente chez de très nombreux êtres vivants. Elle intervient dans le complexe II de la chaîne respiratoire des mitochondries, permettant non seulement la respiration des cellules mais également la production d’énergie.). Un mode d’action dont la toxicité n’est pas mesurée lors des évaluations réglementaires. 

Alors que les pesticides SDHI font à ce titre l’objet de nombreuses alertes scientifiques, POLLINIS a déposé deux recours contre le boscalid pour contester deux des six prolongations d’autorisation dont il a systématiquement bénéficié depuis 2018, année l’expiration initiale de son autorisation de mise sur le marché. 

Dans le cadre d’un de ces recours, l’association a plaidé, ce jeudi 13 février, devant le Tribunal l’Union européenne avec, face à elle, les avocats de la Commission européenne, du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne, de BASF et du lobby de l’agrochimie en Europe, CropLife. 

En attendant le verdict, qui pourrait tomber dans les prochains mois, POLLINIS revient ci-dessous sur les raisons de ces procès, et sur ses échanges contre Goliath.

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Ce jour-là, l’audience de plaidoiries rassemblait trois recours contre la Commission européenne, déposés respectivement par POLLINIS au sujet de la cinquième prolongation d’autorisation du boscalid, par PAN Europe au sujet de la sixième autorisation de la dimoxystrobine, et par l’ONG allemande Aurelia Stiftung au sujet de la troisième prolongation d’autorisation du glyphosate – ©POLLINIS

Pesticides : des prolongations d’autorisation systématiques

Pour être autorisées dans l’Union européenne, les substances actives qui composent les pesticides font l’objet d’une évaluation censée assurer que leur usage et leurs résidus n’aient pas d’effets nocifs sur la santé humaine et animale, ni d’effets inacceptables sur l’environnement – comme prévu par le règlement relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiquesRèglement (CE) N° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil

Ce règlement, colonne vertébrale de la législation sur les pesticides en Europe, prévoit ainsi que : 

  • La première approbation d’une substance active ne peut pas dépasser 10 ans ; 
  • Et que cette dernière peut être renouvelée si le fabricant en fait la demande au plus tard trois ans avant la fin de l’approbation, un délai prévu pour réévaluer les risques de la substance pour la santé humaine et pour l’environnement. 

Si cette réévaluation des risques ne peut être réalisée dans les temps, l’article 17 du règlement prévoit alors que l’autorisation puisse être prolongée « pendant une période suffisante pour permettre l’examen », si ce retard est dû à « des raisons indépendantes de la volonté du demandeur ».

En pratique, ces prolongations sont toutefois accordées systématiquement par la Commission européenne, étendant parfois significativement la durée de commercialisation de substances pesticides. Entre 2011 et 2023, 35 substances ont ainsi vu leur homologation étendue jusqu’à sept ans (huit en comptant la période de grâce) avant d’être interdites en raison de leur toxicité, une fois les tests réalisés.

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POLLINIS s’oppose aux prolongations systématiques

 

Ce graphique est extrait d’un rapport que POLLINIS a publié en 2023 pour dénoncer les incessantes prolongations d’autorisations des pesticides en Europe. 453 substances actives utilisées dans les fongicides, les herbicides ou encore les insecticides étaient alors homologuées au sein de l’Union européenne, et environ un tiers d’entre elles bénéficiaient d’une commercialisation beaucoup plus longue que prévue, sans respecter l’obligation de réévaluation de leurs risques prévue par la réglementation européenne. 

 

En ciblant les deux dernières prolongations octroyées au boscalid – un pesticide SDHI retrouvé fréquemment dans les ruches malgré ses impacts sur les colonies d’abeilles à miel –, POLLINIS espère donc mettre fin à un système sans fin menaçant la biodiversité et la santé humaine.

 

Lire le rapport

 

L’interprétation abusive de l’article 17 du règlement européen sur les pesticides

Dans ce procès qui l’oppose d’abord à la Commission européenneLe recours ne porte pas à cet égard sur la prolongation de l’autorisation du boscalid, mais plus précisément sur le rejet, par la Commission, de la demande de réexamen interne faite par POLLINIS au titre du règlement d’Aarhus., POLLINIS contredit – comme les deux autres associations présentes ce jour-là à la CJUE – l’interprétation biaisée et abusive que l’exécutif fait de l’article 17 du règlement sur les pesticides. En effet, le recours systématique et successif aux prolongations s’oppose en pratique à la volonté du législateur d’assurer un haut niveau de protection de la santé humaine et de l’environnement, la notion de « période suffisante pour permettre l’examen » ne pouvant pas être étendue sans fin.

Comment fixer, dès lors, la durée des prolongations ? Jusqu’à récemment, la Commission européenne étendait d’un an la durée de commercialisation des substances actives : si la procédure de renouvellement n’était toujours pas complète au terme de cette période, l’exécutif allongeait encore d’un an leur approbation. Ce schéma s’est par exemple répété cinq fois pour le boscalid qui a vu, année après année, son autorisation initiale étendue administrativement.

Si la Commission européenne dispose d’un pouvoir discrétionnaire en la matière, aucune conséquence ne vient encadrer les décisions de l’exécutif dans les cas où ses estimations seraient erronées. La sixième prolongation du boscalid, valable cette fois-ci pour trois ans, s’inscrit à ce titre dans un changement de pratiques plus large d’allongement des prolongations : ce dernier viserait davantage, à en croire les réponses de la Commission aux questions des juges, à offrir une meilleure visibilité économique pour les entreprises plutôt qu’à s’assurer que les dossiers de réévaluation soient complets dans des délais raisonnables.

L’ambivalence du Parlement européen

 

Si la présence du Conseil de l’UE et du Parlement européen aux côtés de la Commission peut s’expliquer par l’objet de ce recours – qui cible un règlement européen –, la position de l’hémicycle a de quoi surprendre. L’hémicycle a en effet publié, à plusieurs reprises, des résolutions critiquant des décisions de prolongations de substances actives, comme en 2019, en 2020 et en 2021.

 

Dans leur résolution de 2020, les eurodéputés regrettaient ainsi « que la Commission n’a pas justifié la prolongation, se contentant d’affirmer que “L’évaluation de toutes ces substances ayant été retardée pour des raisons indépendantes de la volonté des demandeurs, il apparaît que les approbations de ces substances actives expireront avant l’adoption d’une décision de renouvellement”»Résolution du Parlement européen - 10 juillet 2020.

L’absence de questionnement sur la responsabilités des industriels dans les retards

Un autre élément mis en avant par l’association tient à la responsabilité des firmes agrochimiques dans le retard pris pour réévaluer les risques des substances. Dans le cadre des prolongations successives qu’elle a accordées au boscalid, et malgré le fait que l’usage de l’article 17 requiert que le retard ne soit pas être attribuable au fabricant, la Commission européenne n’a jamais précisé pourquoi elle considérait que le retard dans le réexamen n’était pas imputable à la firme BASF.

POLLINIS, qui a accédé à des documents de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), a pourtant relevé que l’Agence avait effectué 122 demandes de compléments d’informations dans le dossier de réévaluation. À la suite de ces demandes, BASF a soumis environ 200 nouveaux documents et études à l’Autorité portant sur cinq domaines d’importance majeure pour l’évaluation des risques de la substance.

Malgré le nombre considérable de documents supplémentaires qui ont dû être demandés par l’EFSA dans le cadre de cette réévaluation, la Commission n’a pas vérifié si le retard dans la procédure pouvait être – même partiellement – imputable à BASF. Elle ne le fait d’ailleurs jamais, car elle considère qu’une entreprise demandant un renouvellement d’autorisation n’a aucun intérêt à retarder la procédure.

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L’audience a débuté à 9h30 et s’est composée de trois parties principales : les plaidoiries des avocats, les questions des juges et les remarques finales des avocats ©POLLINIS

L’exécutif rappelle pour sa défense que l’EFSA donne aux firmes un délai maximal d’un mois pour compléter, le cas échéant, leurs dossiers. Faute de quoi les données demandées ne seront pas incluses dans le dossier de réévaluation, et pourraient jouer en la défaveur du renouvellement. Pourtant, les demandes d’informations de l’EFSA allongent les étapes de validation scientifique et, a fortiori, les procédures de réévaluation des risques et les prolongations d’autorisation des substances actives.  

Sans entrer dans les détails d’une éventuelle responsabilité de BASF dans le retard de la procédure de renouvellement, les multiples échanges entre l’EFSA et la firme allemande prouvent, pour POLLINIS, que la Commission européenne aurait dû s’interroger sur les raisons de ce retard et expliquer, le cas échéant, dans quelle mesure ce dernier n’était pas imputable au producteur du boscalid.

L’importance de ces premiers recours

 

Les recours de POLLINIS et des deux autres associations présentes ce jour-là à la CJUE font partie des premiers à s’attaquer aux prolongations d’autorisation des pesticides en Europe. Par jurisprudence, leurs issues respectives pourraient s’avérer décisives pour huit procès similaires lancés entre temps par d’autres organisations.

 

Les bancs garnis de la défense témoignent à ce titre de l’importance de ces premiers recours, qui défraient un angle mort significatif de l’application du règlement sur les pesticides.

Les prolongations accordées au boscalid sont contraires au principe de précaution et menacent directement la santé humaine, la santé animale et l’environnement. Pour soutenir POLLINIS dans ses actions, 

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