Pesticides / Néonicotinoïdes

Proposition de loi Duplomb : POLLINIS répond aux mensonges des défenseurs de l’acétamipride

Absence d’alternatives, faible toxicité, présence dans les produits domestiques… De nombreuses fausses informations circulent autour de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes que la proposition de loi Duplomb souhaite réintroduire. Face à la minimisation des risques de cet insecticide, POLLINIS démêle le vrai du faux.

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Date : 24 juin 2025
Affiche POLLINIS : Non au retour des tueurs d'abeilles , les néonicotinoïdes

Ce 30 juin, la proposition de loi Duplomb sera examinée par 14 parlementaires en commission mixte paritaire, dernière étape avant un vote final à l’Assemblée nationale et au Sénat, prévu pendant l’été. Le texte vise notamment à réautoriser l’usage des néonicotinoïdes, en particulier de l’acétamipride, interdits en France depuis 2018.

Du Parlement aux plateaux de télévision, plusieurs fausses informations circulent pour minimiser les dangers de l’acétamipride. POLLINIS corrige cinq affirmations erronées, références scientifiques à l’appui, contre la désinformation qui s’installe.

Intox n°1 La France est plus stricte que les autres pays européens en matière d’interdiction de pesticides...


L'affirmation : « D’interdit en interdit, de contrainte en contrainte, d’entrave en entrave, de surtransposition en surtransposition, tout devient impossible ! » Laurent Duplomb, sénateur Les Républicains, lors de l’examen de sa proposition de loi le 27 janvier au Sénat.
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Dans les débats autour de la proposition de loi Duplomb, la lutte contre la « surtransposition » des normes européennes fait figure d’argument phare en faveur du retour des néonicotinoïdes dans les champs français. L’acétamipride, la substance que le texte propose de réintroduire, est effectivement toujours autorisée par l’Union européenne et ce jusqu’en 2033. Mais la France est bien loin d’être championne d’Europe en matière de surtransposition. En réalité, c’est l’un des États membres qui autorise le plus de pesticides sur son sol.

Selon la base de données officielle de la Commission européenne, sur les 422 substances actives autorisées dans l’UE, 298 sont autorisées en France. Un chiffre qui place le pays sur la deuxième place du podium européen des nations les plus permissives, ex-aequo avec l’Italie. Seule l’Espagne autorise davantage de substances (317). Selon les données de la FAO, rapportée au nombre d’hectares cultivés, la quantité de pesticides épandue dans les champs français est également supérieure à la moyenne européenne : 3,45 kg par hectare, contre 2,89 kg par hectare à l’échelle du continent.

Le vote pour la fin de tous les néonicotinoïdes en France dès 2016 était, en effet, précurseur en Europe. Mais elle n’est pas l’unique pays européen à avoir interdit l’utilisation de tous les types de néonicotinoïdes, ni même le premier. En Slovénie, les pesticides de cette famille ont été bannis dès 2011, au nom de la protection des abeilles. L’interdiction semble aujourd’hui avoir porté ses fruits : entre 2016 et 2021, le nombre de colonies d’abeilles sur le territoire a augmenté de 27 %.

Intox n°2 L’acétamipride a une faible persistance dans l’environnement...


L'affirmation : « L’acétamipride est une molécule considérée comme peu persistante dans l’environnement : elle a une durée de vie de huit jours dans les sols et de un à quatre jours dans l’eau. Après, elle a totalement disparu. » Géraldine Woessner, journaliste, dans l’émission « Et si l’économie sauvait l’écologie » diffusée le 20 mai sur Youtube.
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L’acétamipride est parfois présenté comme une substance peu toxique, qui se dégraderait rapidement dans l’environnement. Des études réalisées sur l’ensemble des néonicotinoïdes prouvent pourtant le contraire : seulement 5 % de la substance active de ces insecticides est absorbée par la plante, le reste se disperse dans l’environnement.

Dans les sols, en effet, la persistance de l’acétamipride semble faible. Sa demi-vie, soit le temps nécessaire pour que sa concentration diminue de moitié, est estimée à quelques jours en fonction des caractéristiques du terrain. En revanche, contrairement à ce qu’affirme Géraldine Woessner, l’acétamipride met de longs mois à se dégrader dans l’eau. Au niveau européen, sa demi-vie est estimée à 79,7 jours, elle est ainsi classée «très persistante» dans les milieux aquatiques.

Du fait de cette persistance, on retrouve l’acétamipride jusque dans les eaux de pluies, comme le révèle une récente étude japonaise. En analysant des échantillons prélevés au cœur de deux villes de l’archipel, les chercheurs de l’université de Tokyo ont découvert la présence d’acétamipride dans 82 % des cas. La substance contamine ainsi bien au-delà des zones agricoles où elle est utilisée.

Intox n°3 L’acétamipride a passé tous les tests européens d’évaluation des risques, c’est donc une substance sûre...


L'affirmation : « Les produits qu’utilisent les agriculteurs ont une homologation. Si ce produit est dangereux, l’autorité sanitaire européenne le retire. Ce n’est pas le cas. » Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, au micro de franceinfo le 26 mai.
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Avant d’être mis sur le marché, les pesticides passent effectivement par un processus d’évaluation des risques au niveau européen (via l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments), puis au niveau de chaque État membre (via l’ANSES, en France). Mais ce système souffre en réalité de nombreuses failles, pointées depuis des années par POLLINIS et de nombreuses autres organisations, mais aussi par les scientifiques et les autorités sanitaires elles-mêmes (aussi bien l’EFSA que l’ANSES).

Ce processus est notamment entaché par un conflit d’intérêt manifesteFoucart, S. 2013. La fabrique du mensonge. Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger. Editions Denoël. p.258 : l’évaluation des risques se fonde sur un dossier élaboré par la firme qui formule la demande de mise sur le marché. Les tests de toxicité des substances sont ainsi directement réalisés par l’agrochimie, ou par des laboratoires privés que ces entreprises commanditent. Dans tous les cas, ce système conduit à écarter largement les études scientifiques indépendantes des dossiers soumis aux autorités européennes. À titre d’exemple, lors de la réalisation du rapport d’évaluation pour la réautorisation du glyphosate, en 2023, seulement 3 % des plus de 7 000 études publiées sur cet herbicide au cours des dix dernières années ont été prises en compte.

Alors que les défenseurs de la proposition de loi Duplomb estiment que l’interdiction totale des néonicotinoïdes en France relève d’une décision politique, non étayée par la science, les nombreuses études sur la toxicité de l’acétamipride prouvent le contraire. Cette substance neurotoxique (elle s’attaque au système nerveux central des insectes) augmente la mortalité des pollinisateurs en affectant, par exemple, leurs capacités motrices et cognitivesCamp et al., 2020https://academic.oup.com/etc/article-abstract/39/12/2560/7735627?redirectedFrom=fulltext&login=falseShi et al., 2020https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0269749120360334?via%3DihubShi et al, 2019https://link.springer.com/article/10.1007/s13592-019-00669-w. L’acétamipride s’avère également toxique pour les êtres humains. De récentes études font ainsi le lien entre exposition aux néonicotinoïdes, et notamment l’acétamipride, et le développement de maladies cardiovasculaires ou encore de cancers du foie. La substance est également capable de franchir la barrière du placenta, pour affecter le neurodéveloppement du fœtus.

Intox n°4 L'acétamipride est sans danger, au point qu’il est utilisé dans plusieurs produits domestiques...


L'affirmation : « L'acétamipride, écoutez-moi bien, est présent dans tous les insecticides domestiques. Il est présent dans les colliers antipuces des chiens et des chats qui sont au cœur de chacune des maisons, à proximité des enfants. » Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, au micro de franceinfo le 19 mai.
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Cette information, reprise par de nombreux défenseurs de la proposition de loi Duplomb pour minimiser la dangerosité de l’acétamipride, est entièrement fausse. L’association Générations Futures a mené l’enquête sur cette déclaration de la ministre, ses conclusions sont formelles. Selon la base de données des biocides de l’ANSES, sur les plus de 40 000 produits autorisés sur le territoire, seulement 261 sont composés d’acétamipride. On est donc loin d’une présence dans «tous les insecticides domestiques» comme le prétend Annie Genevard.

Pour ce qui est des colliers antiparasitaires, l’ANSES assure également auprès de Générations Futures que, s’ils existaient, ils seraient considérés comme des médicaments vétérinaires. Or, d’après la base de données des médicaments vétérinaires autorisés en France, aucun produit de ce type à base d’acétamipride n’est autorisé sur le territoire.

Enfin, dans tous les cas, la potentielle présence d’acétamipride dans certains biocides destinés au grand public ne permet pas de conclure que cette substance est inoffensive. En effet, selon les données de l’ANSES, aucun de ces produits n’a pour le moment reçu d’autorisation de mise sur le marché, leur toxicité n’a donc pas encore été évaluée.

Intox n°5 Il n’existe pas d’alternative à l’utilisation de l’acétamipride...


L’affirmation : « Les agriculteurs achètent des produits phytosanitaires, non pas pour les admirer en bas de leur lit, non pas pour se doucher tous les matins avec, mais parce qu’ils ont besoin de traiter certaines maladies dont leurs cultures sont atteintes. » Laurent Duplomb, sénateur Les Républicains, lors de l’examen de sa proposition de loi le 27 janvier au Sénat.
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Pour justifier la réautorisation des néonicotinoïdes, les défenseurs de la proposition de loi Duplomb affirment que certains agriculteurs – notamment les producteurs de noisettes, de betteraves ou les cultivateurs de fruits – ne disposent d’aucune alternative pour lutter contre les nuisibles. Pourtant, au moment du vote de l’interdiction totale des néonicotinoïdes en France en 2016, l’ANSES a justement été mandatée par l’État pour identifier les alternatives « suffisamment efficaces et opérationnelles » à ces substances. Dans son rapport, l’autorité affirme que 124 usages de néonicotinoïdes – sur les 130 étudiés – bénéficient d’une alternative probante. Dans 78 % des cas analysés, une solution non-chimique existe pour remplacer ces pesticides.

Lors de l’interdiction totale des néonicotinoïdes en France, la filière de la betterave sucrière avait déjà utilisé cet argument pour obtenir des dérogations en 2021 et en 2022 (elles ont depuis été jugées illégales par la Cour de justice de l’Union européenne, puis annulées par le Conseil d’État). Un argument de nouveau balayé par l’ANSES. Dans un second rapport, l’autorité pointe l’existence d’une vingtaine d’alternatives variées, regroupées en sept familles de méthodes, dont cinq qui ne font appel à aucun produit de synthèse.