NOUVEAUX OGM : UNE MENACE IMMINENTE SUR LA BIODIVERSITÉ
Une révolution de l’édition génétique est en cours. La conception de technologies novatrices 1 ces dernières années a donné un nouvel élan au secteur de la manipulation du génome, soumis en Europe au cadre règlementaire de 2001 pour les OGM. La technique la plus utilisée est CRISPR-Cas9 2, des « ciseaux biomoléculaires » développés en 20123, qui permettent d’ajouter ou de supprimer des gènes 4 dans l’ADN. Peu onéreuse et simple d’utilisation, cette technique a ouvert de nouveaux champs des possibles, où se sont engouffrées les firmes de biotechnologies.
Pour le secteur agricole, l’ingénierie génétique est ainsi présentée comme l’outil du futur. Les laboratoires ont conçu de nouvelles applications afin de modifier dans un premier temps les plantes et les semences, mais aussi les insectes. Les expérimentations sur ces animaux OGM sont déjà en cours, comme celles de la start-up britannique Oxitec qui a mené plusieurs tests en plein champ sur des papillons génétiquement modifiés dont les larves femelles meurent après leur éclosion5.
L’outil génétique est également expérimenté pour « optimiser » les insectes auxiliaires, tels que les pollinisateurs, afin notamment de les adapter aux pesticides. Un brevet a ainsi été déposé par des chercheurs de l’université du Texas pour modifier le microbiote de l’abeille.
L’agro-industrie mise par ailleurs sur le génie génétique pour concevoir les pesticides du futur, comme les substances ARNi, des fragments de codes génétiques pulvérisés sur les plantes, et capables d’éliminer les insectes en désactivant de leurs certains gènes.
Aboutissement extrême et controversé de ces nouvelles possibilités, le « forçage génétique » (ou gene drive, en anglais) a pour objectif de modifier ou d’exterminer toute une espèce de manière définitive. Cette technique consiste à incorporer dans un organisme un gène étranger qui sera ensuite transmis systématiquement à toute sa descendance, et se propagera à l’ensemble de la population ciblée en quelques générations. Parmi les principales applications expérimentées de cette technique, la lutte contre les maladies transmises par les moustiques. Des lâchers de moustiques génétiquement forcés, menés Par Target Malaria avec le financement de la Fondation Bill et Melinda Gates, sont prévus en 2024 au Burkina Faso6.
Les firmes de biotechnologie présentent les végétaux modifiés avec Crispr-Cas 9 comme étant sans danger, car soi-disant identiques à ceux produits par la sélection naturelle. La recherche a pourtant montré que cela est loin d’être le cas. Les impacts de ces nouveaux OGM sur les écosystèmes sont encore mal connus, et potentiellement dramatiques. Une étude a montré par exemple que des transferts horizontaux de gènes entre plantes et insectes pouvaient se produire, une espèce de mouche a ainsi subi une mutation génétique, en acquérant un gène présent chez les plantes7.
La technique Crispr-Cas 9 manque par ailleurs de précision, provoquant notamment des effets « hors cibles », des coupures imprévues du génome au niveau de séquences qui n’étaient pas ciblées. Des altérations génétiques involontaires peuvent aussi survenir sur la cible. Quant aux modifications intentionnelles, elles pourraient également se montrer problématiques en termes de sécurité alimentaire et de biodiversité.
La dissémination des organismes issus du forçage génétique fait, elle, encourir des risques d’une ampleur considérable, tels que la modification irréversible d’espèces et de pans entiers de la biodiversité, l’éradication de certaines populations animales, des déséquilibres dans les écosystèmes et les chaînes alimentaires, l’émergence de nouveaux pathogènes, la prolifération de nouveaux ravageurs….
Les laboratoires et certains États appellent pourtant aujourd’hui à expérimenter des organismes génétiquement forcés en milieu naturel. En Europe, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a conclu que l’évaluation de certains risques posés par cette technologie restait insuffisante, et qu’elle présentait des « incertitudes » et des « risques inconnus », tandis que les effets imprévisibles d’une dissémination en extérieur d’insectes forcés ne pouvaient être évalués en laboratoire. L’EFSA a cependant suggéré de mener des expérimentations en milieu naturel afin de mieux cerner ces risques.
Malgré l’ampleur des risques liés à cette technologie et son caractère irréversible, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a également envisagé d’utiliser le forçage génétique dans un but de conservation des espèces. Son rapport « Frontières génétiques pour la conservation », miné par les conflits d’intérêts de certains des auteurs, s’était montré favorable à cette application. Lors de son congrès en septembre 2021 à Marseille, un groupe d’opposants, dont POLLINIS, est cependant parvenu à imposer le principe de précaution dans une motion controversée sur le sujet.
Minimisant les incertitudes et les risques liés aux nouveaux OGM, les entreprises de biotechnologies tentent d’ouvrir une brèche pour soustraire leurs produits au cadre règlementaire des OGM en Europe. En 2018, un arrêt8 de la Cour de Justice de l’Union européenne, a pourtant statué que les nouvelles techniques de modification génétique, apparues ou développées après 2001, étaient soumises à la législation des OGM, qui prévoit des procédures strictes d’évaluation des risques sur la santé et l’environnement avant toute mise sur le marché ou dissémination.
Mais sous pression du lobbying intense des firmes de biotechnologies, la Commission Européenne projette à présent de déréglementer les OGM issus de certaines de ces nouvelles techniques10. Dans un rapport sur le statut juridique des nouvelles techniques d’édition du génome publiée le 29 avril 2021, la Commission propose ainsi d’assouplir la législation en vigueur pour certains de ces nouveaux produits. « La législation actuelle sur les OGM, qui date de 2001, n’est pas adaptée à ces technologies innovantes », estime-t-elle.
Alors que les nouvelles techniques de modification reposent sur des mécanismes cellulaires complexes et encore mal maîtrisés, une telle déréglementation conduirait à commercialiser ces OGM sans évaluation stricte et sans étiquetage, et ferait peser sur la nature et la santé des risques inédits.
Ce serait une pérennisation inacceptable du modèle agricole intensif, qui pourrait ainsi, par un brevetage massif du vivant, modifier à sa guise plantes et animaux afin notamment de tenter de les adapter à ses pesticides. De tels brevets mettraient des insectes OGM au service d’un système agricole dont les pratiques (pesticides, destruction des habitats et des ressources florales…) contribuent justement à l’extinction en cours de ces animaux.
Face au lobbying intense des entreprises de biotechnologies pour déréglementer les nouveaux OGM, un nouveau cadre juridique européen pour les plantes obtenues par mutagenèse ciblée et cisgenèse est à l’étude.
La Commission européenne a lancé la première étape de cette initiative à l’automne 2021 par un appel à contribution, auquel POLLINIS a participé en alertant sur les risques qu’entraînerait une dérégulation et rappelé que les nouveaux OGM doivent rester soumis à une évaluation des risques sanitaires et environnementaux, ainsi qu’à des exigences de traçabilité et d’étiquetage, conformément au principe de précaution.
L’exécutif européen doit adopter une position de fermeté et interdire tout assouplissement du cadre juridique en vigueur. Ces nouvelles techniques risquent en effet de transformer la nature en un laboratoire d’expérimentation génétique hors de contrôle. Plutôt que d’investir dans ces biotechnologies potentiellement désastreuses pour la biodiversité, des solutions sûres et maîtrisées existent, telles que l’agroécologie.
Concernant le forçage génétique, un moratoire international est urgent pour éviter la dissémination dans la nature d’organismes issus de cette technique. La Commission européenne doit prendre en considération les risques environnementaux considérables que font courir ces organismes.
Dans le rapport sur la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, les eurodéputés ont demandé à ce qu’aucune dissémination d’organismes génétiquement forcés ne soit autorisée, conformément au principe de précaution.
Devant l’absence de connaissances suffisantes, de cadre juridique adéquat et de débat transdisciplinaire sur les risques liés au forçage génétique, au nom du principe de précaution inscrit dans la Constitution, le gouvernement français doit décréter une interdiction de la dissémination dans la nature d’OGM issus du forçage génétique, y compris des essais en plein champ.
La France doit aussi soutenir un moratoire au niveau mondial sur la dissémination et les essais en champs d’insectes issus du forçage génétique. Alors que cette technologie reste peu connue des citoyens européens, la nécessité d’un débat scientifique et éthique sur ce sujet, et sur ses conséquences sur le vivant, est une nécessité.