BIOTECHNOLOGIES GÉNÉTIQUES : MENACES IMMINENTES SUR LA BIODIVERSITÉ
Trente ans après l’arrivée des organismes génétiquement modifiés (OGM) en agriculture, de nouvelles biotechnologies génétiques sont aujourd’hui développées par les firmes de l’agrochimie pour remplacer les pesticides chimiques dans les champs.
Soumises aujourd’hui en Europe au strict cadre réglementaire de 2001 pour les OGM1, ces nouvelles biotechnologies génétiques se sont rapidement développées dans la foulée de la création, en 2013, des « ciseaux biomoléculaires » CRISPR-Cas92, qui permettent d’ajouter ou de supprimer des gènes dans l’ADN. Peu onéreux et simple d’utilisation, cet outil a ouvert le champs des possibles, où se sont engouffrées les firmes de biotechnologies.
Depuis, les laboratoires ont conçu de nouvelles applications afin de modifier les insectes considérés comme des ravageurs, notamment via la technique du silençage génétique par interférence ARN (pesticide ARNi), qui consiste à bloquer la synthèse de protéines essentielles dans les cellules de l’organisme ciblé. Ce processus permet d’inactiver un gène indispensable à certains processus biologiques, comme la mue chez les insectes, l’appétit ou encore la contraction musculaire. Les insectes ciblés vont être exposés aux brins mortels d’ARNi par le biais de plantes OGM, de micro-organismes (bactéries, virus, etc.) ou encore de sprays directement pulvérisés dans les champs. Les expérimentations en plein champ du silençage génétique ont déjà démarré dans plusieurs pays d’Europe, dont la France, sans que l’Agence sanitaire française ne puisse vérifier la composition exacte de ces produits, ni leur dangerosité potentielle selon les termes d’un régime dérogatoire inadapté appliqué par le ministère de l’Agriculture.
Aboutissement extrême et controversé de ces nouvelles possibilités, le « forçage génétique » (ou gene drive, en anglais) a pour objectif de modifier ou d’exterminer toute une espèce de manière définitive. Cette technique consiste à incorporer dans un organisme un gène étranger qui sera ensuite transmis systématiquement à toute sa descendance, et se propagera à l’ensemble de la population ciblée en quelques générations. Si l’expérimentation de cette technique dans la lutte contre les maladies transmises par les moustiques est aujourd’hui la plus avancée et que les premiers lâchers d’insectes génétiquement modifiés ont eu lieu au Burkina Faso, les applications agricoles sont de plus en plus nombreuses à être étudiées. Ainsi, sur les 32 insectes ciblés par la recherche scientifique sur le forçage génétique3, 21 sont des ravageurs des cultures, comme la drosophile du cerisier (Drosophila suzukii) ou la mouche orientale des fruits (Bactrocera dorsalis).
Les impacts de ces nouveaux OGM et pesticides génétiques sur les écosystèmes sont encore peu étudiés, mal connus, et potentiellement dramatiques. Les effets imprévus (effets hors cible), notamment sur les pollinisateurs, maillons essentiels de la biodiversité, et les répercussions sur l’ensemble des chaînes trophiques sont incalculables en l’état actuel de la science.
Pourtant, les lobbys de l’agro-industrie minimisent les incertitudes et les risques liés aux organismes ou produits issus de ces nouvelles techniques génétiques, et tentent d’obtenir – tant au niveau européen qu’international – un affaiblissement des règles d’évaluation et de mise sur le marché afin de permettre leur expérimentation en plein champ et leur commercialisation à grande échelle.
Encadrés au niveau européen par la directive de 2001, ces nouveaux OGM font l’objet d’un lobbying particulièrement intense depuis qu’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne4 (CJUE) a confirmé en 2018 que l’ensemble des produits et organismes issus de ces nouvelles techniques devaient rester sous le coup de la réglementation en matière d’OGM traditionnels. Un texte qui prévoit des procédures strictes d’évaluation des risques sur la santé et l’environnement avant toute mise sur le marché ou dissémination.
En dépit de la décision de la CJUE, la Commission européenne a entamé depuis 2020 une réforme du statut réglementaire des nouveaux OGM, estimant que « la législation actuelle sur les OGM, qui date de 2001, n’est pas adaptée à ces technologies innovantes », qui pourrait aboutir à leur dérégulation5.
Au niveau international, le compromis voté par les pays signataires de la Convention sur la diversité biologique (CBD) lors de la COP 15 sur la biodiversité à Montréal (décembre 2022) a également levé les rares garde-fous en la matière, en faisant notamment disparaître la restriction de principe à l’utilisation dans la nature des produits et composants issus de l’ingénierie génétique. Et malgré l’ampleur des risques liés au forçage génétique et à son caractère irréversible, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a également envisagé d’utiliser cette technique dans un but de conservation des espèces.
Pourtant, la littérature scientifique indépendante a mis en évidence les risques réels engendrés par ces nouvelles biotechnologies génétiques. Une étude publiée en 2021 dans la revue scientifique Nature6 a notamment démontré que des transferts horizontaux de gènes entre plantes et insectes pouvaient se produire. Une espèce de mouche (Bemisia tabaci) a ainsi subi une mutation génétique, en acquérant un gène présent chez les plantes.
La technique Crispr-Cas 9 manque par ailleurs de précision, provoquant notamment des effets « hors cible » : des coupures imprévues du génome au niveau de séquences qui n’étaient pas ciblées. Des altérations génétiques involontaires peuvent aussi survenir sur la cible. Quant aux modifications intentionnelles, elles pourraient également se montrer problématiques en termes de sécurité alimentaire et de biodiversité.
La dissémination dans la nature des organismes issus de ces nouvelles biotechnologies expose le vivant à des risques d’une ampleur considérable, tels que la modification irréversible d’espèces et de pans entiers de la biodiversité, l’éradication de certaines populations animales, des déséquilibres dans les écosystèmes et les chaînes alimentaires, l’émergence de nouveaux pathogènes, la prolifération de nouveaux ravageurs…
Face au lobbying intense des entreprises agro-génétiques pour obtenir la déréglementation de ces nouvelles biotechnologies dont les risques pourraient être immenses pour les pollinisateurs et l’ensemble de la biodiversité, POLLINIS exhorte les dirigeants internationaux à s’opposer à leur dissémination, et appelle à la mise en place d’un moratoire sur l’utilisation d’organismes et produits dérivés de ces nouvelles biotechnologies génétiques dans la nature.
Pour soutenir cette demande de moratoire, POLLINIS a lancé une pétition et initié un appel scientifique – signé par plus de 100 scientifiques de premier plan dans les domaines de la biologie moléculaire, de la génétique, de l’écologie des pollinisateurs et de l’agroécologie – qui demande l’application du principe de précaution et l’interdiction du déploiement dans la nature des biotechnologies génétiques aux niveaux international, régional et national. En juin 2023, POLLINIS a également publié un rapport inédit sur les pesticides génétiques : grâce à la bio-informatique, l’association a établi que 136 espèces de pollinisateurs seraient potentiellement touchées par 14 pesticides ARNi en cours de développement dans le monde.
Alors que la Commission européenne doit présenter, le 5 juillet 2023, sa proposition de cadre juridique applicable aux plantes obtenues avec ces nouvelles techniques, POLLINIS a remis la pétition, signée par plus de 420 000 citoyens opposés à la dérégulation des nouveaux OGM, au cabinet d’Elisabeth Borne le 3 février et quatre jours plus tard à des représentants de la Commission européenne.
Au niveau européen, POLLINIS a participé aux différentes étapes consultatives menées par la Commission européenne en alertant sur les risques qu’entraînerait une dérégulation et rappelé que les nouveaux OGM doivent rester soumis à une évaluation des risques sanitaires et environnementaux, ainsi qu’à des exigences de traçabilité et d’étiquetage, conformément au principe de précaution.
Plutôt que d’investir dans ces biotechnologies potentiellement désastreuses pour la biodiversité, des solutions sûres et maîtrisées existent, telles que l’agroécologie.